MADRID, vendredi 16 juillet 2010 (LatinReporters.com) - "C'est une déportation,
on nous a expulsés de notre pays" affirmait en conférence de
presse, le 15 juillet à Madrid, le dissident cubain Omar
Rodriguez Saludes. "Pour retourner dans notre patrie,
nous devons solliciter un permis. Nous ne sommes donc pas libres" ajoutait
Julio César Galvez. D'autant qu' "il n'y a pas eu d'amnistie et que
si nous revenions à Cuba, ils pourraient nous arrêter à
nouveau sans autre formalité" renchérissait José Luis
Garcia Paneque.
Amnesty International
rappelle que l'alternative déportation ou prison est une violation des lois internationales.
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Ces trois dissidents et trois autres -Normando Hernandez, Ricardo Gonzalez et Lester Gonzalez-,
soit six des onze prisonniers politiques arrivés avec
leurs familles depuis le 13 juillet à Madrid après leur libération
par les autorités cubaines, contredisaient ainsi le ministre espagnol des Affaires
étrangères, le socialiste Miguel Angel Moratinos. Selon ce dernier, les exilés
n'auraient pas été déportés, car ils auraient
accepté volontairement leur transfert en Espagne et ils y jouiraient
d'une entière liberté.
Négocié par l'Eglise cubaine et Madrid avec le président
cubain Raul Castro, un accord a été conclu le 7 juillet à
La Havane pour la libération, à compléter d'ici novembre,
des 52 prisonniers d'opinion restants parmi les 75, dont 28 journalistes indépendants,
détenus
en mars 2003 et condamnés à des peines comprises entre 6 et 28 années de
prison. L'accord ne porte que sur le tiers des prisonniers politiques, dont le nombre
était estimé début juillet à 167 par la Commission cubaine des droits de
l'homme et de la réconciliation nationale (CCDHRN).
En parlant d'exil volontaire, le ministre Moratinos omet sciemment de préciser
que l'alternative, non explicitée dans l'accord, risque d'être
le maintien en prison. A Cuba, le porte-parole de la CCDHRN, Elizardo Sanchez,
affirme qu'au moins 10 des 52 prisonniers concernés ont déjà
signifié leur volonté de pas quitter l'île. Aucun d'eux
ne figure sur la liste des dissidents libérés ou devant l'être
dans les prochains jours.
Amnesty International s'en inquiète et réclame la libération sans condition
des prisonniers. Un porte-parole de l'organisation humanitaire, Matteo de Bellis, a rappelé à
New York à l'agence de presse espagnole EFE que l'alternative déportation ou
prison est une violation des lois internationales et du droit des détenus
libérés à résider dans leur pays.
Les dissidents jugent "inacceptable"
l'utilisation de leur libération pour tenter de modifier la position de l'Union européenne.
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Lors de leur conférence de presse, organisée par Reporters
sans frontières (RSF) au siège de l'Association de la presse
de Madrid, les six dissidents ont assuré que les libérations
actuelles, comme celles du passé, ne signifient nullement que
les droits de l'homme sont désormais respectés à Cuba.
Ils ont qualifié d' "inacceptable" la prétention du ministre
espagnol Moratinos d'utiliser ces libérations pour tenter d'obtenir
de l'Union européenne une levée de sa position commune,
qui conditionne les relations communautaires avec Cuba au dossier des droits
humains.
Selon Ricardo Gonzalez, condamné en 2003 à 20 ans de
prison pour avoir été notamment correspondant à Cuba
de RSF, le régime castriste, confronté "à des conditions
économiques très difficiles", tente par les libérations
"de laver son image" avant la réunion de septembre au cours de laquelle
l'Union européenne pourrait lever sa position commune.
Le chef de la diplomatie espagnole espère qu'alors que l'Europe des
27 décidera de signer avec Cuba un accord de coopération dont l'Espagne, troisième partenaire commercial de la grande île des Caraïbes après
le Venezuela et la Chine, serait indirectement l'un des principaux bénéficiaires.
Julio César Galvez, journaliste de radio condamné a 15 ans
de prison en 2003, insiste sur la sensation de ne pas se sentir libre en
dénonçant "les limbes juridiques" entourant le statut actuel
des dissidents déportés à Madrid. "Nous ne sommes pas
des immigrants, mais plutôt des réfugiés. Je suis toujours
un persécuté politique".
Le ministre Moratinos considère néanmoins les dissidents exilés
comme des immigrants qui pourront bénéficier d'un permis de
travail. Mais plusieurs regardent déjà vers les Etats-Unis.
Miami les séduit plus que la zone industrielle du sud de Madrid où
ils sont actuellement parqués dans un hôtel indigne de ce nom.
Ils n'apprécient pas davantage l'intention du gouvernement espagnol
de les disperser dans diverses provinces.
Deux jours plus tôt, les premiers dissidents débarqués
à l'aéroport de Madrid en provenance de La Havane couvraient
l'Espagne de louanges pour la remercier de sa contribution à leur
libération. Le désenchantement a donc été très
rapide. Une même désillusion pouvant s'emparer des prochains
déportés, l'Espagne de José Luis Rodriguez Zapatero
risque de voir son image internationale, dans un premier temps grandie par
son accueil d'apparence humanitaire, bientôt ternie pour complicité
trop appuyée dans la déportation d'opposants cubains.
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