Reconstruction de l'Irak: succès plus politique que financier des Etats-Unis à la conférence de Madridpar Christian Galloy
Le résultat financier de cette conférence, un apport théorique de 33 milliards de dollars pour des besoins estimés à 56 milliards jusqu'en 2007, se prête à diverses interprétations. Selon un communiqué officiel espagnol, la conférence a été "organisée par l'Espagne en représentation des Etats-Unis d'Amérique, de l'Union Européenne, du Japon et des Emirats Arabes Unis, en coopération avec les Nations Unies et les institutions financières internationales et avec la participation du Conseil de Gouvernement d'Irak et de l'Autorité Provisoire de la Coalition." Mais cette réunion répondait avant tout au désir et aux intérêts de Washington. Sans son aval, la conférence n'aurait jamais existé. Cette somme record d'aide américaine était d'ailleurs proclamée depuis plusieurs semaines par le président George W. Bush. Sa comptabilisation au bilan de la conférence de Madrid en ressemble d'autant plus à une nouvel effet d'annonce. Destinés en Irak essentiellement à la sécurité et à la remise en état de l'infrastructure pétrolière, les 20,3 milliards de dollars en question seront en outre gérés directement et exclusivement par l'occupant américain. Ils ne seront pas versés au fonds fiduciaire international que géreront les Nations unies et la Banque mondiale. La création de ce fonds est un résultat important de la réunion de Madrid. Il permet de canaliser l'aide de pays et d'institutions qui n'ont pas approuvé la guerre en Irak ni l'occupation de ce pays par les Etats-Unis et leurs alliés. Quant aux 3 à 5 milliards de dollars annoncés à Madrid par le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, et aux 2,5 à 4,25 milliards proposés par le directeur du Fonds monétaire international (FMI), Horst Köhler, ils ne peuvent être octroyés à l'Irak que sous forme de prêts assortis en plus de conditions, selon les statuts de ces deux organismes internationaux. Présent aussi à la conférence de Madrid, le secrétaire d'Etat américain au Trésor, John Snow, expliquait pourtant que les Etats-Unis préfèrent les dons aux crédits, vu le caractère "insupportable" de la dette extérieure irakienne, qui s'élève à 120 milliards de dollars. Les dons proprement dits annoncés à Madrid venant de donateurs autres que les Etats-Unis ne dépassent pas une fourchette allant de 3 à 7 milliards de dollars. Cette réalité tempère le triomphalisme officiel dans lequel s'est clôturé la conférence. Mais tant Colin Powell que son homologue espagnole, Ana Palacio, soulignent leur conviction que la réunion de Madrid ne serait que l'ouverture d'un processus qui ferait bientôt boule de neige en faveur de l'Irak. C'est sur le plan politico-médiatique que les Etats-Unis et le camp pro-américain ont marqué des points incontestables. La seule réunion effective, mise en doute début octobre, de la Conférence de Madrid des donateurs pour la reconstruction de l'Irak est en soi une victoire de Washington. Sa couverture intensive par la presse mondiale a même souligné l'influence internationale montante de l'Espagne atlantiste de José Maria Aznar, organisatrice de la conférence et alliée des Etats-Unis en Irak. Il faut noter l'aide annoncée à l'Irak par des pays moyen-orientaux tels que l'Arabie saoudite, le Koweit, les Emirats Arabes Unis et l'Iran, ce dernier étant pourtant depuis plus de vingt ans l'ennemi traditionnel de Bagdad. Autre aide politiquement significative: celle du Japon, qui fournira même un petit contingent militaire. Couple franco-allemand isolé Les trois principaux opposants à la guerre en Irak -France, Allemagne et Russie- n'avaient envoyé à Madrid que des délégations subalternes. Elles n'ont annoncé aucune contribution autre que leur quote-part, en ce qui concerne Paris et Berlin, à l'aide symbolique de l'Union européenne à l'Irak. L'Union donnera à peine 200 millions d'euros pour 2004. Le commissaire européen aux Relations internationales, Chris Patten, a tenté de sauver la face en affirmant que, jusqu'en 2007, l'apport global de l'Union et de ses Etats membres s'élèvera à 1,3 milliard d'euros. Il n'a pas précisé que la quasi totalité de cette somme sera fournie par le Royaume-Uni (775 millions d'euros) et l'Espagne (258 millions d'euros), deux alliés inconditionnels de Washington. Le couple franco-allemand s'est retrouvé d'autant plus isolé que le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a lui-même estimé, à Madrid, que la reconstruction de l'Irak ne doit pas attendre l'existence préalable, à Bagdad, d'un gouvernement irakien non soumis à l'occupant américain. Tout en souhaitant l'installation rapide d'un exécutif irakien "souverain", Kofi Annan a mis implicitement en garde contre le risque d'élargir "le monde de souffrances" des Irakiens que peut générer, en retardant l'aide, ce débat politique animé essentiellement par la France et l'Allemagne. Le Conseil de gouvernement irakien, qui réussissait à Madrid sa première sortie internationale, annonçait en outre, par la voix de son président Ayad Allaoui, que son pays n'oublierait pas ceux qui l'aident maintenant dans des heures difficiles. Une façon de signifier à Berlin et Paris qu'elles ne recevront pas une part substantielle du gâteau de la reconstruction de l'Irak. En termes de real politik -sans donc préjuger des aspects moraux- la conférence de Madrid a ainsi confirmé, tant sur le plan irakien que sur celui de l'influence internationale globale, que le président français Jacques Chirac et le chancelier allemand Gerhard Schröder sont, avec bien sûr Saddam Hussein, parmi les vaincus de la guerre en Irak. Mais l'insécurité grandissante dans ce pays arabe, soulignée par Kofi Annan et par les chefs d'entreprise inscrits au forum privé de la conférence de Madrid, risque, au rythme actuel des attentats, de faire des Etats-Unis les vaincus de l'après-guerre. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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