LA HAVANE / MADRID, mardi 26 octobre 2010 (LatinReporters.com) - Attestée par le silence du gouvernement et les critiques indirectes
de la presse officielle, l'irritation de Cuba tempère l'interprétation
de l'Espagne, selon laquelle "une nouvelle étape" dans les relations
avec l'île des frères Castro aurait été ouverte
le 25 octobre par l'Union européenne (UE).
|
Trinidad Jimenez, ministre espagnole des Affaires étrangères,
le 25 octobre 2010 à Luxembourg avec son homologue belge
Steven Vanackere, dont le pays préside l'UE ce semestre. Photo Conseil de l'Union européenne |
En échange de la libération, conditionnée à la
déportation à Madrid, de prisonniers politiques (42 depuis
le mois de juillet), Cuba espérait que le Conseil des ministres des
Affaires étrangères de l'UE, réuni le 25 octobre à
Luxembourg, abandonnerait enfin sa position commune, comme le recommandait
l'Espagne, appuyée notamment par la France et la Belgique.
Adoptée en 1996, ladite position commune conditionne les relations
avec Cuba à la situation des droits de l'homme dans ce pays. Le gouvernement
socialiste espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero s'efforce depuis
2004 de faire sauter ce verrou. Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des Affaires
étrangères jusqu'au 20 octobre dernier, et celle qui lui a succédé,
Trinidad Jimenez, devaient amener l'Europe des 27 à conclure avec La Havane un accord
de coopération politique et commerciale.
Pour le président Raul Castro, confronté à une grave
crise socio-économique malgré l'aide pétrolière
du Venezuela, un tel accord serait providentiel. Mais La Havane devra patienter,
comme le confirment ces brèves et uniques lignes dédiées à Cuba parmi
les 19 pages d'un
communiqué
diffusé par l'UE après
la réunion ministérielle de Luxembourg (traduction par LatinReporters.com
du texte original anglais) :
"CUBA
Les ministres ont eu un échange de vues, pendant le déjeuner,
sur les récents développements politiques et économiques
à Cuba et sur les options pour la politique de l'UE à l'égard
de Cuba.
Ils ont salué la libération en cours de prisonniers
politiques et ont exprimé l'espoir que le processus mènerait
à la libération de tous les prisonniers politiques du pays.
Ils ont salué aussi les annonces concernant des réformes économiques
et considéré que celles-ci devraient tendre à améliorer
les conditions de vie de la population cubaine.
Les ministres ont convenu d'entamer une réflexion et de demander
à la Haute représentante d'explorer, dans le cadre de la position
commune de l'UE sur Cuba, les possibilités d'avancer dans les relations
avec Cuba et d'en faire rapport au Conseil dès que possible.
L'intention du Conseil est d'identifier la façon la plus efficace
de promouvoir à Cuba les valeurs et les intérêts de l'UE."
NDLR : le 2e et le 4e paragraphe ont
été supprimés dans la dernière version mise en ligne sur le site Internet
du Conseil de l'UE. Ces paragraphes, qui mentionnent "les prisonniers politiques" et "les valeurs de l'UE",
ont probablement indisposé les autorités cubaines.
La position commune honnie par Cuba est donc explicitement
toujours en vigueur selon ce texte, dont la dernière phrase (finalement supprimée)
est peut-être la plus intéressante. L'Allemagne, la Suède, la Pologne et
la République tchèque sont parmi les pays partisans du maintien
actuel de la position commune, qui ne peut être levée que par
consensus, c'est-à-dire à l'unanimité des 27.
C'est dans ce cadre que Catherine Ashton, Haute
représentante de l'Union pour les Affaires étrangères,
est chargée d'une mission d'exploration en vue d'une éventuel
assouplissement de la position communautaire. Elle envisage de présenter
son rapport en décembre. On saura alors si tous les prisonniers politiques
que La Havane s'engageait en juillet à sortir de prison "dans
le délai de trois à quatre mois" ont été effectivement
libérés.
A Madrid, des dissidents cubains déportés récemment applaudissent le maintien
de la position commune de l'UE. Le journal conservateur espagnol ABC estime
que "l'Espagne n'a pas convaincu l'UE de lever sa politique à l'égard
de Cuba". Il note en outre, à propos du mandat confié à
la Britannique Catherine Ashton, que "l'Espagne perd au sein de l'UE le leadership
de la politique sur Cuba".
A La Havane, le silence gouvernemental reflète l'irritation du gouvernement
de Raul Castro. Au lendemain de la réunion de Luxembourg, le principal
quotidien officiel cubain, Granma, ne s'y réfère en page 4
que de manière indirecte et critique sous le titre
"Partidos
europeos reiteran rechazo a la Posición Común" ("Des partis européens
réitèrent leur refus de la position commune"). L'article cite
notamment l'eurodéputé communiste espagnol Willy Meyer, qui
déplore le maintien par l'UE de ladite position.
La mauvaise humeur de La Havane contredit et peut-être même ridiculise
les déclarations enthousiastes de la ministre espagnole Trinidad Jimenez
au sortir du Conseil des ministres de Luxembourg. "L'UE dit clairement qu'on
ouvre une nouvelle étape dans les relations avec l'île (...) La position commune est
surpassée" lançait-elle
alors aux journalistes, émettant en outre "l'espoir que les autorités
cubaines apprécieront ce geste de confiance".
Les conclusions, sinon erronées du moins prématurées,
de Trinidad Jimenez étaient toutefois appuyées mardi à
la une du quotidien espagnol de centre gauche El Pais, journal dit de référence,
sous le titre "L'Europe ouvre un nouveau cycle dans ses relations avec Cuba".