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L'ex-président Sanchez de Lozada se réfugie à Miami

Bolivie: les Amérindiens gagnent la "guerre du gaz", perdue par les Etats-Unis

Le nouveau président Carlos Mesa promet un référendum sur le gaz

Le nouveau président bolivien, Carlos Mesa Gisbert,à l'époque où il était vice-président
Photo officielle
Analyse, par Christian Galloy

LA PAZ / MADRID, samedi 18 octobre 2003 (LatinReporters.com) - Conclue ou pour le moins suspendue vendredi par la fuite à Miami du président bolivien Gonzalo Sanchez de Lozada, remplacé par le vice-président Carlos Mesa Gisbert, la "guerre du gaz" a duré 32 jours. Durement réprimée par l'armée, cette mobilisation ethnique et sociale contre une gestion néo-libérale du gaz naturel bolivien a fait plus de 80 morts et quelque 400 blessés. Renforcée notamment par les syndicats et les mineurs, la gauche ethnique des leaders amérindiens Evo Morales et Felipe Quispe a remporté une victoire qui fera date dans la lutte contre la globalisation. Principaux perdants à ce titre de la "guerre du gaz", les Etats-Unis, malgré les tueries, ont soutenu jusqu'au bout Sanchez de Lozada. L'Union européenne, en particulier l'Espagne, aussi.

Réunis en session extraordinaire vendredi soir à La Paz, les députés et sénateurs boliviens ont accepté par 181 voix contre 53 la démission proposée dans une lettre au Congrès par le président Sanchez de Lozada, multimillionnaire de 73 ans, formé aux Etats-Unis et parlant mieux l'anglais que l'espagnol. On avait annoncé sa présence dans l'hémicycle. Il a préféré fuir avec sa famille, en hélicoptère, puis en avion à destination de Miami. Son opposant autochtone Evo Morales avait exhorté ses militants à tenter d'empêcher cette fuite, afin que Sanchez de Lozada "soit jugé pour crimes contre l'humanité".

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Le Congrès investissait aussitôt le vice-président Carlos Mesa à la magistrature suprême. L'accession à la présidence de cet intellectuel et journaliste indépendant de 50 ans -à la fois historien, homme de télévision et écrivain- est conforme au processus de succession prévu par la Constitution bolivienne. Un interventionnisme ouvert des Etats-Unis n'aurait donc pas de fondement. Lundi dernier à Washington, le porte parole du département d'Etat, Richard Boucher, saluait en Sanchez de Lozada, acculé par les manifestations, "le président démocratiquement élu" pour avertir aussitôt que "la communauté internationale et les Etats-Unis ne toléreront aucune interruption de l'ordre constitutionnel" en Bolivie.

L'Organisation des Etats américains et l'Union européenne apportaient la même caution à Gonzalo Sanchez de Lozada, sans préoccupation marquée pour des victimes désignées implicitement comme responsables de la répression qui les frappait, comme si le fait d'avoir été élu démocratiquement conférait à Sanchez de Lozada une licence pour faire tuer des pauvres en révolte. (N'obtenant que 22,4 % des votes à la présidentielle de juin 2002, le président déchu avait dû former avec d'autres représentants du pouvoir blanc et métis une coalition qui s'est effritée au cours de la "guerre du gaz").

C'est de Bruxelles, à l'issue de débats des chefs d'Etat ou de gouvernement de l'Union européenne sur le projet de Constitution commune, que le président du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, réaffirmait son soutien au "président constitutionnel de la Bolivie", Sanchez de Lozada, vendredi midi, quelques heures avant la fuite de celui que les Amérindiens boliviens appellent "le boucher".

Le 13e Sommet ibéroaméricain -institution utile à la promotion des intérêts culturels et économiques de l'Espagne- doit en principe réunir les 14 et 15 novembre à Santa Cruz, capitale économique de la Bolivie, les chefs d'Etat d'Amérique latine, du Portugal et d'Espagne. Principal promoteur de cet embryon de Commonwealth hispanique, l'Espagne envisage désormais de transférer le sommet à Madrid. José Maria Aznar, il est vrai, ne serait sans doute pas applaudi dans la rue en Bolivie, même si la ville de Santa Cruz n'est pas un fief amérindien.

"Nous devons comprendre nos peuples indiens"

A peine investi à la présidence de la République -alors que des milliers de Boliviens dansaient et chantaient dans les rues de la Paz, d'El Alto, d'Oruro et de Cochabamba pour fêter la chute de Sanchez de Lozada- Carlos Mesa déclarait à la tribune du Congrès: "La Bolivie n'est toujours pas un pays égalitaire. Nous devons comprendre nos peuples, nos (Indiens) Quechuas et Aymaras". (Plus de 60% des Boliviens sont amérindiens, mais la gauche ethnique d'Evo Morales et Felipe Quispe n'a réuni que 27% des votes à la présidentielle de juin 2002. Les 21,9% d'Evo Morales talonnaient néanmoins les 22,4% de Sanchez de Lozada).

Carlos Mesa souhaite convoquer des élections anticipées, avant donc la fin, en 2007, du mandat présidentiel dont il vient d'hériter. Il a promis un référendum au résultat contraignant sur la gestion du gaz naturel et la convocation d'une Assemblée constituante pour "refonder la Bolivie", deux revendications des opposants à l'ex-président Sanchez de Lozada.

Aussi l'Aymara Evo Morales recommande-t-il désormais de "laisser respirer" le nouveau pouvoir (qui reste à définir, Carlos Mesa n'ayant pas de parti propre) dans l'attente de la concrétisation de ses promesses. Un autre Aymara influent, Felipe Quispe, demande au préalable, pour démobiliser totalement ses combattants de la "guerre du gaz", des gages quant à la prise en compte d'une liste de 72 revendications du monde agricole autochtone.

Les barrages routiers d'Evo Morales (premier plan) et de ses cocaleros contribuèrent au succès de la "guerre du gaz"
Photo archives Jeremy Bigwood
"La guerre du gaz" avait été déclenchée à la mi-septembre à coup de barrages routiers et de manifestations par la Confédération des travailleurs agricoles de Felipe Quispe, député du mouvement indien Pachakuti. Il avait rapidement été renforcé par la Centrale ouvrière bolivienne (COB, principal syndicat) de Jaime Solares et par la force de frappe d'Evo Morales, député du Mouvement vers le socialisme (MAS, premier parti d'opposition ) et, surtout, porte-parole de 30.000 familles de combatifs cultivateurs de la coca (matière première, entre autres, de la cocaïne). Des collectifs de professeurs, d'étudiants, de commerçants, de mineurs, etc., ainsi que des comités de quartier, surtout à El Alto (ville satellite de La Paz où la répression fut la plus sanglante) avaient ensuite grossi le mouvement.

Le gaz, étincelle d'une révolte aux causes plus profondes

La "guerre du gaz" n'aurait sans doute jamais éclaté sans des inégalités ethniques et sociales séculaires. (La pauvreté touche 60% des 8,3 millions de Boliviens et surtout les Amérindiens). Le gaz fut en somme l'étincelle plus que la cause de la révolte populaire qui a chassé Sanchez de Lozada.

Le sous-sol bolivien, principalement dans le sud, à Tarija, renferme les plus vastes réserves de gaz naturel d'Amérique du Sud après celles du Venezuela. Prévue à partir de 2006, l'exportation de gaz naturel bolivien liquéfié vers les Etats-Unis et le Mexique nécessiterait un investissement préalable de six milliards de dollars, dont la moitié en aménagements portuaires. La Bolivie n'ayant pas de fenêtre maritime, le Pérou et le Chili tentent chacun d'attirer cet investissement.

Mais pour ceux qui ont déclenclé la "guerre du gaz", les projets d'exportation soulèvent trois problèmes principaux.

D'abord la priorité sociale. Il serait injuste, argumentent les contestataires, d'exporter le gaz sans en faire bénéficier auparavant ou simultanément les Boliviens eux-mêmes par des infrastructures domestiques et industrielles qu'il serait urgent de créer.

Ensuite, la Bolivie ne percevrait que 18% du montant de ses exportations de gaz, un pourcentage jugé insuffisant par l'opposition et par les syndicats.

Enfin, il y a le problème nationaliste. Lors de la guerre du Pacifique (1879-1883), la Bolivie dut céder au Chili sa façade océanique et plus de 100.000 km2. Depuis, les autorités de La Paz ne cessent de revendiquer l'accès au Pacifique. Mais les études actuelles de faisabilité indiquent que l'exportation du gaz naturel bolivien via un port chilien serait plus rationnelle et rentable que via le Sud péruvien. Une éventualité qui a enflammé le nationalisme antichilien de nombreux Boliviens et alimenté la "guerre du gaz".

Coca et cocaïne

L'éradication forcée, soutenue par les Etats-Unis, des cultures de coca a facilité la mobilisation, dans la "guerre du gaz", des cocaleros (cultivateurs de coca) d'Evo Morales. Walter Chavez, codirecteur de l'édition bolivienne du Monde diplomatique, rappelle que "les lois boliviennes autorisent une production de 12.000 hectares de coca dans la région des Yungas pour satisfaire la demande du secteur pharmaceutique et la coutume ancestrale consistant à mâcher ses feuilles. Toute production excédentaire -en particulier celle du Chaparé- est considérée comme alimentant le narcotrafic et mise hors la loi".

Avec l'aide de l'armée, 40.000 hectares de la "feuille sacrée des Incas" ont été éliminés dans le Chaparé depuis la fin des années 1990. En 2000 déjà, la coca bolivienne n'employait plus que 16.000 personnes, contre 67.000 en 1997. Au milieu des années 80, l'expansion des plantations illégales de coca avait absorbé dans le Chaparé les vagues de chômeurs boliviens victimes de la grande crise minière. La politique inflexible de "coca zéro" les prive de ce recours et d'un chiffre d'affaires clandestin de 500 millions de dollars.

En outre, Evo Morales prédisait dès 2001 que les programmes de culture de substitution de la coca ne seraient que de vagues promesses basées sur une rentabilité douteuse. Le refus de l'Occident industrialisé de s'ouvrir davantage aux produits agricoles des pays en développement -cause de l'échec de la 5e Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), à Cancun le mois dernier- donne raison au leader autochtone cocalero. A quoi bon se lancer dans des cultures que l'Occident développé refuse ou n'achète qu'à bas prix?

Le même Occident privilégié, Etats-Unis et Union européenne en tête, est par contre le principal consommateur mondial de cocaïne. Et s'il faut éliminer cette drogue, pourquoi ne pas faire peser la répression essentiellement sur les consommateurs des pays développés, sans lesquels la production n'aurait plus de sens?

Contre la globalisation

Les combattants de la "guerre du gaz" réclamaient aussi et réclament toujours l'annulation de la loi sur les hydrocarbures, qui a privatisé, au profit de sociétés américaines et européennes, l'extraction et la distribution du gaz naturel et du pétrole boliviens. Cette revendication n'est que partiellement rencontrée par la promesse de Carlos Mesa d'organiser un référendum sur la gestion du gaz.

Dans ce contexte, la "guerre du gaz" était aussi dirigée contre la globalisation, concrètement contre l'éventuelle adhésion de la Bolivie à la future Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou, en espagnol, ALCA). La gauche ethnique d'Evo Morales et de Felipe Quispe est antioccidentale et hostile à l'économie de marché. Elle tire depuis longtemps à boulets rouges sur le projet de ZLEA-ALCA. L'antiaméricanisme des deux leaders amérindiens est tel qu'ils applaudirent les attentats terroristes islamistes du 11 septembre 2001 contre New York et Washington.

Leur victoire sur l'allié privilégié des Etats-Unis qu'était Sanchez de Lozada servira de référence aux altermondialistes latino-américains. Après l'échec de l'OMC à Cancun, le président péruvien Alejandro Toledo (un demi-Quechua pro-américain) prédisait que la ZLEA-ALCA -qui devrait, de l'Alaska à la Terre de Feu, englober 850 millions de consommateurs- ne verra sans doute pas le jour en 2005 comme le souhaiterait le président américain George W. Bush.

En outre, en Amérique du Sud, seuls l'Uruguay, le Paraguay, la Colombie et le Pérou résistent désormais au vent de gauche qui souffle avec plus d'intensité depuis l'élection, en octobre 2002, de Luiz Inacio Lula da Silva à la présidence du Brésil.

Entre révolution et globalisation néo-libérale, cette nouvelle Amérique à mi-chemin entre Tiers monde et développement est à la recherche d'un humanisme rationnel. L'ambition de Lula, espoir de la nouvelle gauche latino-américaine peu convaincue par le populisme mêlé de violence du président vénézuélien Hugo Chavez, vise à égaler la couverture des besoins sociaux essentiels (santé et éducation) dont jouissent les Cubains, mais en y ajoutant la liberté de vote et de pensée proscrite par Fidel Castro.

Quadrature du cercle?...

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