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Virage protectionniste des Etats-Unis et doutes du Brésil

Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA): l'échéance de 2005 est incertaine

Par Diego Benavente, économiste

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Santiago du Chili, mercredi 24 juillet 2002 (latinreporters.com) - Afin que la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA, ALCA en espagnol) soit une réalité dès la fin de 2005, comme convenu lors du Sommet des Amériques tenu en avril 2001 à Québec, les ministres du Commerce extérieur du continent ont ouvert le 15 mai des négociations formelles qui devraient se conclure en janvier 2005. On est ainsi entré dans l'étape la plus délicate de cette globalisation continentale, au cours de laquelle les 34 pays concernés (tous ceux des Amériques, à la seule exception de Cuba) tenteront de durcir leurs positions et de hausser le ton. L'échéance de 2005 est incertaine, notamment à cause du virage protectionniste des Etats-Unis et des doutes, ainsi renforcés, du Brésil.

C'est à partir de maintenant que les détracteurs de la ZLEA vont intensifier leur opposition. Ils affirment que la ZLEA n'est en rien similaire à l'intégration de l'Europe. L'Union européenne (UE) s'est dessinée au long de plus de 40 ans de négociations, dans un espace économique comparativement plus homogène, et elle a englobé, outre la création d'institutions continentales, le marché du travail et des fonds de compensation pour les économies les plus affectées par la libéralisation commerciale.

Aucune de ces conditions n'est contemplée pour l'instant par le projet de ZLEA et ses adversaires considèrent qu'il s'agit d'un projet stratégique des Etats-Unis pour consolider leur domination sur l'Amérique latine, via la création d'un espace privilégié d'élargissement de leurs frontières économiques.

Pour leur part, les Etats-Unis sont conscients de l'importance de la ZLEA quant au maintien de leur influence dans la région. Au cours des dernières années, l'Europe a fait irruption de manière rapide et frappante en Amérique latine en investissant dans divers secteurs. Raison de plus pour les Etats-Unis de ne pas freiner leur élan visant à accroître leur poids dans la région et, donc, de défendre la ZLEA. Les Nord-Américains ont insisté sur la nécessité de réduire les tarifs douaniers dans le délai le plus bref, de démanteler les restrictions au commerce des services, de respecter la propriété intellectuelle des entreprises transnationales et de traiter de manière égalitaire les investissements étrangers et les flux de capitaux.

Virage protectionniste des Etats-Unis

Néanmoins, Washington a fait récemment un grand virage protectionniste, adoptant une nouvelle loi sur l'agriculture qui augmentera de 80% au cours des dix prochaines années les subsides à la production. Cette décision contredit l'orientation libre-échangiste proclamée à maintes reprises par le président George W. Bush. Sa motivation est peut-être d'accroître le pouvoir de négociation des Etats-Unis face à l'Europe et au Japon, dans la perspective des négociations sur la libéralisation du marché agricole au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Vouloir négocier le dossier agricole, vital pour les pays d'Amérique latine, dans le cadre multilatéral de l'OMC n'est pas positif pour la ZLEA. Si celle-ci n'assurait pas un accès plus large des produits agricoles latino-américains au marché des Etats-Unis, les pays d'Amérique latine verraient réduits substantiellement les avantages de l'intégration continentale.

D'autre part, si le Congrès des Etats-Unis a certes approuvé récemment une loi autorisant le président de ce pays à négocier et signer des accords commerciaux avec d'autres nations (Trade Promotion Authority, TPA), le texte en discussion établit des protections tarifaires et non tarifaires fortement protectionnistes. La nouvelle législation prévoit un accroissement du rôle du Congrès dans les négociations par la création d'un groupe contrôlant le suivi, multipliant de cette façon les consultations entre l'administration et le Congrès avant, pendant et après les négociations.

Ainsi, pour ouvrir la voie à la réduction de la protection tarifaire et non tarifaire des quasi 300 produits considérés comme sensibles par les Etats-Unis dans le secteur agricole, il faudra l'avis favorable du Comité des moyens et arbitrages et du Comité de l'agriculture de la Chambre des représentants, ainsi que le feu vert du Comité des finances et du Comité de l'agriculture, de la nutrition et des forêts du Sénat.

En outre, l'approbation du polémique amendement Dayton-Craig permet au Congrès de modifier les accords commerciaux conclus par le président s'ils sont considérés comme portant préjudice à l'industrie des Etats-Unis. Le texte approuvé comprend aussi d'autres amendements assurant l'intangibilité de la loi antidumping, autorisant le maintien de subsides à l'agriculture et permettant de sanctionner des nations qui recourent à la dévaluation de leur monnaie pour accroître la compétitivité de leurs produits.

Les textes approuvés par le Sénat en mai dernier différant de ceux entérinés en décembre 2001 par la Chambre des représentants, un comité (Conference Comitee) devra concilier les deux positions. Le président Bush espère que le texte définitif sera approuvé afin la fin de la session législative, en août.

Donc, non seulement les négociations sur la ZLEA buteront sur les divergences d'intérêt des 34 pays concernés, mais elles devront en outre affronter le mandat américain de maintien d'aides intérieures et de subsides à l'exportation, ainsi que les consultations internes considérées comme nécessaires par les Etats-Unis, pays qui possède le marché le plus attractif de l'hémisphère.

Caricom, Amérique centrale, Communauté andine et Chili

Par ailleurs, la négociation peut aussi être affectée par les pays les plus petits, comme le démontrèrent le 15 mai dernier à Panama ceux de la Caricom (Communauté des pays Caraïbes). Ils proposèrent d'appliquer les tarifs douaniers consolidés au sein de l'OMC. Cette proposition, qui empêcherait une baisse réelle des droits de douane au sein de la ZLEA, a rompu le consensus et différé un accord sur ce point fondamental.

Pour les pays d'Amérique centrale, le progrès des négociations est vital en fonction de leurs relations étroites avec les Etats-Unis, pays qui représente plus de la moitié de leur commerce et qui est leur principale source de financement externe.

Les pays de la Communauté andine (CAN), comprenant la Bolivie, la Colombie, l'Equateur, le Pérou et le Venezuela, se sont efforcés de parler d'une seule voix au cours des négociations, afin d'obtenir un élargissement de leurs marchés et d'éviter que leurs fragiles économies soient englouties par un libre commerce continental. Leur capacité à négocier unis dépend de la fixation d'un tarif douanier extérieur commun avant le 15 avril 2003. Pour sa part, le président vénézuélien Hugo Chavez a affiché une opposition particulièrement emphatique à la ZLEA, envisageant un report de son ouverture jusqu'en 2006 et suggérant même des schémas d'intégration régionale sans la participation des Etats-Unis.

Au Chili, la situation semble présenter moins d'incertitudes en ce qui concerne l'appui au calendrier établi. Le Chili est le pays des Amériques qui a négocié le plus d'accords avec les futurs membres de la ZLEA, entre eux le Canada, le Mexique, la Colombie, le Venezuela, l'Equateur, le Costa Rica et le Salvador. Le gouvernement chilien voit en la ZLEA le moyen d'élargir et d'améliorer les accords existants. Le pays, selon la vision de ses dirigeants, s'est montré flexible lors des négociations et est en faveur d'une mise en oeuvre rapide et équilibrée de la ZLEA.

Mercosur et l'incertitude brésilienne

Quant au Mercosur (marché commun sud-américain constitué par le Brésil, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, avec le Chili et la Bolivie comme membres associés), l'incertitude demeure quant à savoir s'il négociera en bloc ou non. Le Brésil préfère un front uni, mais l'Argentine est actuellement fortement influencée par les Etats-Unis et sa capacité de négociation est très faible à cause de sa crise économique. Pour l'instant, l'Argentine n'est pas en mesure de retarder l'accord sur la ZLEA.

Le Brésil, lui, a signifié clairement qu'il n'adhérerait à la ZLEA que si elle était compatible avec son intérêt national, qu'il dit défendre comme les Etats-Unis défendent le leur. Cela implique l'élimination, par Washington, de barrières non tarifaires et de l'abus de mécanismes antidumping, ainsi qu'en général de tous les mécanismes empêchant l'accès au marché américain.

D'autre part, si l'élection présidentielle d'octobre était gagnée par le candidat du Parti des travailleurs (PT, gauche), Luiz Inacio Lula da Silva, actuellement en tête des sondages, le Brésil pourrait modifier totalement son attitude à l'égard de la ZLEA. Même s'il affirme être désormais en faveur du libre commerce, Lula a déclaré que les pays riches doivent offrir un accès juste aux produits brésiliens. S'il était élu président, Lula aurait tendance à s'opposer au processus de désarmement douanier de la ZLEA.

En cas de non participation du Brésil, la ZLEA pourrait difficilement voir le jour en 2005. Ce scénario ne doit pas être écarté, de même qu'il ne faut pas considérer comme acquis d'avance un accord définitif sur la ZLEA. Le Brésil n'ignore pas le coût de l'exclusion d'une zone de libre-échange continentale si elle devenait réalité, mais Brasilia sait aussi que l'objectif principal de Washington est de pénétrer son marché. En outre, le pays carioca est conscient de son pouvoir en tant que deuxième puissance de l'hémisphère américain et il intensifie ses négociations avec l'Union européenne et les pays d'Asie et du Pacifique, dont la Chine.

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