Ingrid Betancourt : 2 ans otage des FARC, qui capitalisent l'émotion
Enlevées le 23 février 2002, l'ex-candidate écologiste à la présidence de la Colombie et sa directrice de campagne, Clara Rojas, sont depuis deux ans otages de la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). L'Union européenne et les Etats-Unis ont inscrit les FARC et leurs adversaires paramilitaires des AUC (Autodéfenses unies de Colombie) sur la liste des organisations terroristes. "Beaucoup adoptent une posture fataliste et disent: non, les FARC ne vont pas changer d'attitude. Alors, ils reportent la pression sur le président Uribe pour qu'il modifie, lui, ses positions... C'est une erreur politique d'acculer le président et de le soumettre aux pressions nationales et internationales pour qu'il cède au chantage... Ce serait plus utile de mettre la pression sur les FARC en leur vantant les avantages qu'ils retireraient du respect du droit humanitaire international" s'exclame le délégué du gouvernement colombien à la Paix, Luis Carlos Restrepo. C'est une façon de rappeler que les ravisseurs d'Ingrid Betancourt sont les guérilleros des FARC, mais non le président Uribe. Le chef de l'Etat colombien est néanmoins régulièrement accusé, notamment par la famille d'Ingrid Betancourt -qui jouit d'une grande audience en Europe et en particulier en France- de refuser la négociation d'un échange humanitaire de prisonniers à laquelle seraient disposées les FARC. Alvaro Uribe n'est pas opposé au principe de cet échange. Le problème est que la guérilla et le gouvernement colombien posent chacun des préalables inacceptables pour l'autre partie. En échange d'une libération de leurs guérilleros et militants emprisonnés -entre 300 et 500, selon diverses estimations- les FARC accepteraient de libérer leurs otages "politiques", soit Ingrid Betancourt, 20 élus et 47 officiers colombiens, ainsi que 3 Américains. Mais la guérilla exige que la négociation de cet échange s'ouvre dans une zone du sud colombien que l'armée et la police devraient au préalable abandonner. Couvrant les départements du Caqueta et du Putumayo, ce dernier ayant l'importance stratégique d'être frontalier de l'Equateur et du Pérou, cette zone que ne contrôleraient plus que les guérilleros, en cas d'acceptation de leurs exigences, s'étend sur plus de 100.000 km2 (plus de trois fois la superficie de la Belgique). Ce préalable territorial, que semblent ou veulent ignorer ceux qui font pression sur le président Uribe, serait rejeté par tout gouvernement responsable de n'importe quel pays. Le prédécesseur d'Alvaro Uribe à la présidence colombienne, Andres Pastrana, avait néanmoins octroyé en 1998 aux FARC une zone démilitarisée de 40.000 km2 (la superficie de la Suisse), espérant aboutir à des accords mettant fin à un conflit intérieur qui a fait plus de 200.000 morts et a déplacé près de trois millions de Colombiens depuis 1964. La transformation de cette zone démilitarisée en plaque tournante d'exportation de cocaïne et en place forte de la guérilla, à partir de laquelle elle intensifiait ses offensives, avait conduit Andres Pastrana à lancer l'armée à sa reconquête en 2002. Guérilla et paramilitaires financés par le narcotrafic et les enlèvements Pour accepter un échange humanitaire dont bénéficierait notamment Ingrid Betancourt, le président Uribe exige, lui, outre "la promesse que les guérilleros qui sortent de prison ne retournent pas à la délinquance", la libération de tous les otages des FARC, dont le nombre est estimé à plus de mille par le chef de l'Etat. Au-delà de ses quelques dizaines d'otages "politiques", la guérilla, comme les paramilitaires d'extrême droite, séquestre en effet chaque année au hasard de barrages routiers des centaines de "civils" -hommes, femmes et enfants- qui ne sont libérés qu'en échange de rançons élevées. Le ministère colombien de la Défense affirme que le narcotrafic et les enlèvements contre rançon sont les principales sources de financement des FARC. Jeudi dernier, le Bureau de contrôle des actifs étrangers du département du Trésor des Etats-Unis ajoutait 40 membres des FARC et des AUC, dont leurs leaders respectifs, Manuel Marulanda et Carlos Castaño, à la liste des principaux chefs supposés du narcotrafic international. "La grande différence entre nos terroristes et les anciennes guérillas d'Amérique centrale et du Sud, toutes d'origine marxiste, est que ces dernières étaient pauvres. Mais les terroristes colombiens sont riches, immensément riches grâce à la drogue et aux enlèvements" affirmait le président Uribe, le 10 février dernier, lors d'une conférence de presse à Strasbourg. Il effectuait alors une tournée européenne bousculée par la mobilisation d'ONG et d'élus européens de gauche qui ont dénoncé, notamment, les pouvoirs exorbitants octroyés à l'armée par le président Uribe et sa propension à négocier la réinsertion de paramilitaires en dépit des massacres d'adversaires supposés qu'ils ont commis et qu'ils commettent encore. Massacres et déplacements de villageois soupçonnés de ralliement au camp adverse sont perpétrés aussi par la guérilla. Libérer leurs centaines d'otages "civils", comme l'exige le président Uribe, secouerait les capacités financières des guérilleros et affecterait, par conséquent, leur puissance militaire. Aussi les insurgés s'y refusent-ils, n'acceptant que l'éventuel échange de leurs prisonniers "politiques", dont Ingrid Betancourt. Le gouvernement colombien, explicitement, mais aussi des organisations humanitaires, implicitement, reprochent aux partisans de la négociation à tout prix de faire peu de cas des centaines d'otages "civils" que les FARC refusent d'inclure dans un éventuel échange humanitaire. Ingrid Betancourt elle-même s'oppose "par principe" à son échange contre des guérilleros Dans une vidéo de la guérilla marxiste diffusée le 30 août 2003 dans le programme Noticias Uno de la télévision colombienne, Ingrid Betancourt elle-même s'opposait "par principe" à son échange contre des guérilleros emprisonnés, contrairement au souhait exprimé par sa famille, par la diplomatie française et par les FARC. L'ex-candidate des Verts à la présidentielle colombienne parlait même alors de "gagner la guerre" contre les guérilleros et exhortait le président Uribe à lancer des opérations militaires bien préparées pour libérer les otages des rebelles. "Je suis convaincue, poursuivait-elle, que nous pouvons pas demander à nos soldats d'être prêts à donner leur vie pour nos institutions, pour défendre nos droits, si nous ne sommes pas nous-mêmes prêts, lorsque nous sommes touchés personnellement, à risquer notre vie pour défendre notre propre liberté... On ne peut pas renoncer à la liberté, même pas par prudence". S'adressant à sa famille, Ingrid Betancourt lançait dans la même vidéo une phrase qui devrait nourrir sa légende: "Je sais que ce que je vous dis est dur pour vous et aussi dur pour moi, mais je crois que si nous voulons semer la paix en Colombie, nous devons agir en fonction de nos principes et non en fonction de nos seuls intérêts". La demi-crise diplomatique ouverte entre Paris et Bogota par les initiatives et les pressions de la France et de la famille d'Ingrid Betancourt -dont la douleur mérite le respect- sur le gouvernement colombien ne répond pas à cette vision digne d'un chef d'Etat exprimée par la célèbre séquestrée. Pour l'heure, ces pressions et la mobilisation internationale en faveur d'Ingrid Betancourt semblent contribuer à prolonger sa captivité en faisant croire aux chefs des FARC qu'ils détiennent en l'ex-candidate à la présidence le passe-partout ouvrant des portes politiques et diplomatiques en principe fermées à ceux dont l'arme principale est devenue la terreur. Pour être efficaces et logiques, ces pressions et cette mobilisation devraient viser non le gouvernement colombien, mais les ravisseurs d'Ingrid, les FARC, considérées comme "terroristes" par les 15 gouvernements démocratiques des pays de l'Union européenne. Certes, la Colombie a besoin d'une révolution sociale. L'écharpe de maire des huit millions d'habitants de Bogota que porte depuis le 2 janvier dernier l'ex-dirigeant syndicaliste communiste Luis Eduardo Garzon permet d'espérer que cette révolution sortira, comme le mandat du président Uribe, des urnes démocratiques. Mis en garde à juste titre par des organisations de défense des droits humains telles qu'Amnesty International ou Human Rights Watch contre des risques sectoriels -mais non globaux- de dérapages totalitaires, critiqué plus durement par une partie de la gauche européenne parfois plus compréhensive envers la dictature castriste, Alvaro Uribe demeure, avec une acceptation supérieure à 70% pour sa fermeté à l´égard de la guérilla, le président le plus populaire qu'ait connu la Colombie depuis qu'existent les sondages. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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