QUITO, dimanche 8 mai 2011 (LatinReporters.com) - Sous
réserve du décompte final, le président de l'Equateur,
Rafael Correa, socialiste radical allié du Vénézuélien
Hugo Chavez, a obtenu le 7 mai par référendum le feu vert pour
réglementer le contenu et l'actionnariat des médias, ainsi
que pour contrôler la justice, le temps théorique (18 mois) de la réformer.
Cette 5ème victoire électorale après son arrivée
au pouvoir en janvier 2007 confirme son hégémonie politique,
mais avec un soutien des urnes plus modéré que prévu.
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Rafael Correa, président de l'Equateur, au soir du référendum du 7 mai 2011. Satisfait, malgré une victoire mesurée. (Photo Presidencia de la República). |
En quatre ans de gestion, Rafael Correa, 48
ans, a renforcé le droit du travail, instauré la gratuité
des soins, durci les contrats permettant aux multinationales d'extraire du
pétrole en Equateur et renégocié une partie de sa dette
internationale. De récents sondages situaient
sa popularité à 65% ou pronostiquaient voici à peine
dix jours, et même samedi soir à la fermeture des bureaux de vote, qu'il
gagnerait son référendum en écrasant de 20 points les
partisans du non. Le président équatorien a toutefois obtenu
pour chacune des dix questions un avantage nettement plus mesuré,
compris entre 2 et 11 points selon le Conseil national électoral (CNE).
Le comptage rapide du CNE effectué avec
une marge d'erreur limitée à 0,5% à partir des résultats
transmis par 3.900 bureaux de vote, sur un total de 29.688,
montre un oui oscillant selon les questions entre 44,9% et 50,7% des suffrages,
le non évoluant pour sa part entre 39,2% et 43,1%.
Objet de la question nº 9, la proposition
de création, par l'Assemblée nationale, d'un conseil réglementant
les contenus des médias et instaurant des critères de responsabilité
des journalistes et des médias, présentée comme une
atteinte à la liberté d'expression par l'Union nationale des
journalistes, aurait, selon la projection du CNE, été adoptée
de justesse par 44,9% de oui contre 42,7% de non.
Victoire étriquée aussi, par 46,15% contre 43,11%,
de Rafael Correa à la question nº 4, qui propose de remplacer
pendant 18 mois le Conseil de la magistrature par une commission de trois
personnalités représentant le gouvernement, l'Assemblée
nationale (que domine le mouvement Alianza Pais de Rafael Correa) et la Fonction
de transparence et de contrôle social, un organisme public dépendant
du pouvoir.
Le président Correa aura ainsi, officiellement pour dynamiser la
justice et en extraire la corruption, un contrôle rapproché
sur la sélection, l'évaluation, la promotion et la sanction
des magistrats. Les adversaires du chef de l'Etat redoutent que la justice
en devienne un instrument de persécution politique de l'opposition,
comme dans d'autres pays latino-américains dominés par la gauche
radicale, tels le Venezuela, la Bolivie et le Nicaragua.
Fin probable des corridas en Equateur
Il est significatif que ces deux questions clefs du référendum,
la nº 9 et la nº 4, visant à asseoir la domination présidentielle sur
les médias et la justice, soient celles qui aient recueilli la plus faible
adhésion selon la projection du CNE. Le dépouillement effectif
de 30% des bulletins de vote, ce dimanche à 10h30 GMT, a même réduit
à un seul point l'écart entre le oui et le non sur ces deux questions.
[Suivre
l'évolution du dépouillement officiel des réponses aux 10 questions du référendum]
Si, lorsque dans quelques jours sera enfin connu le verdict définitif officiel des urnes,
la surprise d'une double victoire finale du non se produisait sur le
contrôle de la justice et la réglementation des médias,
Rafael Correa perdrait alors politiquement son référendum,
malgré son avantage sur l'ensemble des autres questions. Sa principale consolation,
dans sa vision autoritaire, serait d'avoir obtenu tout de même
que l'actionnariat des médias et des institutions financières
soit désormais limité à leur propre secteur respectif.
Banques et médias privés, deux ennemis désignés
par Rafael Correa, devraient s'en trouver affaiblis.
Très préoccupés par l'insécurité,
les Equatoriens ont, selon le CNE, fait triompher avec la marge la plus ample,
50,7% de oui contre 39,2% de non, la réforme pénale visant
à restreindre les libérations de prévenus après
un an de détention préventive.
Interdiction des casinos et des salles de jeux, pénalisation de l'enrichissement
"injustifié", obligation d'affiliation des salariés à
la sécurité sociale et interdiction "des spectacles ayant pour
finalité de donner la mort à un animal", donc notamment les
corridas, sont les autres réformes entérinées.
Corridas, combats de coqs et autres spectacles débouchant sur la
mort d'animaux pourraient théoriquement subsister dans les cantons
qui ont voté contre leur disparition. Mais la majorité des
électeurs des principales villes, Quito, Guayaquil et Cuenca ne souhaitant
plus, selon un sondage, maintenir de tels spectacles, les corridas semblent
avoir vécu en Equateur. Celles de la feria de Quito jouissent pourtant
d'un grand prestige en Amérique du Sud.
Une raison de réfléchir avant la présidentielle
de 2013
La faible marge globale en faveur du oui surprend d'autant plus que le président
Correa fut pendant la campagne référendaire omniprésent
dans les nombreux médias publics, ainsi que sur les chaînes de
télévisions privées, contraintes, comme au Venezuela,
à diffuser de multiples interventions du chef de l'Etat et même
ses critiques adressées à l'opposition. et aux journalistes.
Rafael Correa qualifie ces derniers de "menteurs", "corrompus" et "sicarios
de tinta" [littéralement, "tueurs à gage encrés"].
Principale figure de l'opposition, l'ex-président Lucio Gutierrez
prétend que l'Equateur vient de vivre "le processus électoral
le plus frauduleux et le plus inégal de son histoire", vu l'abus massif
des ressources publiques qu'il attribue au président Correa pendant
la campagne pour faire triompher le oui.
Au-delà du contrôle de la justice et des médias, les
observateurs notent que Rafael Correa cherchait aussi, en convoquant ce référendum,
à mesurer sa popularité après la révolte policière
pour raisons salariales du 30 septembre dernier, qu'il qualifia de tentative
de coup d'Etat, et avant l'élection présidentielle de 2013.
"A cet égard, sa victoire ajustée devrait le faire réfléchir"
estime le journaliste et analyste César Muñoz Acebes.
Rafael Correa n'en multiplie pas moins déclarations, sourires et
gestes de triomphe. Il annonce la radicalisation de sa "révolution
citoyenne". A Caracas, son ami Hugo Chavez a écrit sur Twitter : "Impressionnante,
la grande victoire du peuple équatorien et de son leader, le frère
Bolivarien et Alfariste Rafael Correa!". [Alfariste = partisan d'Eloy Alfaro,
caudillo équatorien du début du 20e siècle; ndlr].