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Après le mégasommet convoqué par le président Lula
Entente nouvelle Brésil-Mexique, clé de l'Union Amérique latine-Caraïbes
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Au sommet présidentiel de Costa do Sauipe, Evo Morales, Lula da Silva, Michelle Bachelet (1er rang, de gauche à droite), Hugo Chavez, Raul Castro et Felipe Calderon (2e rang) - Photo ABN / ABI |
MADRID, dimanche 21 décembre 2008 (LatinReporters.com) - En importance
politique et économique, le Brésil est le premier pays d'Amérique
latine et le Mexique le principal pays latino-américain au nord du
canal de Panama. Ensemble, ils représentent 52% des 570 millions
d'habitants et 60% du PIB des pays d'Amérique latine et des Caraïbes.
Ces derniers, symbolisant leur affranchissement à l'égard de
Washington, viennent de décider de forger leur union quasi continentale, incluant Cuba,
favorisée par une nouvelle conjonction d'intérêts entre
Brasilia et Mexico. Ces deux capitales pourraient exercer sur le monde latino-américain
une influence commune aussi décisive que le fut longtemps celle du
couple franco-allemand sur l'Union européenne.
Le sommet présidentiel des 16 et 17 décembre à Costa
do Sauipe (Brésil) réunissait pour la première fois
les 33 pays d'Amérique latine et des Caraïbes, y compris Cuba,
sans la présence des Etats-Unis ni de l'Europe. Théoriquement
pour des raisons intérieures qui n'ont pas empêché quelques
spéculations, seuls le Pérou, la Colombie, le Costa Rica et
le Salvador n'avaient pas dépêché leur chef d'Etat, représenté
par une personnalité gouvernementale.
Le président socialiste brésilien Luiz Inacio Lula da Silva,
artisan de la création de l'Unasur
qui regroupe les 12 nations sud-américaines,
a renforcé son déjà grand prestige international en
organisant ce sommet qui a débouché sur un projet d'intégration
régionale dépassant le cadre du sous-continent. Son principal
résultat, annoncé en conférence de presse finale par
Lula da Silva et son homologue mexicain, le conservateur Felipe Calderon,
est en effet la décision de créer ce qui pourrait s'appeler
l'Union de l'Amérique latine et des Caraïbes (UAC; mais le choix
du nom n'est pas encore arrêté). Structures et fonctions permanentes
seraient attribuées à la nouvelle entité. La proposition
avait été formulée au cours du sommet par Felipe Calderon.
Ce dernier avait en outre salué chaudement l'adhésion de Cuba
au Groupe de Rio, qui
pourrait se muer en structure de lancement de l'UAC.
Le président Raul Castro, frère de Fidel, représentait
son île.
MM. Lula et Calderon avaient-ils écrit ensemble le scénario
de ce mégasommet de Costa do Sauipe, où se succédèrent
au cours des mêmes 48 heures les sommets du
Mercosur, de l'Unasur,
du Groupe de Rio et celui, coiffant les 3 autres, de l'Amérique latine-Caraïbes?
Cette hypothèse pourrait surprendre, le Brésil étant
l'un des fossoyeurs du projet de Zone de libre-échange des Amériques
(ZLEA)
défendu par les Etats-Unis, tandis qu'au contraire le Mexique
est depuis 1994, aux côtés du Canada et des Etats-Unis, l'un
des trois membres de l’Accord de libre-échange nord-américain
(ALENA).
A l'époque commissaire au Commerce de l'Union européenne,
le Français Pascal Lamy, aujourd'hui directeur général
de l'Organisation mondiale du commerce, qualifiait en 2001 l'ALENA de "gros
étage de la fusée que les Américains veulent construire"
avec la ZLEA.
L'hypothèse d'une concertation stratégique entre Brasilia
et Mexico est toutefois vraisemblable si l'on admet que le président
mexicain Felipe Calderon regarde désormais autant le
Sud que le Nord. Devant ses pairs et applaudi même par le président
vénézuélien Hugo Chavez, qui avait pourtant soutenu le
candidat de gauche Andres Manuel Lopez Obrador à l'élection
présidentielle mexicaine de 2006, le conservateur Calderon, paraphrasant
parfois le Brésilien Lula, a prôné l'instauration dès
2010, du Rio Bravo jusqu'à la Patagonie, d'une Union de l'Amérique
latine et des Caraïbes "sur des bases politiques et sociales, économiques
et culturelles". Il s'agirait, disait M. Calderon, de donner à l'ensemble
de l'Amérique latine "la solidité dont elle a besoin pour faire
valoir dans un monde global sa propre identité, sa propre force et
ses propres potentialités".
Un directoire Brasilia-Mexico endiguerait peut-être l'influence
de Hugo Chavez
Ce virage significatif du Mexique témoigne de la réduction
de l'influence des Etats-Unis sur le continent américain. En revanche,
il endiguera peut-être l'influence régionale d'un ennemi de
Washington, le Venezuela du président Chavez, que pourrait prendre
délicatement en tenailles un discret directoire informel Brasilia-Mexico,
dont la fibre latino-américaine resterait distante de l'antiaméricanisme
outrancier et des penchants néocollectivistes de Hugo Chavez.
Directeur de la chaire des Relations internationales de l'Université
de Belgrano et de l'Observatoire électoral latino-américain,
chroniqueur aussi de divers médias influents du continent (et occasionnellement
de LatinReporters), l'analyste argentin Julio Burdman
faisait le 17 décembre ce commentaire sur le nouveau schéma d'union politique
couvrant, comme défini à Costa do Sauipe, l'ensemble du continent américain à l'exception des
Etats-Unis et du Canada:
"Derrière cela, il y a une entente entre le Brésil et le Mexique
qui n'existait pas au cours des années précédentes. Plusieurs
facteurs ont accéléré l'histoire: les doutes [du Mexique]
à propos de l'ALENA dans le contexte de la crise [financière
et économique mondiale], l'incertitude quant aux relations entre Washington
et la région après l'ère Bush, la méfiance sur
le nouveau rôle de [Hugo] Chavez en Amérique centrale et dans
les Caraïbes et aussi l'hypothèse d'une ouverture graduelle à
Cuba sembleraient rédiger un nouvel agenda entre les deux pays latins
les plus importants de la région, éloignés auparavant
l'un de l'autre par deux projets différents".
"Tirer la barbe de l'indifférent voisin du Nord"
L'éditorialiste de l'influent quotidien mexicain
El Universal (centre
droit) constatait lui aussi, le 18 décembre, le virage du Mexique et
l'encourageait en ces termes:
"Vu le peu d'attention que le président élu des Etats-Unis,
Barack Obama, a octroyé au Mexique, ... le président Felipe
Calderon a modifié la stratégie géopolitique. Il semble
disposé à obliger le voisin [les Etats-Unis] à regarder
vers le Sud, même si cela implique une réduction de l'influence
du géant [américain] sur le continent.
On ne peut interpréter autrement la proposition faite par le gouvernement
mexicain [au sommet de Costa do Sauipe] devant les autres mandataires
de la région: convertir le Groupe de Rio, un simple mécanisme
de consultation et de concertation politique, en une nouvelle organisation
qui, contrairement à l'Organisation des Etats américains (OEA),
inclut Cuba et exclut les Etats-Unis.
Au cours des dernières années, surtout à partir de
l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain,
le Mexique s'est rapproché davantage du Nord et est demeuré
loin du Sud, qui a établi sa propre dynamique au moyen du Mercosur
... Néanmoins, dans le processus d'intégration de l'Amérique
du Nord, contraire à celui de l'Amérique du Sud, les gouvernements,
du moins en ce qui concerne les Etats-Unis, ne recherchent pas l'homologation
politique, sociale, culturelle, environnementale et technologique...
... Le Mexique peut profiter d'une conjoncture favorable. L'Amérique
latine vit un moment historique de consensus sur l'acceptation de régimes
injuriés par les Etats-Unis, tels le Venezuela et Cuba, aujourd'hui
"amis" du gouvernement de Calderon. En outre, la puissance mondiale n'est
pas en condition de s'opposer -ni même dans son "arrière-cour"-
à un bloc contraire à ses intérêts. Deux ans après
son arrivée au pouvoir, Felipe Calderon peut remporter une double victoire:
rendre au Mexique une part du leadership qui lui correspond en Amérique
latine, tout en tirant la barbe de l'indifférent voisin du Nord".
Aux yeux des sceptiques, prévient toutefois Julio Burdman, "le présidentialisme
latino-américain est efficace pour ouvrir un processus, mais inefficace
pour le poursuivre". A cet égard, les observateurs relèvent
que le projet de l'Union de l'Amérique latine et des Caraïbes
est lancé sept mois à peine après la création
officielle de l'Unasur, elle même héritière de la Communauté
sud-américaine des nations, demeurée coquille vide depuis sa
création en 2004 à Cuzco (Pérou).
Il n'empêche que le virage sudiste du Mexique officialisé au
sommet de Costa do Sauipe, doublé de la nouvelle conjonction de ses
intérêts avec ceux du Brésil, est un événement
peut-être plus important que le retour, concrétisé lors
du même sommet, de la dictature des frères Castro dans le concert
global des nations latino-américaines. Sur ce dernier point, la déclaration
finale du sommet Amérique latine-Caraïbes reconnaît "le
droit de tout Etat à construire son propre système politique".
A Buenos Aires, Gabriel C. Salvia, président du Centre pour l'ouverture
et le développement de l'Amérique latine
(CADAL, droite libérale), y voit "un énorme recul" du processus régional de
démocratisation.
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