Espagne - Catalogne: socialisme national fissuré par l'alliance avec les indépendantistes catalans
Vaincu lors du scrutin régional de novembre par les nationalistes modérés, Pasqual Maragall présidera néanmoins la riche région du nord-est de l'Espagne grâce à une coalition de socialistes, de communistes, d'écologistes et, surtout, d'indépendantistes d'Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, Gauche républicaine de Catalogne). A trois mois des législatives nationales de mars 2004, cette alliance fissure le socialisme espagnol. Le pacte entre les socialistes catalans et ERC a donné au discours d'investiture de Pasqual Maragall des accents radicaux, le nouveau président catalan prétendant ouvrir un "chemin de non retour " pour mener l'actuelle autonomie catalane à une "libre déclaration d'interdépendance". Une formule qui rappelle la "libre association" que l'exécutif régional nationaliste basque tenter d'imposer à l'Espagne. Le Parti populaire (PP) du président du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, est invité à comprendre que ce cheminement serait irréversible, faute de quoi, a averti Pasqual Maragall, "le drame sera servi". Dans un pays où les indépendantismes basque et catalan furent des catalyseurs d'une guerre civile, cette expression a aussitôt fait la une des médias. Prié de tous bords d'expliquer sa menace, M. Maragall s'en est gardé jusqu'à présent. Les nationalistes basques sont aussi accusés d'utiliser la menace lorsqu'ils disent au reste de l'Espagne qu'une "libre association" pourrait mettre fin aux attentats des terroristes séparatistes de l'ETA.
Un nouveau statut d'autonomie devrait entériner ces réformes. La Constitution espagnole prévoit qu'une révision d'un statut d'autonomie régionale doit être approuvée par une majorité qualifiée des Cortes (parlement national) avant de pouvoir être soumise à un référendum régional. Mais même en cas de rejet par les Cortes, Pasqual Maragall organisera en Catalogne une "consultation générale" dans le cadre de "la légalité". Le mot "référendum" n'est pas prononcé, mais cette ambiguïté force une nouvelle référence aux prétentions des nationalistes basques. Eux, quoiqu'en dise la Constitution et quel que soit l'avis des Cortes, organiseraient un référendum -pratiquement d'autodétermination- sur leur objectif de "libre association" avec l'Espagne. Tant en Catalogne qu'au Pays basque, l'horizon 2005 est cité pour cette consultation ou référendum. Le climat politique sera alors brûlant en Espagne. Accroissant les risques d'explosion, le Parti populaire de José Maria Aznar, allergique au dialogue, vient de couler dans le code pénal la sanction de 3 à 5 ans de prison pour tout mandataire public qui convoquerait illégalement aux urnes ses administrés. "Je suis indépendantiste" "Conseiller en chef", soit Premier ministre de Pasqual Maragall, le secrétaire général de la Gauche républicaine catalane (ERC), Josep-Lluis Carod-Rovira, a un langage plus clair que son allié. "Je n'ai jamais été nationaliste. Je suis indépendantiste. Et de gauche..." confirmait-il mardi au journal madrilène "El Mundo". Considéré par les observateurs comme le véritable moteur du nouvel exécutif régional catalan, Carod-Rovira ne se sent "pas à l'aise dans l'Etat espagnol". A ses yeux, "la Catalogne nécessite son propre Etat en Europe" et, dans l'immédiat, elle doit être maître de ses impôts, car elle "ne peut pas supporter plus longtemps le déséquilibre fiscal". Jugé anticonstitutionnel en divers points par le gouvernement espagnol (dont l'usage parfois patriotard de la Constitution crispe aussi le climat politique), le discours Maragall / Carod-Rovira est avalisé publiquement par le secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), José Luis Rodriguez Zapatero. Le PP de José Maria Aznar en déduit que le PSOE aurait perdu son statut de parti national, cherchant à réveiller des appétits régionalistes dont il bénéficierait et qui compenseraient son incapacité, depuis huit ans, à s'imposer au niveau national. Malgré la gestion gouvernementale catastrophique de la marée noire du pétrolier Prestige et l'impopularité du soutien gouvernemental à la guerre en Irak, les sondages actuels prévoient une troisième victoire consécutive du PP aux élections législatives de mars 2004. José Maria Aznar, artisan d'une croissance économique enviée en Europe, ne sera pourtant plus candidat. Le nationalisme espagnol, contrepoids naturel aux nationalismes périphériques (le premier avivant les seconds et vice-versa) risque de pénaliser électoralement dans la majorité des régions le soutien du PSOE au catalanisme radical. Des diplomates européens en poste à Madrid voient déjà en José Luis Rodriguez Zapatero un "cadavre politique". Un jugement peut-être prématuré. La radio et la télévision nationales, contrôlées par des sympathisants du PP, multiplient les déclarations de ministres accusant désormais tant les nationalistes basques et catalans que les socialistes de s'attaquer à la Constitution démocratique de 1978, qui, selon ces ministres, aurait permis à l'Espagne de "vivre sa plus longue période de paix et de prospérité". Grâce notamment au consensus qu'elle cristallisait et qui a présidé à l'établissement des 17 autonomies régionales de l'Espagne du roi Juan Carlos. Grogne de grands barons socialistes Même l'appui de l'influent quotidien "El Pais" et de la "Cadena Ser", première radio du pays, (ces deux médias appartiennent au groupe Prisa) ne permet pas au PSOE de se maintenir à flot dans les sondages. Et ce d'autant plus que des grands barons socialistes (José Bono, président de la région Castilla-La Mancha et Juan Carlos Rodríguez Ibarra, président de l'Estrémadure), ainsi que l'Union générale des travailleurs (UGT, centrale syndicale socialiste) critiquent eux-mêmes le coup que porteraient à la solidarité nationale les nouvelles prétentions d'autonomie fiscale de la riche Catalogne. "Le nationalisme est une nostalgie de la tribu" estime José Bono. Phare du socialisme depuis vingt ans dans la Castille du Sud (Castilla-La Mancha), ce rassembleur tranquille pourrait être appelé à prendre en mains le socialisme espagnol après une déroute du PSOE aux législatives de mars. Critiquant implicitement son coreligionnaire socialiste catalan Maragall et son allié indépendantiste Carod-Rovira, José Bono s'élève contre "celui qui s'autodéfinit de gauche et exacerbe en même temps des sentiments d'appartenance pour nuire au principe de solidarité". "Je ressens, dit-il encore, la menace des nationalismes d'exclusion... Lorsque quelqu'un veut manger à part, c'est parce qu'il veut manger plus". Quant à l'avocate Cristina Alberdi, ex-ministre socialiste des Affaires sociales, célèbre pour son combat en faveur de la légalisation du divorce dans l'immédiat après-franquisme, elle a déchiré mercredi son carnet de militante du PSOE. Elle qualifie l'alliance entre socialistes et indépendantistes catalans "d'escroquerie politique" aux conséquences "imprévisibles". Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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