Mexico / Madrid, dimanche 21 février 2010 (LatinReporters.com)
- "Union de l'Amérique latine et des Caraïbes" : ce
nom que propose le Brésil désignera une nouvelle entité
quasi continentale échappant à la tutelle de Washington. Elle
engloberait, y compris Cuba, tous les pays des Amériques sauf les
Etats-Unis et le Canada. Son acte de naissance pourrait être signé
lors du 2e sommet Amérique latine-Caraïbes (ALC), les 22 et 23
février à Playa del Carmen (68 km au sud de Cancun, Mexique).
Le sommet du Groupe de Rio s'y tiendra simultanément. Ce double rendez-vous
est appelé significativement "Sommet de l'unité".
Pour autant que sa concrétisation aille au-delà de discours
lyriques et de la signature d'une charte officielle, la nouvelle union, s'étendant
du Rio Bravo à la Terre de Feu, ferait nécessairement de l'ombre,
malgré les assurances contraires du Mexique, à l'Organisation
des Etats américains (OEA), longtemps dominée et encore très
influencée par Washington.
L'idée d'une Union de l'Amérique latine et des Caraïbes
était lancée en décembre 2008 par les deux principales
puissances latino-américaines, dans l'ordre le Brésil et le Mexique,
au
premier sommet ALC,
convoqué à Costa da Sauipe (Brésil)
par le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva.
L'habituelle surmédiatisation du président vénézuélien
Hugo Chavez, qui a confirmé sa présence "au sommet de Cancun"
(tenu donc en fait à Playa del Carmen), n'empêchera pas en principe
le socialiste modéré Lula da Silva et le conservateur Felipe
Calderon de jouer à nouveau les premiers rôles. Le Brésil
et le Mexique qu'ils président respectivement réunissent 52%
des 570 millions de Latino-Américains et 60% du produit intérieur
brut de l'Amérique latine et des Caraïbes.
Comme l'Union européenne? Difficile, vu la force des antagonismes
idéologiques
Brasilia et Mexico pourraient-elles exercer en faveur de l'union du monde
latino-américain une influence commune aussi décisive que le
fut longtemps celle du couple franco-allemand sur l'Union européenne?
Peut-être, quoique pour l'heure la comparaison relève de la
politique-fiction. D'abord à cause de l'inexistence d'un socle économique
communautaire comparable à ce que fut pour l'Union européenne
la Communauté européenne du charbon et de l'acier (qui parle
encore aujourd'hui du gazoduc sud-américain tant annoncé par
le Venezuela voici plus de cinq ans?). En outre et surtout, le choc de modèles
de société antagonistes éloigne l'Amérique latine
de l'exemple européen qu'elle désigne pourtant souvent comme
référence.
Le consensus, du centre gauche au centre droit, sur le modèle d'économie
sociale de marché fut et demeure, malgré la crise actuelle, un ciment essentiel de l'Union européenne.
Ce modèle est relativement suivi ou progressivement instauré
au Mexique et dans la plupart des pays d'Amérique centrale, ainsi
que dans la majorité des pays de
l'
Union des
nations sud-américaines (Unasur), y compris ceux relevant d'une gauche dite modérée
(Brésil, Uruguay et, avec des nuances, l'Argentine; le Chili, lui,
vient de virer au centre droit).
Ce modèle ne réunit toutefois pas dans ces pays un consensus
aussi large qu'en Europe. En outre, il est combattu de front par les gouvernements
de la gauche radicale qui imposent graduellement au Venezuela, en Equateur,
en Bolivie et au Nicaragua un collectivisme d'Etat appliqué pleinement
depuis un demi-siècle à Cuba. Les antagonismes idéologiques,
que le Brésil s'efforce d'endiguer dans la région, font même surgir entre la
Colombie et le Venezuela des menaces de guerre proférées ou
dénoncées, c'est selon, par Hugo Chavez.
Un accord de libre-échange entre le Brésil et le Mexique
serait un puissant levier
Compte tenu des obstacles relevés, que signifierait cette nouvelle
union des 33 pays de l'Amérique latine et des Caraïbes? "Un nouvel
espace de dialogue, de concertation et de coordination régionale"
sur des dossiers tels que, notamment, la crise économique internationale,
le changement climatique, la lutte contre le crime organisé, a expliqué
à la presse Salvador Beltran del Rio, sous-secrétaire d'Etat
mexicain pour l'Amérique latine et les Caraïbes. Tant sur le
plan diplomatique qu'économique, mieux faire entendre la voix de l'Amérique
latine et accroître son influence dans un monde globalisé est
une ambition partagée par toutes les capitales de la région.
Concrètement, la base de lancement serait le
Groupe
de Rio, regroupant actuellement une vingtaine de pays, qui serait élargi à
l'échelle quasi continentale pour former l'Union de l'Amérique latine et des
Caraïbes. Le Groupe de Rio n'étant qu'une instance de consultation
et de concertation politique, les observateurs avertis ne se laisseront pas
impressionner par les titres dithyrambiques qui salueraient dans les médias
un succès du "Sommet de l'unité". D'autant que l'Union des
nations sud-américaines, née officiellement en mai 2008, elle-même
héritière de la Communauté sud-américaine des
nations, demeurée coquille vide depuis sa création en 2004
au Pérou, n'est encore qu'une instance de dialogue politique, certes
utile pour désamorcer des conflits entre ses membres, mais sans leur
offrir jusqu'à présent une véritable plate-forme économique
et commerciale, sans avancer de manière substantielle vers l'intégration en son sein
du
Mercosur et
de la
Communauté
andine des nations.
Ce piétinement de l'Unasur pourtant tant célébrée n'invite pas à
croire qu'une nouvelle union se superposant aux multiples autres déjà existantes
à échelle plus réduite en Amérique latine puisse atteindre
plus rapidement des objectifs significatifs... A moins que les deux poids
lourds, Brésil et Mexique, ne concrétisent à court terme
leur idée naissante d'accord bilatéral de libre-échange.
Cela créerait d'emblée un marché de 300 millions de
consommateurs, un puissant levier potentiel pour dynamiser économiquement
et politiquement l'Amérique latine.
Démocratie...
Et la démocratie au sein de la nouvelle Union des nations sud-américaines?
Elle n'échapperait sans doute pas au pragmatisme. Preuve en est qu'en
décembre 2008 la déclaration finale du premier sommet Amérique
latine-Caraïbes reconnaissait "le droit de tout Etat à construire
son propre système politique". L'entrée de Cuba dans le Groupe
de Rio et dans l'actuel projet d'union élargie était ainsi
justifiée, avec applaudissements pour Raul Castro, président
de l'unique pays des Amériques qui prohibe le pluralisme politique.
Preuve en est aussi que l'absence du Honduras, que le Mexique n'a pas invité
au "Sommet de l'unité", n'est qu'un vide très provisoire.
Marcelo Baumbach, porte-parole du président brésilien Lula
da Silva, vient en effet de se prononcer, comme avant lui l'Union européenne,
en faveur de la rupture de l'isolement international qui frappe Tegucigalpa
depuis le coup d'Etat du 28 juin 2009. Quoique contestée, l'élection
du président conservateur hondurien Porfirio Lobo, le 29 novembre
dernier, favorise cette normalisation.
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