SANTIAGO, samedi 26 janvier 2013 (LatinReporters.com) - "Bienvenue dans
un monde meilleur" a lancé en souriant le président chilien
Sebastian Piñera en accueillant, vendredi à Santiago, le président
du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy. Ce salut moqueur résume une
réalité humiliante pour le Vieux continent jusqu'il y a peu
donneur de leçons, car le Chili et l'Espagne symbolisent
bien, l'un la croissance économique de l'Amérique
latine, l'autre l'ampleur de la crise dans l'Union européenne.
Aussi l'économie, en particulier la "promotion des investissements",
est-elle au centre du sommet birégional, ces 26 et 27 janvier à
Santiago, capitale du Chili.
"Promotion des investissements de qualité sociale et environnementale"
dans le cadre d'une "alliance pour un développement durable" précisent
les textes de l'UE et de la présidence chilienne de la Celac (Communauté
des États latino-américains et des Caraïbes). Phraséologie
trop polie pour être honnête, alors que les inégalités
sociales en Amérique latine sont encore criantes et qu'en Europe l'heure
est au détricotage intensif du modèle social ?
Le plus probable est qu'à Santiago la plupart des chefs d'État
feront figure de commis voyageurs d'entreprises à la recherche de
profits, la nouveauté étant que les Latino-Américains
sont mieux placés que jamais pour réclamer une plus grande
part. Cela ne devrait pas empêcher de vibrantes déclarations
déjà traditionnelles sur l'objectif d'une "alliance stratégique"
entre l'Europe et l'Amérique latine.
Raul Castro, président de la Celac en 2013
Alors que les six sommets précédents (le cycle débuta
en 1999 à Rio de Janeiro) étaient qualifiés de sommets
UE-ALC (Amérique latine et Caraïbes), celui de Santiago est le
premier de la cuvée UE-Celac. Cela ne change rien quant aux participants,
soit les 33 pays des Amériques situés au sud des États-Unis
et les 27 de l'Union européenne. La nuance est politique. Alors que
l'ALC ne désignait qu'une étendue géographique, la Celac,
mise sur les rails en décembre 2011 à Caracas, est une institution
de concertation politique et économique parlant théoriquement
d'une seule voix au nom de tous les pays d'Amérique latine et des Caraïbes.
Le 28 janvier, après le départ des Européens, les pays
de la Celac tiendront à Santiago leur propre sommet. Le Chilien Sebastian
Piñera remettra alors la présidence tournante annuelle
de la Celac au président cubain Raul Castro. L'unique chef d'État
des Amériques ne disposant pas de la légitimité issue
du suffrage universel et pluraliste pourra ainsi se prévaloir devant
l'UE, jusqu'à fin 2013, du titre de principal interlocuteur institutionnel
latino-américain.
Parmi les chefs d'État et de gouvernement des 60 pays représentés
au sommet UE-Celac, deux femmes émergent: la présidente brésilienne
Dilma Rousseff, apôtre de l'inclusion sociale par la croissance, et
la chancelière allemande Angela Merkel, impératrice de l'austérité.
Duel inévitable ? En novembre dernier, au sommet ibéro-américain
de Cadix, Dilma Rousseff fustigeait la politique économique de l'UE
et avertissait que "la confiance ne se construit pas seulement avec des sacrifices
[...] La consolidation fiscale exagérée et simultanée
dans tous les pays n'est pas la meilleure réponse à la crise
mondiale et elle peut même l'aggraver".
L'UE en Amérique latine : 43 % des investissements étrangers
directs
A Brasilia cette semaine, lors du sommet UE-Brasil, le président du Conseil
de l'Union européenne, Herman Van Rompuy, et le président de
la Commission européenne, José Manuel Barroso (comme Raul Castro,
ils n'ont pas de légitimité issue du suffrage universel) ont
prié Dilma Rousseff de contribuer au sommet UE-Celac de Santiago à
la réactivation de l'interminable négociation d'un accord de
libre échange entre l'UE et le Mercosur (Brésil, Argentine,
Uruguay, Paraguay et Venezuela).
Un tel accord, torpillé de manière répétitive
par le protectionnisme agricole de la France, placerait pratiquement, compte
tenu d'autres accords conclus par Bruxelles, la totalité de l'Amérique
latine (sauf encore Cuba) dans une relation libre-échangiste avec l'UE.
Ce serait un nouveau pas important vers la mondialisation de l'économie
dont pourtant, paradoxalement, l'Europe apparaît aujourd'hui comme la
principale victime.
"Le sommet [UE-Celac] se tient en un moment décisif pour les deux
parties. L'économie mondiale a traversé des temps difficiles
et les deux régions peuvent assumer un rôle fondamental dans
le rétablissement d'une croissance forte et durable au niveau mondial"
affirment MM. Van Rompuy et Barroso dans une tribune publiée vendredi
par des médias hispaniques.
"Malgré cette crise, l'Union européenne est encore la plus
grande économie du monde et un associé indispensable pour la
communauté internationale à la promotion de la paix, la démocratie
et le respect des droits de l'homme, ainsi que le développement, l'éradication
de la pauvreté et la protection des biens communs au niveau mondial
tel que le climat" poursuivent les deux eurocrates, nullement complexés,
pour s'agripper au nouvel Eldorado d'outre-Atlantique comme à une bouée
de sauvetage, par les 26% de chômeurs en Espagne (plus de 50% parmi
les jeunes de moins de 25 ans) et la débâcle de la Grèce
et du Portugal.
"L'Union européenne ne représente pas moins de 43% du volume
total de l'investissement étranger direct (IED) en Amérique
latine et dans les Caraïbes. [...] Combien de gens sont conscients que
l'IED européen est plus grand en Amérique latine et dans les
Caraïbes qu'en Russie, Chine et Inde réunies ?" argumentent encore
les présidents du Conseil et de la Commission de l'UE, confirmant peut-être
ainsi implicitement que la sécheresse du crédit en Europe s'explique
au moins partiellement par le flux d'investissements plus rémunérateurs
effectués par des entreprises de l'UE hors du territoire communautaire.
Contestation vénézuélienne
En convalescence incertaine à Cuba d'une quatrième opération
d'un cancer, le président vénézuélien Hugo Chavez
ne viendra pas au sommet de Santiago. Il y est représenté par
son vice-président, Nicolas Maduro, et son ministre des Affaires étrangères,
Elias Jaua. Selon ce dernier, qui s'exprimait vendredi à Santiago à
l'issue d'une réunion ministérielle préparatoire du
sommet, les pays d'Amérique latine "ne doivent pas copier les
calculs faits par des modèles implantés sous d'autres latitudes
et dont beaucoup ont démontré être non-viables".
La force économique de la région se doit en grande partie
"à notre éloignement du néolibéralisme, d'un
modèle qui rend non-viable l'économie productive et exclut
de larges majorités de la jouissance de droits tels que la santé,
l'éducation et l'alimentation" a poursuivi Elias Jaua.
Outre le Venezuela, l'Équateur, le Nicaragua, la Bolivie, Cuba et
même peut-être l'Argentine devraient opposer à l'UE cet
antilibéralisme qui ne fait pas l'unanimité au sein de la Celac.
L'Amérique latine en éprouvera plus de peine que l'UE à
parler d'une seule voix.