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Le candidat de gauche Tabaré Vazquez appuyé par les présidents argentin Kirchner et brésilien Lula

Uruguay: tension avec l'Argentine et le Brésil avant l'élection présidentielle d'octobre

Le président uruguayen Jorge Battle en conseil des ministres le 20 janvier dernier
Photo SEPREDI
Par Julio Burdman

BUENOS AIRES, dimanche 1er février 2004 (NuevaMayoria.com / LatinReporters.com) - Les tensions entre le président uruguayen Jorge Battle et son homologue argentin Nestor Kirchner ont acquis le statut de conflit. Un chassé-croisé de déclarations et communiqués, avivé par un échange de doléances à propos de violations passées des droits de l'homme, est l'expression d'une crise dont l'origine réside dans l'un des aspects les plus délicats de la politique internationale: l'intervention de gouvernements nationaux dans la politique interne de pays voisins.

Le Brésil de Luiz Inacio Lula da Silva est aussi concerné. Comme Kirchner, Lula mise sur l'opposant uruguayen de gauche Tabaré Vazquez pour l'élection présidentielle du 31 octobre.

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A la décision argentine d'enquêter sur la disparition en Uruguay de parents du poète argentin Juan Gelman à l'époque des dictatures militaires, le président uruguayen Jorge Battle (du parti Colorado, centre droit) répliqua à la mi-janvier en réclamant également une enquête sur quelque 80 Uruguayens disparus en Argentine entre 1976 et 1983.

Kirchner, lui, ne pardonne pas à Battle ses fameuses et peu heureuses déclarations "off the record" à Bloomberg TV à la veille de l'élection présidentielle argentine d'avril 2003. Le président uruguayen affirmait alors que Carlos Menem serait le vainqueur du scrutin. Ce fut l'origine du problème. Aussi Kirchner nourrit-il une préférence pour le triomphe de l'opposant socialiste Tabaré Vazquez, ex-maire de Montevideo et candidat de Rencontre progressiste - Front élargi (Encuentro Progresista - Frente Amplio) à la prochaine élection présidentielle uruguayenne du 31 octobre 2004. Et depuis le référendum, en décembre dernier, sur la loi régissant l'ANCAP (Administracion Nacional de Combustibles Alcohol y Portland), abrogée par les Uruguayens à une ample majorité, Kirchner appuie ouvertement Vazquez, ce qui a déclenché un conflit politique entre Buenos Aires et Montevideo.

L'abrogation de la loi de l'ANCAP - loi qui permettait la dérégulation du monopole de cette entreprise sur l'importation, le raffinage et la distribution du pétrole et de ses dérivés- transcende le coup d'arrêt, déjà important en soi, que porte cette abrogation à l'ouverture graduelle de l'industrie énergétique uruguayenne. Plutôt qu'une privatisation, la loi en question permettait l'association avec le secteur privé. Elle fut rejetée par 62,2% des Uruguayens, dix points de plus que ne l'avaient pronostiqué les principaux sondages, et ce haut pourcentage influe sur les tendances électorales dans la perspective de la présidentielle uruguayenne du 31 octobre.

Le référendum de décembre fut une victoire de Vazquez sur l'ensemble de la classe politique uruguayenne, celle-là même qui s'était coalisée contre lui quatre ans plus tôt, permettant à Battle de le vaincre lors du second tour de la présidentielle. Contre Vazquez et en faveur de la loi abrogée on comptait non seulement Battle, son vice-président Luis Hierro et l'officialisme, mais aussi les ex-présidents Julio Maria Sanguinetti (du parti Colorado) et Luis Lacalle (du parti Blanco), ainsi que le secteur du Front élargi mené par le sénateur Danilo Astori.

Depuis le succès du référendum et au vu des derniers sondages, les présidents argentin et brésilien, Nestor Kirchner et Luiz Inacio Lula da Silva, considèrent déjà Vazquez comme le vainqueur certain des élections d'octobre et ils n'ont pas manqué d'appuyer le "prochain président progressiste" que comptera l'Amérique du Sud.

Cet appui que Battle ne pardonne pas fut manifeste lors du sommet de Mercosur tenu à Montevideo en décembre, une semaine après le référendum. Kirchner, Lula, Vazquez et le maire de Montevideo, Mariano Arana, apparurent ensemble au balcon de la mairie de la capitale, transformant une cérémonie de remise des clefs de la ville en un acte politique régional inédit, en présence de sympathisants du Front élargi. Y voyant un acte électoral rompant les limites protocolaires, le ministre uruguayen des Affaires étrangères, Didier Opertti, protesta.

L'appui de l'Argentine et du Brésil n'est pas sans risque pour Tabaré Vazquez


Economiquement d'abord, politiquement aussi aujourd'hui, l'Uruguay est acculé par ses deux grands voisins qui déterminent ou cherchent à déterminer sa voie. Le Brésil, puis l'Argentine lui exportèrent leurs crises financières, obtenant -ce qui paraissait impossible il y a des décades- l'effondrement de la confiance dans le système financier uruguayen. Aujourd'hui, l'Argentine de Kirchner et le Brésil de Lula influent sur le processus électoral de l'Uruguay.

Ce "piège du rio de la Plata" est vieux de deux siècles, raison pour laquelle Battle chercha d'emblée un accord bilatéral avec les Etats-Unis lui permettant d'échapper à deux pays auxquels il ne fait pas confiance. Mais il est probable que Vazquez s'impose à la prochaine présidentielle et qu'avec Kirchner et Lula il recompose les relations au sein d'un "Mercosur progressiste". (Mercosur: marché commun sud-américain formé par le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay. Le Chili, la Bolivie et le Pérou en sont des membres associés).

Quoiqu'il en soit, la confusion des niveaux domestique et international dans les relations entre pays est une erreur. Et les trois présidents -Battle, Kirchner et Lula- la commettent. Cette erreur constitue non seulement une transgression grave et primitive des règles de la diplomatie et de la politique extérieure, touchant les questions de souveraineté et d'autodétermination nationales, mais elle implique en outre dans ce cas un risque pour tous les acteurs.

Même si Vazquez apparaît comme le vainqueur du premier tour de la prochaine présidentielle et le favori d'un éventuel ballottage s'il ne l'emportait pas d'emblée, sa victoire n'est pas encore assurée. On avait vu déjà une forte polarisation lors des élections de 1999: l'union contre Vazquez, au second tour, de tous les Uruguayens n'appuyant pas le Front élargi. Il n'obtint alors que 44% des suffrages, alors qu'il avait frôlé les 40% au premier tour.

En cette année 2004, Vazquez semble mieux préparé, grâce à un glissement vers le centre et une tentative de séduction d'indépendants afin d'éviter une nouveau rassemblement des votes anti-Vazquez. Mais certains de ces votes surgiront à nouveau et quoique cela ne paraisse pas le plus probable aujourd'hui, nul ne peut assurer qu'un candidat du parti Blanco ou du parti Colorado ne réunira pas à nouveau la moitié des Uruguayens pour repousser Vazquez. Dans ce cas, un pari des gouvernements argentin et brésilien sur un Vazquez perdant pourrait détériorer pour plusieurs années leurs relations avec l'Uruguay.

Un autre risque, visant cette fois Vazquez, est "l'accolade de l'ours". Actuellement, Kirchner et Lula, suivis du colombien Uribe, sont les présidents les plus populaires de la région. La confiance des Argentins en Kirchner se maintient à un niveau notablement élevé. Mais cette popularité nationale, extensible au niveau provincial et municipal, ne se transfère pas automatiquement entre pays. En Uruguay, la perception d'un appui de Kirchner et de Lula à l'un des candidats peut enthousiasmer des secteurs importants, particulièrement ceux qui ont déjà décidé de voter pour Vazquez, mais elle peut aussi susciter une réaction adverse dans d'autres secteurs non moins importants.

Cette réaction de rejet ne doit pas être sous-estimée, car de nombreux Uruguayens attribuent à la contagion brésilienne et argentine la crise que traverse leur pays ces dernières années. En outre, on l'a dit, il existe une animosité historique: le sentiment national uruguayen s'est construit dans la défense contre l'expansionnisme brésilien et argentin.

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