Argentine: les concerts de casseroles n'attendent plus que leur chef d'orchestrePar Christian Galloy
Le succès de cette première "mégacasserolade" nationale a élargi le fossé entre la classe politique et la société civile. Mais aucun leader n'a encore surgi de cette révolte. Les concerts de casseroles, qui se poursuivront, attendent donc leur chef d'orchestre. A Buenos Aires, des "casserolades" ("cacerolazos") improvisées, mais massives, avaient provoqué en décembre dernier la démission du président de centre gauche Fernando De la Rua et de son éphémère successeur péroniste Adolfo Rodriguez Saa.
L'impact populaire et politique des concerts de casseroles est tel que celui ou celle qui en recueillera le leadership deviendra immédiatement une personnalité nationale capable de bouleverser la donne lors de l'élection présidentielle d'octobre 2003. Mais, pour l'heure, ce chef d'orchestre n'a pas encore surgi. Violents, les pillages et les manifestations de décembre avaient fait 30 morts et des centaines de blessés. La "casserolade" nationale de vendredi fut, elle, pacifique. Seuls quelques incidents isolés l'ont émaillée, notamment de brefs affrontements à Buenos Aires, sur la Plaza de Mayo qui donne accès à la Casa Rosada (palais présidentiel) et aux abords du Congrès. Au moment où des milliers de manifestants s'y dispersaient, après minuit et sous la pluie, la police a lancé des gaz lacrymogènes et tiré des balles en caoutchouc contre une minorité d'extrémistes. Soixante-sept d'entre eux furent détenus. Dix policiers et onze manifestants ont été blessés. "Qu'ils s'en aillent tous" Dans toutes les grandes villes d'Argentine, vendredi soir, le slogan dominant était "Qu'ils s'en aillent tous" ("Que se vayan todos"). Le mot "tous" mettait dans le même sac politiciens, juges et syndicalistes, traités de "voleurs" et de "corrompus". Les banques et le Fonds monétaire international (FMI) étaient aussi vilipendés. Le drapeau national, visible dans toutes les manifestations, soulignait la distance prise à l'égard de symboles partisans. Un autre slogan très répété, "Elections immédiates", mettait en doute la légitimité de l'actuel président péroniste Eduardo Duhalde, désigné le 1er janvier par une majorité de sénateurs et de députés, c'est-à-dire, aux yeux des manifestants, par le cénacle habituel des "corrompus". Si des élections avaient lieu aujourd'hui, "aucun des politiciens connus ne serait élu" affirmait vendredi un éditorialiste de la chaîne de télévision argentine "Rio de la Plata". Initiée par la classe moyenne, celle d'Argentine étant la plus consistante d'Amérique latine, la révolte des casseroles était au départ dirigée contre le gel partiel des comptes bancaires décrété début décembre 2001 par le gouvernement du président Fernando De la Rua et maintenu, avec quelques aménagements mineurs, par le président Eduardo Duhalde. Aujourd'hui, si les "casserolades" visent toujours le blocage d'une épargne rognée également par la récente dévaluation du peso, elles ébranlent en outre un establishment politique et économique contesté globalement. Ce n'est d'ailleurs plus seulement la classe moyenne qui frappe bruyamment sur les ustensiles de cuisine. Même des "piqueteros", membres des commandos de chômeurs qui coupent les routes depuis plusieurs mois pour réclamer du travail ou des aliments, se mêlent aujourd'hui aux "cacerolazos". L'union dans la contestation de la classe moyenne et des plus défavorisés est une autre première engendrée par la descente aux enfers de l'Argentine. Avec 45% de pauvres, ce pays de 37 millions d'habitants est devenu, après quatre années de dépression économique, un laboratoire politique et social. Il en émergera soit l'anarchie, soit un modèle inconnu à ce jour.
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