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Interview du nº2 de l'Organisation des Etats américains (OEA), Luigi Einaudi

Haïti : "l'OEA n'appuiera pas une intervention armée"

Par Norma Domínguez pour LatinReporters.com

Luigi Einaudi, secrétaire général adjoint de l'OEA
Photo Roberto Ribeiro-OEA
WASHINGTON / BUENOS AIRES, vendredi 13 février 2004 (LatinReporters.com) - "Personne, aucun membre de l'OEA ne va appuyer une intervention armée en Haïti dans les circonstances actuelles. Nous pouvons écarter une intervention militaire de type traditionnel ou similaire à ce qui survint en 1994, lorsque les Etats-Unis menèrent une intervention militaire avec 24.000 soldats pour réinstaller (le président) Aristide" nous a déclaré mercredi soir Luigi Einaudi, secrétaire général adjoint de l'Organisation des Etats américains (OEA). Les affrontements entre partisans et adversaires du président haïtien Jean Bertrand Aristide se poursuivaient jeudi. Ils ont fait plusieurs dizaines de morts.

"Même si beaucoup d'opposants espèrent que les Etats-Unis répètent en sens inverse l'action (de 1994), chassant cette fois Aristide, cela ne se passera pas ainsi. Ce ne sont que des illusions" a poursuivi M. Einaudi. Ce diplomate américain travaille depuis plusieurs années sur le dossier haïtien. Il répondait à Washington, siège de l'OEA, à nos questions posées par téléphone de Buenos Aires.

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L'OEA regroupe tous les pays du continent américain, à la seule exception de Cuba. Elle vise notamment, sur la base de règles et d'accords parfois contraignants, à renforcer la démocratie, la sécurité et le libre commerce continental. Luigi Einaudi était à Haïti le 1er janvier dernier pour la commémoration du bicentenaire de l'indépendance. "Cela aurait dû être, dit-il, un anniversaire national favorisant l'unité, mais la célébration fut très réduite. Nous avons dû rester à Port-au-Prince, sans pouvoir aller aux Gonaïves (4e ville du pays, 200.000 habitants) à cause de l'insécurité et de la violence qui régnaient déjà".

A propos du nombre de morts dans les affrontements actuels en Haïti, M. Einaudi estime "difficile de le connaître". "On parle, poursuit le nº2 de l'OEA, de 40 à 70 personnes (tuées) lors des derniers jours. L'un des malheurs de Haïti est que le mensonge et la désinformation y sont une arme de guerre politique et la presse écrite et télévisée, peu développée, est très craintive. Par exemple, on lit qu'une manifestation a réuni 100.000 personnes, alors qu'étant témoin sur place, nous n'avons pu qu'en voir 10.000. En Haïti, les chiffres sont de la poésie".

Sur l'évolution du conflit intérieur, le secrétaire général adjoint de l'OEA envisage deux options. "L'une, dit-il, est que les choses se développent plus ou moins mal, le nombre de morts, de heurts et l'anarchie augmentant peu à peu. L'anarchie est ici le mot clé. C'est une possibilité sérieuse. Le pays va dans cette direction".

"L'autre option, poursuit Luigi Einaudi, est que l'opposition se rende compte du désastre qu'elle provoque, que le gouvernement lui-même comprenne qu'il doit chercher une position de compromis, comme celle présentée par les Premiers ministres du CARICOM (Communauté des pays Caraïbes), qui obtinrent, à la Jamaïque, l'acceptation par (le président haïtien) Aristide d'une série de points importants tels que la non réélection, un nouveau Premier ministre indépendant, etc.".

Selon M. Einaudi, "le problème est que ces concessions peuvent arriver un peu tard, l'opposition croyant pouvoir se défaire d'Aristide et se refusant donc à coopérer et à participer, faisant en sorte que la situation aille à la dérive. Mon espoir est qu'au bord de l'abîme, plusieurs groupes politiques, avec un peu de flair et de sens national, puissent se rendre compte (de la situation), faire marche arrière et contrôler les bandes violentes qui dominent actuellement la scène".

"Guerre civile de basse intensité"

Le secrétaire général adjoint de l'OEA qualifie la situation en Haïti de "guerre civile de basse intensité relative, mais qui se poursuit depuis au moins deux ans. Certains disent même depuis quinze ans. La vérité est que le président a éprouvé des difficultés à organiser un gouvernement efficace et qu'il affronte une opposition qui se fortifie à cause de l'inefficacité et d'une certaine vulnérabilité de sa gestion. Le problème est qu'il y eut en 1991 un coup d'Etat contre le président Jean-Bertrand Aristide et il décida, lorsqu'il revint au pouvoir, qu'il ne permettrait plus jamais un autre coup d'Etat. Et ce sont justement, d'une certaine façon, ces mesures qu'il prit pour s'assurer le pouvoir qui le rendent vulnérable aujourd'hui".

Luigi Einaudi confirme que l'importante ville des Gonaïves "est hors de contrôle du gouvernement." Il ajoute que "dans d'autres (villes) règne une situation de quasi guérilla et d'incertitude.".

"Tout fait croire, précise-t-il, que l'opposition attend l'occasion de chasser du pouvoir le président Aristide, soit en l'emportant militairement par la force des armes, soit en faisant en sorte que le gouvernement ne puisse plus gouverner et qu'Aristide lui-même se rende compte qu'il doit s'en aller".

"Vu qu'il y a plusieurs groupes armés et qu'il n'existe pas d'armée nationale (ndlr.: le président Aristide l'avait dissoute en 1994, la remplaçant par la police nationale), il n'y a pas de garantie d'ordre public. Le gouvernement n'a pas la force de maintenir l'ordre efficacement face à une opposition qui n'a pas d'alternative claire" estime le nº2 de l'OEA.

A ses yeux, "c'est le type de situation qui nécessite des solutions politiques. Mais les extrêmes violents dominent ceux qui sont politiquement du centre. Le scénario est fortement polarisé et le gouvernement et l'opposition, chacun de son côté, croient pouvoir gagner. Cette façon de penser conduit à l'abîme".

Quant aux attaques contre la liberté de la presse en Haïti, elles sont considérées comme "un problème très grave" par Luigi Einaudi. Il croit néanmoins que "la presse (haïtienne), un peu dans le style du Venezuela, s'est convertie en instrument d'opposition".

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