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Six semaines après le massacre

Leçon des attentats islamistes de Madrid (pour l'Espagne et l'Europe)

par Christian Galloy

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MADRID, dimanche 25 avril 2004 (LatinReporters.com) - L'implication de l'Europe dans le nouveau djihad -"guerre sainte" antioccidentale des islamistes radicaux-, l'activation de ce djihad par des néo-extrémistes issus de l'ample immigration maghrébine et l'influence de ces facteurs conjugués sur la politique intérieure et internationale des pays européens -le cas de l'Espagne pouvant être perçu comme un symbole précurseur- sont les principaux angles d'analyses ouverts six semaines après les attentats islamistes de Madrid, qui ont fait 191 morts et près de 2.000 blessés le 11 mars dernier.

Le massacre à l'explosif de voyageurs de quatre trains de la banlieue madrilène est le premier macro-attentat terroriste s'inscrivant en Europe dans la mouvance d'Al-Qaïda. Sur une cassette audio jugée authentique par les analyses américaines et diffusée le 16 avril par la chaîne de télévision Al-Arabiya, Oussama Ben Laden, leader suprême d'Al-Qaïda, justifiait les attentats de Madrid. Il ne les revendiquait pas, mais les revendications existantes du massacre ont été rédigées au nom de "brigades" se réclamant explicitement d'Al-Qaïda, qui ne les a pas reniées.

Les revendications diffusées à Madrid sous la signature "Abou Doujana l'Afghan, Groupe Ansar, Al-Qaïda en Europe" sont authentiques. La police scientifique espagnole a en effet établi qu'elles furent rédigées par des membres du groupe de sept islamistes qui se sont immolés à l'explosif le 3 avril, lorsque la police les cernait dans un immeuble de la banlieue sud de Madrid. Encore ministre de l'Intérieur avant sa relève par un socialiste, Angel Acebes déclarait alors que parmi ces kamikazes figuraient les deux principaux responsables, selon lui, du massacre du 11 mars: le Tunisien Serhane Ben Abdelmajid Fakhet et le Marocain Jamal Ahmidan.

"Cellule locale autonome organisée en Espagne"

Les attentats de Madrid ont été commis "par une cellule locale autonome organisée en Espagne" précisait Angel Acebes le 14 avril. Il considérait "difficile" de prévenir les actions d'extrémistes intégrés dans la société et qui, soudain, forment "une cellule terroriste active". Aussi croit-il que "de nouveaux instruments de sécurité devront être mis au point, tant en Espagne qu'en Europe".

Les enquêteurs espagnols -avec la collaboration de leurs collègues français, allemands, britanniques, américains, marocains, bulgares, tunisiens et belges- tentent désormais de découvrir les éventuels contacts internationaux du commando islamiste de Madrid . Les soupçons portent en priorité sur le Groupe islamique combattant marocain (GICM), fondé dans les années 90 par des ex-combattants d'Afghanistan. A cet égard, cependant, on demeure dans la bulle des hypothèses, que les médias espagnols et internationaux enflent chaque jour.

Des contacts internationaux sont probables, mais l'intégration locale des terroristes, soulignée par Angel Acebes, est une réalité établie. Parmi les 17 suspects ou inculpés détenus actuellement (15 Marocains, un Syrien et un Espagnol; une vingtaine d'autres suspects ont été relaxés), ainsi que parmi les terroristes qui se sont immolés, la quasi totalité sont ou étaient en séjour régulier en Espagne, souvent depuis plusieurs années. Certains sont même naturalisés Espagnols et jouissent d'une double nationalité.

Le Tunisien Serhane Ben Abdelmajid Fakhet, désigné par Angel Acebes comme "l'instigateur et le coordinateur" des attentats du 11 mars, était agent immobilier à Madrid, après quatre années d'études à l'Université autonome de cette capitale, financées par une bourse du gouvernement espagnol. Lui et ses compagnons marocains -commerçants, ouvriers, étudiants- s'étaient radicalisés au fil des événements internationaux: conflit israélo-palestinien, Afghanistan, Irak...

Sans nécessairement lui appartenir, ils avaient placé leur révolte (ils la qualifiaient eux-mêmes de "djihad") sous le signe d'Al-Qaïda, qui ne les a donc pas reniés. Une occasion de rappeler qu'Al-Qaïda signifie simplement "la base". C'est moins son organisation floue que sa philosophie meurtrière alimentée par des messages répétés de haine et de vengeance qui a servi de catalyseur aux attentats du 11 mars.

Qu'Al-Qaïda puisse à distance, par la force de ses messages, pousser au terrorisme des musulmans intégrés dans la vie quotidienne d'un pays occidental qu'ils vont en conséquence frapper est peut-être le message le plus inquiétant du massacre de Madrid. Les terroristes étaient des immigrés essentiellement Marocains, certains de la seconde génération. L'Espagne compte près de 400.000 immigrés de cette nationalité et l'Union européenne plusieurs millions.

L'erreur serait de jeter le discrédit sur l'ensemble de l'immigration maghrébine et musulmane. On franchirait un pas vers le choc des civilisations souhaité tant par Al-Qaïda que par l'extrême droite du Vieux Continent.

Des attentats tels que ceux de Madrid ou du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, ainsi que la réplique guerrière américaine en Afghanistan et en Irak sont néanmoins des prémices effrayants de ce choc global. Les pays occidentaux doivent d'urgence développer une diplomatie préventive pour freiner cette logique de guerre.

Quant aux responsables politiques qui ont favorisé ou toléré l'immigration massive de citoyens d'une culture théocratique peu perméable à la laïcité démocratique occidentale, leur devoir moral est de s'atteler à la mise au point des "nouveaux instruments de sécurité" évoqués par l'ex-ministre espagnol Angel Acebes. A ce propos, les médias madrilènes s'interrogent notamment sur la liberté de certains imams de prêcher la haine et la xénophobie antioccidentale dans les mosquées européennes sans émouvoir les multiples associations antiracistes financées par les pouvoirs publics.

Risque d'attentats dans d'autres pays européens

Le commando islamiste de Madrid a affirmé avoir frappé l'Espagne en représailles à son appui à la guerre en Irak. Mais il menaçait aussi l'Espagne de nouveaux attentats (une bombe fut découverte à temps sous les rails du TGV Madrid-Séville) si elle ne retirait pas ses soldats d'Afghanistan. Or, même des pays européens hostiles à la guerre Irak tels que la France, l'Allemagne et la Belgique ont des militaires en Afghanistan. A court terme, l'intégrisme islamiste qui a ensanglanté l'Espagne pourrait donc endeuiller plusieurs pays européens qui pouvaient se croire à l'abri en donnant une priorité -moralement juste- au dialogue des civilisations.

L'immolation à l'explosif de sept membres du commando de Madrid accentue cette inquiétude. Parlant de ces "premiers martyrs en Europe" du djihad, l'influent journal madrilène El Pais redoute un effet de contagion, d'émulation au sein d'autres cellules fondamentalistes en Espagne et en Europe.

Tous ces facteurs conjugués -islamisme, haine de l'Occident, conflit israélo-arabe, attentats, représailles, menaces, immigration musulmane massive- conditionnent la politique extérieure de plusieurs pays européens. Il est réaliste de supposer que l'importance de l'immigration musulmane en France, en Allemagne et en Belgique explique au moins partiellement l'hostilité à la guerre en Irak affichée par ces pays. Ils pouvaient redouter des attentats, voire des troubles intérieurs s'ils intervenaient dans ce conflit.

Preuve en est que l'Espagne de José Maria Aznar, allié privilégié de George Bush, a été durement atteinte le 11 mars, trois jours avant des élections législatives. Al-Qaïda ou ceux qui s'en réclament ont alors réussi une première déjà analysée dans les facultés de sciences politiques: renvoyer dans l'opposition, au profit de socialistes qui prônaient le désengagement d'Irak, un gouvernement conservateur porté par son miracle économique et favori de tous les sondages jusqu'au jour du massacre.

"Al-Qaïda a gagné les élections en Espagne" titrèrent plusieurs médias européens. Une conclusion partiellement injuste, compte tenu de la mauvaise gestion de l'émotion par le gouvernement de José Maria Aznar, accusé "d'intoxiquer" en désignant les Basques de l'ETA comme les coupables du massacre. Injuste aussi en fonction du message d'espoir et de renouveau qu'avait réussi à transmettre le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero, désormais président du gouvernement, à des Espagnols massivement hostiles à la participation à l'occupation militaire de l'Irak décidée par M. Aznar.

Conséquences internationales


Lors de sa première visite officielle à l'étranger, hier au Maroc -frappé aussi, en mai 2003 à Casablanca, par des attentats islamistes attribués au GICM- M. Rodriguez Zapatero plaçait la coopération antiterroriste au premier plan de ses relations avec la monarchie policière du roi Mohammed VI. Le journaliste marocain dissident Ali Lmrabet, longtemps emprisonné pour injure au souverain alaouite, qualifiait, avant qu'elle ne soit confirmée, cette nouvelle coopération hispano-marocaine "d'erreur dramatique" nuisible à la démocratie.

Comme pour lui donner raison, José Luis Rodriguez Zapatero a évité, au Maroc, de prononcer les mots "Sahraouis" et "autodétermination", alors que l'Espagne, ancienne puissance coloniale du Sahara occidental annexé par le Maroc, soutenait jusqu'alors clairement ce droit à l'autodétermination reconnu par les Nations Unies aux habitants originels de l'ex-colonie. (Indépendamment des opinions divergentes sur le caractère démocratique ou non du Front Polisario qui encadre les réfugiés sahraouis dans le sud algérien).

José Luis Rodriguez Zapatero avait soulevé de plus grosses vagues en annonçant le 18 avril, quelques heures à peine après la prestation de serment de ses ministres, l'ordre de retrait des 1.300 militaires espagnols déployés en Irak.

Une promesse électorale devenait ainsi une décision ferme, approuvée selon un sondage par trois Espagnols sur quatre. Plusieurs capitales occidentales et le Parti Populaire (opposition conservatrice espagnole) y virent néanmoins un manque de solidarité internationale qui rendrait l'Espagne plus vulnérable au terrorisme.

Entraînant le Honduras et la République dominicaine, faisant aussi douter la Pologne et la Thaïlande du maintien de leurs troupes, l'effet domino du retrait espagnol affaiblit la coalition qui regroupait en Irak des contingents de 35 pays autour des forces américaines. L'Espagne socialiste se distancie par ailleurs de l'atlantisme militant de M. Aznar et s'aligne à nouveau sur l'axe franco-allemand, renforçant la "vieille Europe", selon l'expression dédaigneuse du secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld. Ces revers internationaux en cascade infligés aux Etats-Unis pourraient compliquer la réélection, en novembre, du président américain George Bush.

Comme ceux du 11 septembre 2001, les attentats islamistes de Madrid ont donc des conséquences internationales immédiates et importantes. Que ces attentats aient influencé les résultats des élections législatives, 85% des Espagnols l'admettent dans un sondage publié ce 25 avril par le quotidien catalan "El Periodico". Les islamistes, en particulier ceux d'Al-Qaïda, en sont eux aussi convaincus. Gare aux prochaines veilles d'élections en Occident.

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