Equateur-élection présidentielle: l'ex-colonel putschiste de gauche Lucio Gutierrez remporte le 1er tour
Bien que, pendant la campagne, la perspective d'une accession à la présidence l'ait progressivement incité à la modération, Lucio Gutierrez a souvent exprimé ses sympathies et même son "admiration" pour Fidel Castro et pour le président Hugo Chavez du Venezuela (également populiste de gauche et ex-officier putschiste), au point de gagner le surnom de "Chavez équatorien". Lucio Gutierrez semble par ailleurs bénéficier de "l'effet Lula", l'élection attendue du syndicaliste de gauche Luiz Inacio Lula da Silva à la présidence du Brésil, le 27 octobre, créant une onde favorable à toute la gauche latino-américaine.
Parmi les candidats de partis traditionnels rejetés dans l'ombre figurent l'ex-vice-président socialiste Leon Roldos (15,53%), l'ex-président social-démocrate et favori des sondages Rodrigo Borja (14,05%), ainsi que le social-chrétien Xavier Neira (12,27%). Les Equatoriens renouvelaient aussi leurs députés et leurs conseillers municipaux. Les résultats de ces deux autres scrutins seront connus plus tard. L'Equateur jouissant d'un régime présidentiel, l'élection importante est celle du chef de l'Etat. "Je ne diviserai pas le pays" Le 21 janvier 2000, tandis qu'un gigantesque crash bancaire venait d'appauvrir brutalement la classe moyenne, Lucio Gutierrez, alors colonel, occupait pendant trois heures à Quito le palais présidentiel de Carondelet lors d'un putsch sans effusion de sang mené par des dirigeants indiens et des officiers de gauche aujourd'hui amnistiés. Ce putsch entraînait la chute du président démocrate chrétien Jamil Mahuad. Son vice-président, l'indépendant Gustavo Noboa (aucun lien de parenté avec le magnat de la banane Alvaro Noboa) prenait la relève et dollarisait l'Equateur. Il cédera la présidence à son successeur en janvier prochain. Agé aujourd'hui de 45 ans, Lucio Gutierrez, ingénieur civil diplômé de l'Ecole supérieure polytechnique de l'armée, n'apprécie pas l'expression "coup d'Etat". Il préfère dire que, le 21 janvier 2000, ce fut le peuple qui prit le pouvoir. Le parti qu'il a fondé depuis s'appelle "Mouvement société patriotique du 21 janvier". S'il a abandonné l'armée, le vainqueur du premier tour de la présidentielle n'en garde pas moins des attaches avec le monde des casernes. Pendant la campagne électorale, il a revêtu des vêtements olive de style militaire. Dimanche, avant la clôture du premier tour et craignant d'être victime de fraudes, il demandait à l'armée et à la police nationale "d'être une fois de plus aux côtés du peuple, comme le 21 janvier". Mais avant même de connaître les résultats quasi définitifs du premier tour et de se déclarer "sûr de l'emporter au second pour faire renaître l'espoir de changement dans notre pays", Lucio Gutierrez se défendait de tout extrémisme, se déclarait "de centre gauche" et attribuait son surnom de "Chavez équatorien" à une tentative de "diabolisation de la part de la bancocratie corrompue". La lutte contre la corruption et la pauvreté, qui frappe près de 80% des 12 millions d'Equatoriens, a été au centre de la campagne électorale de tous les candidats. Lucio Gutierrez propose en outre de renégocier la dette extérieure de l'Equateur (16 milliards de dollars) au sein d'un "front latino-américain" qui déterminerait la capacité réelle de paiement de chaque pays. Il appelle tous les secteurs du pays à "un profond dialogue" qui devrait déboucher sur "un accord national" qui éviterait notamment la fuite des capitaux. "Je ne diviserai pas le pays" a aussi promis l'ex-colonel putschiste, sans doute pour mieux marquer sa différence avec le président vénézuélien Hugo Chavez. Au cours de la campagne électorale, il avait signifié qu'il ne remettrait pas en question la dollarisation de l'Equateur, à laquelle se sont pourtant longtemps opposées la gauche et surtout la forte minorité indienne (30% de la population), qui a contribué de manière décisive à la victoire de Lucio Gutierrez. ZLEA et base aérienne de Manta L'Equateur, ainsi que la Bolivie, la Colombie, le Pérou et le Venezuela appartiennent à la Communauté andine, qui tentera de négocier collectivement l'adhésion de ses membres à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), que les Etats-Unis voudraient opérationnelle dès 2005. Le Venezuela et le Brésil émettent des réserves tant à propos de cette date que sur les principes mêmes d'un libre-échange faussé principalement par les subventions de l'Amérique du Nord à son agriculture. Si Lucio Gutierrez était élu à la présidence, il placerait probablement l'Equateur dans le groupe des contestataires. Washington peut également redouter, en cas de victoire définitive de Lucio Gutierrez, un revirement de l'Equateur à propos de la cession de la base militaire de Manta, très critiquée par la gauche et la communauté indienne. Cédée en 1999 pour dix ans aux Etats-Unis pour contrôler en principe le narcotrafic dans la région, cette base aérienne, à une demi-heure de vol de la Colombie, a acquis une importance stratégique en fonction de la recrudescence du conflit intérieur colombien, qui inquiète tous les pays d'Amérique du Sud. Depuis le mois dernier, Washington autorise le gouvernement colombien à utiliser directement contre la guérilla marxiste le matériel militaire américain livré au départ pour lutter contre les narcotrafiquants. Pensant essentiellement à la ZLEA, qui instaurerait le libre-échange de l'Alaska à la Terre.de-Feu, le président américain George W. Bush avait ouvert son mandat, début 2001, en affirmant que "ce siècle sera le siècle des Amériques". Il pourrait l'être dans le sens opposé à celui souhaité par Washington si les bouleversements électoraux en Equateur, au Venezuela et surtout au Brésil, première puissance sud-américaine, plaçaient progressivement le sous-continent dans une orbite de gauche très militante contenue au siècle dernier au prix de longues dictatures sanglantes. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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