LA HAVANE / MADRID, jeudi 8 juillet 2010 (LatinReporters.com)
- Déportation, bannissement, exil forcé... Seuls les prisonniers
politiques qui l'acceptent seront libérés et seulement 52 sont
concernés. Négocié par l'Eglise cubaine et l'Espagne
avec le président Raul Castro, le marchandage conclu le 7 juillet est scandaleux. Que
des dissidents sortent enfin de prison est néanmoins positif. L'Espagne
socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero les accueillera.
Madrid interpelle déjà les autres capitales de l'Union européenne
pour qu'elles lèvent à l'égard du régime castriste leurs réserves
liées aux droits de l'homme et signent un accord communautaire de coopération
avec la grande île des Caraïbes. Pour les frères Castro,
se débarrasser d'opposants en les déportant serait donc rentable.
De quoi inciter La Havane à maintenir toujours dans ses geôles
un stock suffisant de dissidents en prévision d'autres négociations.
Le présentation officielle des événements est certes
moins explicite.
"Le cardinal Ortega a été informé
que, dans les prochaines heures, six prisonniers seront transférés
[dans une autre prison; ndlr]
dans leur province de résidence
et que cinq autres seront mis en liberté et pourront partir à
bref délai pour l'Espagne accompagnés de leur famille. Les
autorités cubaines ont informé en outre que les 47 prisonniers
restants parmi ceux [des 75 dissidents; ndlr]
arrêtés
en 2003 seront libérés et pourront sortir du pays. Cette gestion
sera conclue dans le délai de trois à quatre mois à
partir de cet instant" indique un communiqué de l'épiscopat
cubain.
Ce texte a été diffusé le 7 juillet à La Havane
à l'issue de conversations réunissant le président cubain,
Raul Castro, le cardinal et archevêque de La Havane, Mgr Jaime Ortega,
le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel
Moratinos, et son homologue cubain, Bruno Rodriguez. Le communiqué
est reproduit le 8 juillet en
page 2
du quotidien officiel Granma.
L'interprétation du communiqué épiscopal, notamment
de son expression
"pourront sortir du pays", débouche dans
l'influent quotidien espagnol de centre gauche El Pais sur le titre
"Les 52
prisonniers que libérera le régime cubain viendront en Espagne".
L'excellent correspondant d'El Pais à La Havane, Mauricio Vicent,
attribue cette affirmation au ministre espagnol Miguel Angel Moratinos. Il
s'adressait à des journalistes à la résidence de l'ambassadeur
d'Espagne à La Havane après les conversations qui ont débouché
sur l'annonce des 52 libérations.
"Moratinos a assuré ne pas connaître l'identité des
cinq premiers prisonniers qui seront libérés prochainement,
vu que, selon le ministre, c'est l'archevêque qui les sélectionnera
en fonction de leur état de santé et de leur désir de
voyager vers l'Espagne" poursuit El Pais.
L'Espagne étant, du moins dans un premier temps, l'unique destination
envisagée pour les 52 dissidents concernés et la sélection
des premiers libérés dépendant de leur souhait d'être
embarqués vers le pays ibérique, il est légitime de
déduire que la déportation à 6.000 km de Cuba est le
prix de leur libération. Mentionnera-t-on publiquement le refus éventuel
- et même probable- de l'un ou l'autre des prisonniers concernés
à subir l'exil dans un pays théoriquement aussi libre et agréable
que l'Espagne?
La dissidence cubaine hésite entre joie et scepticisme.
"Je suis très émue. J'espérais depuis plusieurs jours
l'annonce des libérations" déclare Laura Pollan, l'âme
du groupe des Dames en blanc qui manifestent courageusement depuis des années
pour réclamer la libération de leurs proches incarcérés
en 2003. Mais elle ajoute que le plus important, à ses yeux, est
"que
la liberté soit réelle, sans impliquer un exil forcé".
Même satisfaction incomplète chez Elizardo Sanchez, porte-parole
de la Commission cubaine des droits de l'homme et de la réconciliation
nationale (CCDHRN).
"L'annonce [des libérations]
est positive
et est une bonne nouvelle pour les prisonniers et leur famille" dit-il.
Il ajoute aussitôt:
"Ce qu'on demande est la liberté inconditionnelle
des prisonniers politiques ... Qu'ils s'en aillent de Cuba suppose échanger
la prison contre le bannissement".
Selon la CCDHRN, 167 prisonniers politiques seraient encore incarcérés
à Cuba. Les libérations annoncées sont donc aussi partielles
que conditionnées. Elles inciteraient néanmoins le dissident
Guillermo Fariñas à envisager de mettre fin à la grève
de la faim qu'il observe depuis plus de quatre mois au péril de sa vie.
Les Etats-Unis et l'Union européenne saluent pour leur part le pas
que viendrait de franchir Cuba.
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