Chili-Condor: Pinochet inculpé et en "prison domiciliaire"
SANTIAGO DU CHILI, mardi 14 décembre 2004 (LatinReporters.com) - Déclarant le général Augusto Pinochet "mentalement apte à être soumis à toutes les étapes d'un procès criminel au Chili", le juge Juan Guzman Tapia a décrété lundi "l'arrêt domiciliaire", soit l'assignation judiciaire à résidence de l'ex-dictateur, âgé de 89 ans. Il est inculpé de neuf disparitions et d'un homicide dans le cadre de l'Opération Condor, menée de manière coordonnée dans les années 1970 et 1980 par les dictatures d'Amérique du Sud pour éliminer physiquement leurs opposants. Des parents de disparus sous les 17 ans de dictature (1973-1990) du général Pinochet ont accueilli avec une joie mêlée d'émotion la décision du juge Guzman. Mais les avocats du général interjetteront une fois de plus appel. La santé physique et mentale d'Augusto Pinochet pourrait continuer à conditionner la possibilité de l'asseoir réellement un jour au banc des accusés d'un tribunal. En juillet 2002, la Cour suprême avait suivi la défense de Pinochet en le déclarant inapte à affronter un procès pour "démence subcorticale légère irréversible". Il échappa alors aux poursuites ouvertes contre lui dans le dossier de "La caravane de la mort", en tant qu'auteur intellectuel présumé de 57 assassinats et 18 enlèvements perpétrés en 1973 au Chili par des militaires. Deux des trois psychiatres et neurologues qui ont examiné depuis l'ex-dictateur ont conclu à la limitation de ses facultés due à sa démence subcorticale. Le troisième expert, par contre, estime que les pertes de mémoire et les conduites erratiques de Pinochet sont propres à son âge et ne limitent pas sa capacité d'affronter un procès. Pour déclarer le général "mentalement apte" et l'inculper, le juge Guzman s'est appuyé à la fois sur ce troisième diagnostic, sur son propre interrogatoire de Pinochet le 25 septembre dernier et sur une interview accordée en novembre 2003 à une télévision hispanique de Miami par le général, qui répondait avec aplomb pendant une heure et estimait n'avoir aucune raison de demander pardon. Selon le juge Guzman, Pinochet peut "distinguer le bien du mal et le principal de l'accessoire; ...il n'est pas dément et peut supporter un procès". La défense de l'ex-dictateur annonçait aussitôt son intention de recourir contre la "décision illégale" du juge Guzman, devant la Cour d'appel et, le cas échéant, devant la Cour suprême. "Il ne s'agit que d'un nouvel épisode de la persécution politique implacable contre la personne du général Pinochet" affirme son principal avocat, Me Pablo Rodriguez. L'avocat considère "définitive" la décision prise en juillet 2002 par la Cour suprême de surseoir aux poursuites contre Pinochet pour cause de démence légère. Poursuivre une personne dans ces conditions, ajoute sans peur du paradoxe Me Rodriguez, "porte atteinte aux droits de l'homme, aux droits fondamentaux, qui ne semblent pas reconnus à Monsieur Pinochet"... Affligé non seulement de démence subcorticale, mais aussi d'insuffisance cardiaque (il porte un pacemaker), d'arthrite et de diabète, le général Pinochet survit dans un Chili qui n'est plus le sien. Le mois dernier, l'armée faisait un mea culpa historique, admettant pour la première fois sa responsabilité dans la violation des droits de l'homme sous la dictature. Et il y a quelques jours, le rapport de la Commission nationale sur la détention politique et la torture dénombrait 35.000 cas de torture, établissant qu'elle fut une politique systématique des forces armées, marine et aviation y compris, et de la police pendant les 17 années de régime du général Pinochet. L'ex-dictateur est en outre menacé d'autres procès, pour l'assassinat du général chilien Carlos Prats (commandant en chef de l'armée et ministre du président socialiste Salvador Allende) et de son épouse Sofia Cuthbert, en 1974 à Buenos Aires, et pour la découverte, en juillet dernier, de l'existence de fonds non déclarés, pouvant atteindre 15 millions de dollars, qui auraient transité entre 1994 et 2002 sur des comptes de la banque américaine Riggs. Lundi, aux portes du Palais de justice de Santiago, des parents de disparus sous la dictature ont applaudi l'inculpation du général Pinochet. Leur avocat Eduardo Contreras y voit "l'aboutissement de nombreuses années de travail, l'Opération Condor étant sans doute un cas emblématique par ses implications internationales". Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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