Espagne: les indépendantistes basques accusés de "nettoyage ethnique"par Christian Galloy
Leurs attentats et leurs menaces obligent en effet des milliers de non nationalistes à fuir les provinces basques. Initiateur des poursuites internationales contre l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet, le juge Garzon croit que ce "nettoyage ethnique", qu'il compare aux méthodes nazies et de la mafia, viserait à "assurer un résultat affirmatif" lors d'un éventuel référendum sur l'autodétermination du Pays basque. La convocation "avant la fin de la législature" régionale (en principe 2005) d'un tel référendum, que Madrid estime anticonstitutionnel, a été annoncée en septembre par le lehendakari (président) basque, Juan José Ibarretxe. Le lehendakari appartient au PNV (Parti nationaliste basque, démocrate-chrétien), hostile à la violence, mais partisan d'un "pacte de libre association" qui ferait du Pays basque un associé souverain de l'Espagne. A Madrid, tant le gouvernement conservateur espagnol de José Maria Aznar que l'opposition socialiste affirment que la prétention d'organiser un référendum sur l'autodétermination unit désormais politiquement séparatistes radicaux et nationalistes dits modérés, les seconds utilisant indirectement la violence des premiers comme "levier" politique. M. Aznar a accusé Juan José Ibarretxe et le PNV de "découvrir l'Europe des Balkans" et a averti que Madrid utilisera la loi et la Constitution espagnoles, ainsi que les instances de l'Union européenne, pour empêcher cette aventure. Dans une ordonnance adressée cette semaine à la police et à la garde civile, le juge Garzon leur demande d'élaborer "un rapport exhaustif", avec l'appui d'organismes nationaux, régionaux, syndicaux, patronaux et sociaux, illustrant la discrimination et les atteintes aux libertés découlant au Pays basque de l'activité de l'ETA et du parti Batasuna. Batasuna a été suspendu judiciairement en août dernier pour au moins trois ans en fonction de son appartenance supposée au conglomérat terroriste dirigé par les commandos séparatistes armés de l'ETA, dont les attentats ont fait 837 morts et 2.372 blessés depuis 1968. L'Union européenne et les Etats-Unis ont inscrit l'ETA sur leur catalogue respectif des organisations terroristes. L'évolution des listes d'électeurs, les inscriptions dans les registres de naissances, les refus de subventions municipales (Batasuna contrôle 62 mairies) et un relevé des attentats, agressions ou menaces ayant visé au Pays basque des élus politiques, des professeurs, des journalistes, des chefs d'entreprise, des syndicalistes et des membres d'associations opposées à la violence indépendantiste intéressent particulièrement le juge Garzon. "Crime contre l'humanité" Avec ces informations, le magistrat tentera de démontrer que le Pays basque est victime de ce qu'il appelle "un authentique nettoyage ethnique de basse intensité" visant "à prédéterminer en fonction d'une certaine tendance idéologique la composition du corps électoral... et assurer ainsi le résultat affirmatif d'un éventuel référendum d'autodétermination". Baltasar Garzon assure dans son ordonnance que, "depuis des décades", le Pays basque souffre "du maintien systématique d'un climat de pression et d'intimidation tendant à obtenir non seulement une hégémonie politique du nationalisme extrémiste sur tout le territoire, mais aussi une ségrégation du secteur non nationaliste de la population pour lui rendre insupportable son maintien dans ce territoire". Le juge explique que "la ségrégation d'une partie de la population en raison de son origine ethnique ou géographique ou de son idéologie présumée est inadmissible dans un Etat de droit et constitue en outre un délit pénal et même un crime contre l'humanité". "Batasuna, poursuit-il, emploie au Pays basque les mêmes méthodes d'intimidation contre l'ensemble de la société que celles utilisées en Sicile par le crime organisé... L'expression d'une différence, la contestation et la réponse des citoyens sont absolument proscrites et lorsqu'elles se produisent elles sont immédiatement contrecarrées par l'agression et le harcèlement des contestataires". Après cette référence à la mafia, le juge Garzon évoque aussi les méthodes nazies, accusant Batasuna "d'avoir obtenu ses résultats électoraux avec des méthodes similaires à celles utilisées par le Parti national socialiste allemand sous la République de Weimar". Aux dernières élections régionales basques, en mai 2001, Batasuna avait récolté 143.139 voix, soit 10,12% des suffrages exprimés. Ce pourcentage signifiait un recul important du bras politique de l'ETA par rapport à son score historique de 17,91%, aux élections régionales de 1998. La somme des suffrages obtenus par les nationalistes dits modérés et les indépendantistes radicaux représentait en 2001 la majorité absolue (52,5%) des électeurs basques s'étant rendus aux urnes. Des organisations pacifistes estiment qu'environ 200.000 habitants du Pays basque, soit 10% de sa population, auraient quitté la région au cours des vingt-cinq dernières années, fuyant les attentats, les menaces, les pressions et les vexations qui y frappent les "espagnolistes". Par la voix du philosophe et écrivain Fernando Savater, l'association "Basta ya" (Ça suffit!) a appelé ces exilés à revenir en masse ce samedi au Pays basque pour y manifester, à Saint-Sébastien, "contre le nationalisme obligatoire". 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