CARACAS / MADRID, mercredi 7 décembre 2011 (LatinReporters.com) - Coup décisif porté à l'influence continentale de Washington?
L'avenir le dira. La Communauté des États latino-américains
et des Caraïbes (Celac) est en tout cas née les 2 et 3 décembre
2011 au Venezuela, mais en tempérant le radicalisme de son président,
Hugo Chavez. Les 33 pays de la Celac, soit l'Amérique sans les États-Unis
ni le Canada, entendent promouvoir l'intégration et le développement
du bloc Amérique latine-Caraïbes, ainsi que son influence dans
un monde globalisé.
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Le président vénézuélien Hugo Chavez à
la tribune du sommet fondateur de la Celac, le 3 décembre 2011 à
Caracas. (Photo Marcelo Garcia / Prensa presidencial) |
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Consacrée par la
Déclaration
de Caracas, la création
de la Celac couronne les prémices de
2008
au Brésil et de
2010
au Mexique. Elle est l'objet de lectures contradictoires : défaite
historique des États-Unis à en croire le président vénézuélien
Hugo Chavez et ses alliés régionaux de la gauche radicale,
nouveau pas vers un rééquilibre sans rupture des relations
avec Washington aux yeux de la majorité des pays concernés
ou encore, selon les sceptiques, ajout sans lendemain d'une organisation
à la foule de celles créées en Amérique latine.
Accréditer définitivement l'une ou l'autre de ces lectures
serait prématuré, la Celac sortant à peine du berceau.
La Celac ne remplace pas l'OEA
Réunissant une trentaine de chefs d'État d'idéologies
allant de l'extrême gauche à la droite néo-libérale
(seuls les présidents du Pérou, du Costa Rica et du Salvador
s'étaient fait représenter) et incluant dans une vaste fraternité
latino-américaine les fleurons de la droite régionale que sont
le Mexique, la Colombie et le Chili, Hugo Chavez a redimensionné son
crédit international, détérioré par sa justification
des massacres en Libye et en Syrie, et conforté ses chances de réélection
à la présidentielle du 7 octobre 2012. Son omniprésence
au sommet de la Celac a sensiblement réduit les spéculations
sur le cancer dont il se dit guéri.
Le leader bolivarien aura aussi probablement réussi, grâce à
l'intense couverture médiatique de ses discours et interviews lors
du sommet, à renforcer dans l'imaginaire populaire régional,
au-delà des gouvernements en place, une fierté naïve et
légitime associée à la consolidation supposée
d'une identité latino-américaine. L'affirmation de cette identité
va de pair depuis plusieurs années avec un déclin politique
et aussi économique, quoique moins prononcé, des États-Unis
au sud du Rio Grande.
Par contre, le président Chavez et ses alliés de l'Alba (Alliance
bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) ont été
frustrés dans leur ambition de faire de la Celac le substitut déclaré
de l'Organisation des États américains (OEA), qui siège
à Washington et à laquelle appartiennent les États-Unis
et le Canada. Les trois principales puissances latino-américaines,
Brésil, Mexique et Argentine, s'y opposèrent, ainsi que divers
autres pays dont la Colombie et le Chili. Selon la présidente argentine
Cristina Fernandez de Kirchner, péroniste de gauche qui entretient
des relations étroites avec Hugo Chavez, la Celac ne se crée
"contre personne, mais en faveur de la région". Sans donc la remplacer,
la Celac rivalisera toutefois probablement avec l'OEA pour orienter la solution
d'éventuelles crises nationales ou régionales.
Les grands pays de la Celac ont également imposé le consensus,
c'est-à-dire l'unanimité, dans la prise de décisions.
Le pôle radical de l'Alba, dont le Venezuela, n'a pas été
suivi dans sa proposition de décisions à la majorité
qualifiée.
Moins une organisation qu'un forum de concertation
Des analystes soulignent un autre revers, peut-être seulement provisoire,
qu'aurait subi Hugo Chavez. On lui attribuait le souhait de doter d'emblée
la Celac d'une forte structure pour mieux faire concurrence à l'OEA.
Or, la Déclaration de Caracas et deux documents associés -
Plan
d'action de Caracas et
Procédures
de fonctionnement organique de la Celac - ne dessinent qu'un forum de concertation politique et économique
réunissant annuellement les chefs d'État. L'absence (sans qu'il
soit précisé si elle est définitive ou non) d'un siège,
d'un secrétariat, d'un budget et d'une personnalité juridique
ne permet pas, à ce stade, de qualifier la Celac d'organisation.
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Le 3 décembre 2011 au sommet de Caracas, le président vénézuélien
Hugo Chavez (à droite) a transmis à son homologue chilien,
le milliardaire de centre droit Sebastian Piñera (à gauche),
la présidence de la Celac pour l'année 2012. (Photo Efrain Gonzalez / Prensa presidencial) |
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Dans les circonstances présentes, l'existence de la Celac reposera
sur le sommet annuel financé par le pays hôte, les réunions
intercalaires des ministres des Affaires étrangères et la présidence
tournante (provisoirement annuelle) qu'assume un pays assisté par
celui l'ayant précédé et celui qui lui succédera.
Succédant au Venezuela, le Chili présidera la Celac en 2012
et Cuba en 2013. Ces trois pays forment l'actuelle troïka dirigeante
et leurs présidents respectifs - Hugo Chavez, Sebastian Piñera
et Raul Castro - seront en principe en 2012 les interlocuteurs de l'Europe
communautaire au 7e sommet Union européenne - Amérique latine
et Caraïbes.
Sauf le Groupe de Rio, lui aussi forum de concertation politique désormais
absorbé par la Celac, les organisations régionales existantes
sont maintenues, notamment l'Unasur (Union des nations sud-américaines),
le Mercosur (Marché commun du Sud) et la CAN (Communauté andine
des nations). La Celac se propose de tenter de coordonner et d'optimiser
leurs activités.
Se blinder contre la crise globale sous l'impulsion du Brésil
Brasilia, inspiratrice initiale dès 2008 et principale bénéficiaire
potentielle de la Celac qui pourrait consolider l'émergence du Brésil
comme puissance globale, a réussi à centrer
le sommet de Caracas sur l'urgence économique. "La crise mondiale
est au centre des préoccupations de la Celac" a affirmé la
présidente brésilienne Dilma Rousseff. Relativement épargnée
par la crise, jouissant d'une croissance annuelle moyenne de 5% grâce
surtout à la plus-value persistante de matières premières
et produits agricoles exportés en Chine et en Inde, l'Amérique
latine redoute les conséquences de la crise européenne de la
dette qui ralentit déjà l'économie chinoise. "Il faut
étudier la situation actuelle de l'Union européenne pour savoir
ce qu'il ne faut pas faire" ont dit des participants au sommet.
Les 33 pays réunis à Caracas se sont en conséquence
engagés à se blinder contre le marasme extérieur, tant
européen que nord-américain, en intensifiant entre eux le commerce
et les investissements. Une "préférence douanière latino-américaine
et des Caraïbes" sera élaborée, ainsi qu'une architecture
financière commune. Dans ce cadre, l'unique pays incontournable, celui
sans lequel la Celac perdrait toute raison d'être, sera le Brésil.
Septième puissance mondiale avec en 2010 un PIB de 2.090 milliards
de dollars (sept fois celui du Venezuela),
le géant sud-américain dispose de réserves monétaires
de 360 milliards de dollars, la moitié de celles de l'ensemble des
pays de la Celac.
Le sommet de Caracas a par ailleurs condamné l'embargo dont les États-Unis
frappent toujours Cuba et soutenu la revendication de l'Argentine sur les
îles Malouines. La Celac a aussi adopté une
"
Déclaration
spéciale sur la défense de la démocratie et de l'ordre constitutionnel"
censée prémunir contre des tentatives de coup d'État
les gouvernements élus démocratiquement. Cette déclaration
est silencieuse sur la situation à Cuba et sur les atteintes aux libertés
et à l'ordre constitutionnel imputables, le cas échéant,
au pouvoir dans les pays d'Amérique latine et des Caraïbes.