QUITO / BOGOTA, lundi 14 mars 2011 (LatinReporters.com) - La Colombie avec
Maria Emma Mejia, ex-ministre des Affaires étrangères, et le
Venezuela avec Ali Rodriguez, actuel ministre de l'Energie électrique,
alterneront pendant deux ans, à partir d'avril, au poste clef de secrétaire
général de l'Unasur (Union des nations sud-américaines).
Il succèdent à cette fonction à l'ancien président
de l'Argentine, Nestor Kirchner, décédé subitement le
27 octobre 2010.
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Maria Emma Mejia et Ali Rodriguez (Source: Cubaout.wordpress.com) |
Sous réserve protocolaire d'entérinement par le Conseil des
chefs d'Etat, en avril au Venezuela, la double nomination a été
décidée le 11 mars par le Conseil des ministres des Relations
extérieures des 12 pays de l'Unasur, réuni à la Mitad
del Mundo (la Moitié du Monde). En ce lieu symbolique du district
métropolitain de Quito, capitale de l'Equateur, une ligne tracée
au sol sépare les hémisphères nord et sud. En marge
de la réunion , la première pierre du siège définitif
du secrétariat général de l'Unasur y a été
posée. Au sud de la ligne, bien entendu.
Quant à la présidence annuelle de l'Unasur, tournante par ordre
alphabétique des Etats membres, elle est assumée depuis le 26 novembre 2010 par
le président du Guyana, Bharrat Jagdeo.
L'Unasur existe enfin juridiquement
Les chefs de la diplomatie des douze pays de l'Amérique du Sud (Argentine,
Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Paraguay, Pérou,
Surinam, Uruguay et Venezuela) s'étaient donné rendez-vous
à Quito pour marquer solennellement l'entrée en vigueur, le
11 mars précisément, du Traité constitutif de l'Unasur,
signé le 23 mai 2008 à Brasilia. Près de trois ans ont
été nécessaires pour obtenir sa ratification par au
moins neuf pays comme l'exige le traité. Seuls le Paraguay et, curieusement,
le Brésil, pourtant principal promoteur de l'Unasur, se font encore
attendre.
Le quota de ratifications enfin atteint, l'Unasur est désormais un
organisme international avec pleine capacité juridique. Cette mutation
a été communiquée officiellement à l'Organisation
des Nations unies.
Quoiqu'étant alors seulement un forum de rencontres et de débats
au plus haut niveau, l'Unasur avait joué un rôle stabilisateur
dans trois crises régionales successives, en 2008 lors du mouvement
centrifuge des départements de l'est bolivien, en 2009 et 2010 dans
la vive tension opposant le Venezuela à la Colombie (dossier des facilités
militaires offertes par Bogota aux Etats-Unis) et en septembre 2010, lorsqu'une
rébellion policière pour raisons salariales fit crier au
coup d'Etat le président de l'Equateur, Rafael Correa.
L'intervention de l'Unasur pour résoudre ou tempérer ces crises
court-circuita l'Organisation des Etats américains (OEA), que le Venezuela
et ses alliés de la gauche radicale jugent trop influencée
par les Etats-Unis.
Chavez satisfait
A Caracas, le président vénézuélien Hugo Chavez
a salué dans une allocution télévisée la concrétisation
formelle de l'Unasur et a dénoncé, sans fournir de précisions,
les
"conspirations pour l'empêcher".
"Aujourd'hui l'Unasur assume un caractère juridique international
(...) et quoique certains ne le voulaient pas et ne le veulent pas,
ils devront nous reconnaître comme institution dans le concert,
comme on dit, des institutions de cette planète" a affirmé
Hugo Chavez. Selon lui, l'Unasur est
"nécessaire à la sauvegarde
de notre indépendance, à la continuation des processus de libération
et d'union. C'est seulement en étant unis que nous serons libres".
On en déduira que désigner le successeur du défunt Nestor
Kirchner, politiquement proche de Chavez, à la tête du secrétariat
général de l'Unasur n'était pas une opération
anodine.
Le consensus s'est donc porté sur une double nomination. Le secrétariat
général n'en résultera pas bicéphale, mais plutôt
partagé chronologiquement. Le mandat d'en principe deux ans sera assumé
la première année par la Colombienne Maria Emma Mejia et la
seconde année par le Vénézuélien Ali Rodriguez.
Statutairement, ils ne seront pas les représentants de leur pays.
Leur nomination est cependant
une victoire tant de la Colombie que du Venezuela
estiment les analystes. Quoique réconciliés depuis l'avènement,
en août 2010, du président colombien de centre droit Juan Manuel
Santos, ces deux Etats occupent toujours les antipodes de l'éventail
politique sud-américain et ils semblaient les moins aptes à
présenter un secrétaire général jouissant
d'un consensus. Sous réserve des résultats de la gestion des
deux élus, cette hypothèque est désormais levée.
La gauche radicale vénézuélienne et le libéralisme
économique colombien en deviendront-ils plus fréquentables
aux yeux de leurs adversaires idéologiques respectifs?
A Bogota, saluant la nomination
"très bonne pour la Colombie"
de sa candidate Maria Emma Mejia, le président Juan Manuel Santos
a souligné le rôle important qu'il attribue à l'Unasur
dans le développement et dans la lutte contre la pauvreté,
mais en estimant que l'organisme sud-américain ne doit pas
"exclure
le système interaméricain".
La Colombie fait donc un clin
d'oeil à la coexistence de l'OEA avec l'Unasur, alors qu'aux yeux
de Chavez la seconde devrait éclipser la première. A relever
dans ce contexte que le peu d'empressement de Washington à ratifier
l'accord de libre-échange signé en 2006 avec Bogota porte le
président Santos à miser davantage que son prédécesseur
Alvaro Uribe sur de bonnes relations régionales, notamment avec le
Venezuela voisin.
Pedigree des nouveaux secrétaires généraux
Journaliste, diplomate, politicienne, Maria Emma Mejia, 57 ans, fut
notamment ambassadrice de Colombie à Madrid et, dans son pays, ministre
de l'Education, puis des Affaires étrangères. Elle participa
aussi aux longues négociations frustrées avec la guérilla
des FARC (1999-2002) et brigua en vain trois fois la mairie de Bogota. Entrée
en politique avec le Parti libéral, la nouvelle secrétaire
générale de l'Unasur vira ensuite à gauche, rejoignant
le Pôle démocratique alternatif (PDA), sa dernière affiliation
politique connue avant de présider, jusqu'à ce jour, la Fondation
Pies Descalzos de la chanteuse colombienne Shakira.
Ce pedigree explique qu'Hugo Chavez souhaita voir en elle, en août
2009, une médiatrice potentielle dans la vive tension diplomatique,
avec bruits de botte, qui l'opposait au président colombien Alvaro
Uribe. Quant au président Santos, promouvoir une présumée
progressiste étaye sa politique d'ouverture, la droite colombienne
cherchant ainsi à se décomplexer comme le faisait le président
français Nicolas Sarkozy en première moitié de mandat.
Si Maria Emma Mejia jouissait donc à Caracas d'un préjugé
favorable qui a facilité sa promotion à l'Unasur, le Vénézuélien
Ali Rodriguez, lui, n'a pas de raison connue d'être applaudi à
Bogota.
Cet homme tout-terrain de 73 ans, dépositaire de la confiance
absolue d'Hugo Chavez, fut successivement guérillero marxiste expert
en explosifs, parlementaire, ministre de l'Energie et des Mines dans le premier
gouvernement de Chavez, puis secrétaire général de l'OPEP
(Organisation des pays exportateurs de pétrole), président
du géant pétrolier public Petroleos de Venezuela (PDVSA), ministre
des Affaires étrangères, ambassadeur à Cuba, ministre
de l'Economie et des Finances et, actuellement, ministre de l'Energie électrique.