Colombie : droits de l'hommeCe texte d'Amnesty International n'engage que la responsabilité de cette organisation
Plus de 300 personnes ont " disparu " et plus de 4.000 civils ont été tués par les groupes armés pour des motifs politiques, en dehors des combats. Plus de 1.700 personnes ont été enlevées par des groupes armés d'opposition ou des formations paramilitaires. Toutes les parties au conflit ont provoqué le déplacement forcé d'un grand nombre de civils. Les personnes vivant dans des zones de conflit, notamment les défenseurs des droits humains, les syndicalistes, les représentants de l'appareil judiciaire, les journalistes, les membres de communautés afro-colombiennes et indigènes ainsi que les paysans ont été confrontées à une insécurité croissante.
Escalade du conflit Le conflit est allé en s'intensifiant, touchant la plupart des régions du pays. Il s'est notamment envenimé dans le département de Nariño, où les forces paramilitaires ont réussi à établir plusieurs bases, malgré une présence importante des forces armées, et où elles ont mené une série d'offensives contre plusieurs communautés sans être inquiétées. La plupart des victimes d'atteintes aux droits humains étaient des civils. Des centaines de massacres, commis pour la plupart par des formations paramilitaires opérant avec le soutien de l'armée, ont été signalés dans différentes parties du pays, et plus de 300.000 civils ont été déplacés de force. Les attaques menées par des groupes armés d'opposition contre des bases des forces de sécurité ont continué d'exposer la population civile à des risques considérables. Les forces de la guérilla et les formations paramilitaires ont continué à faire combattre des enfants. Processus de paix Aucun progrès notable n'a été enregistré dans les négociations de paix engagées en 1999 entre le gouvernement et les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie). Un accord portant sur un échange limité de combattants a été conclu. Au mois de septembre, une Comisión de Notables (Commission de notables) a présenté un rapport qui contenait des propositions visant à faire avancer les pourparlers de paix. Celles-ci consistaient notamment à convenir d'un cessez-le-feu, à combattre les forces paramilitaires et à mettre un terme aux enlèvements. Le 5 octobre, le gouvernement et les FARC ont accepté d'examiner les recommandations de la Commission. Toutefois, les négociations de paix ont été de nouveau interrompues lorsque le gouvernement a rejeté une série d'exigences des FARC. Les contacts entre les deux parties ont été renoués fin novembre. Les pourparlers de paix entre le gouvernement et le groupe armé d'opposition Ejército de Liberación Nacional (ELN, Armée de libération nationale) n'ont guère progressé. Le 7 août, le président Andrés Pastrana a annoncé que le gouvernement suspendait les négociations de paix avec cette formation. Le lendemain, le gouvernement a retiré à l'ELN son statut d'interlocuteur politique. En novembre, des discussions consacrées au rétablissement des contacts entre le gouvernement et l'ELN ont eu lieu à Cuba. En décembre, le gouvernement a annoncé la reprise officielle des négociations. Groupes paramilitaires Le nombre de paramilitaires capturés par les forces de sécurité a fortement augmenté. Toutefois, les forces armées se sont souvent abstenues d'apporter un soutien approprié aux services du Fiscal General de la Nación (autorité indépendante qui chapeaute le pouvoir judiciaire). De nombreux mandats d'arrêt, quoique décernés, n'ont pas été exécutés. En outre, nombre des personnes arrêtées auraient été remises en liberté ou se seraient enfuies des bases des forces de sécurité. Les paramilitaires ont pu continuer à massacrer des civils sans être inquiétés. En avril, des paramilitaires ont tué plus de 40 civils dans l'Alto Naya (département du Cauca). Ils ont pu pénétrer dans la région malgré la forte présence de la 3e brigade de l'armée colombienne et alors que les autorités avaient été averties à maintes reprises de l'imminence d'une offensive paramilitaire. La Commission interaméricaine des droits de l'homme de l'Organisation des États américains (OEA) les avait notamment exhortées à prendre des mesures de précaution afin de protéger les personnes particulièrement exposées au risque de violation de leurs droits fondamentaux. Forces armées Selon certaines sources, des membres des forces de sécurité ont été directement complices d'atteintes aux droits humains, parfois lors d'opérations menées conjointement avec des paramilitaires. Cette année encore, des militaires de haut rang ont été mis en cause par des enquêtes judiciaires et disciplinaires menées sur des atteintes aux droits humains perpétrées par des paramilitaires opérant de concert avec les forces de sécurité. Des informations judiciaires auraient été ouvertes sur six paramilitaires et plusieurs membres des forces armées à la suite du massacre de Chengue, dans le département de Sucre. Une centaine d'hommes armés appartenant aux Autodefensas Unidas de Colombia (AUC, Milices d'autodéfense unies de Colombie), une coalition de groupes paramilitaires, avaient attaqué ce hameau en janvier. Ils avaient rassemblé 25 villageois qui figuraient sur une liste de personnes à abattre et les avaient tués par balle ou à coups de machette. Avant de partir, ils avaient incendié le hameau et se seraient emparés de 10 villageois, dont six enfants ; à la fin de l'année, on ignorait tout du sort de ces personnes. Des organisations humanitaires qui tentaient de se rendre dans la région afin d'aider les survivants se seraient vu intimer l'ordre de rebrousser chemin par des fusiliers de la 1e brigade d'infanterie de marine. Au mois de juillet, les services du procureur général ont ouvert des enquêtes disciplinaires sur huit membres des forces armées. Des enquêtes judiciaires sur l'implication présumée de militaires dans le massacre de Chengue ont également été engagées en 2001. Groupes d'opposition armés Les groupes d'opposition armés se sont rendus responsables de nombreuses exactions, notamment en tuant des centaines de civils de manière délibérée et arbitraire. Les journalistes, les dirigeants indigènes et les responsables politiques figuraient parmi les membres de la société civile les plus visés par les forces de la guérilla, pour s'être opposés à leurs pratiques ou avoir dénoncé leurs exactions. Un grand nombre de civils ont été blessés, voire tués, au cours d'attaques menées sans discrimination et de façon disproportionnée contre des objectifs militaires. Au mois de février, sept jeunes randonneurs ont été tués dans le parc naturel de Puracé (département du Cauca), après avoir été enlevés par des membres du 13e front des FARC. En mars, ce groupe armé d'opposition a reconnu qu'il était responsable du massacre. En novembre, Amnesty International a écrit aux dirigeants des FARC pour évoquer plusieurs cas d'exactions, dont celui-ci, mais n'avait reçu aucune réponse à la fin de l'année. Pablo Emilio Parra Castañeda, directeur d'une station de radio du département du Tolima, a été tué le 27 juin, apparemment par des membres des FARC qui l'accusaient d'être un informateur. Des membres du Front María Cano de l'ELN ont tué une personne de soixante-treize ans appartenant à la communauté indigène de Katío Tegual La Po, dans la municipalité de Segovia (département d'Antioquia). Le 15 mai, des guérilleros de l'ELN ont pénétré dans la région de Campo Dos, dans la municipalité de Tibú (département du Norte de Santander). Ils ont menacé de représailles plusieurs membres de la population civile, les accusant de collaborer avec l'armée, et ont tué Francisco Javier Rola et Luis Burgos. Enlèvements Le nombre d'enlèvements et de prises d'otages est resté élevé en 2001. Selon les estimations, les mouvements de guérilla étaient responsables de 60 p. cent des quelque 3 000 enlèvements commis. Les paramilitaires ont eux aussi augmenté les prises d'otages et ont commis environ 8 p. cent des enlèvements signalés. Certaines personnes retenues en otages par la guérilla ont été tuées dans des affrontements avec les forces de sécurité. Le 24 septembre, Consuelo Araújo Noguera, ancienne ministre de la Culture et épouse du procureur général, a été enlevée, avec 24 autres personnes, par le 59e front des FARC à Patillal, dans les environs de Valledupar (département de César). La majorité des otages ont été libérés dès le lendemain, mais Consuelo Araújo Noguera a été tuée par les FARC le 30 septembre. Timothy Parks, un ressortissant du Royaume-Uni qui était retenu en otage par l'ELN, a été tué le 28 octobre dans le département du Chocó, au cours d'un affrontement entre ce groupe et les forces armées. Les FARC et l'ELN ont accepté respectivement en octobre et en décembre de mettre un terme à la pratique des enlèvements collectifs. Le Plan Colombia Il était toujours à craindre que le Plan Colombia (Plan Colombie), un programme d'assistance américain très controversé consistant essentiellement en une aide militaire, ne contribue à aggraver la situation déjà critique des droits humains. L'intensification du conflit et des atteintes aux droits humains dans le sud du pays, dans des zones où opéraient des bataillons de lutte contre les stupéfiants financés par les États-Unis, a entraîné d'importants déplacements de population. Les FARC ont elles aussi commis des exactions dans ces zones. Les paramilitaires auraient intensifié leurs activités dans plusieurs régions où avaient lieu des fumigations, officiellement pratiquées contre des cultures illicites destinées à la production de stupéfiants, ou dans lesquelles opéraient les unités financées par les États-Unis. Selon certaines sources, entre les mois de septembre 2000 et d'avril 2001, au moins 7.000 personnes ont fui le département du Putumayo pour l'Équateur, et 8.000 autres ont été déplacées à l'intérieur du pays, en raison des fumigations effectuées dans le cadre du Plan Colombie et des opérations armées menées par les deux camps. Persécution de militants des droits humains, de défenseurs des droits sociaux et d'autres membres de la société civile Les attaques et les menaces visant les organisations nationales de défense des droits humains se sont multipliées au cours de l'année. Au nombre des personnes visées figuraient des paysans, des membres de communautés afro-colombiennes et indigènes vivant dans les zones de conflit ou les régions présentant un intérêt économique, des personnes militant en faveur d'une société différente et d'une économie alternative ou cherchant à défendre les droits fonciers - syndicalistes, dirigeants associatifs et militants écologistes entre autres - ainsi que des personnes dénonçant les atteintes aux droits humains et les violations du droit international humanitaire, telles que des défenseurs des droits humains, des journalistes et des représentants de l'appareil judiciaire. Au moins 10 journalistes ont été tués et de nombreux autres ont été menacés par des forces de la guérilla ou paramilitaires. Une augmentation notable du nombre d'attaques menées contre des syndicalistes a été constatée. Entre janvier et novembre, plus de 140 d'entre eux ont été victimes d'homicides, imputables pour la plupart à des paramilitaires. Des enquêtes menées sur la tentative de meurtre dont le dirigeant syndical Wilson Borja Diaz avait été la cible en décembre 2000 et qui avait été immédiatement revendiquée par le dirigeant paramilitaire national Carlos Castaño, ont impliqué plusieurs responsables des forces de sécurité, en service actif ou à la retraite. Yolanda Cerón, militante en faveur des droits humains et directrice d'une organisation catholique de défense des droits fondamentaux dont le siège se trouve à Tumaco, département de Nariño, a été tuée le 19 septembre par des hommes armés soupçonnés d'être des paramilitaires. Les défenseurs des droits humains de cette ville étaient la cible de menaces répétées et Pepe Zabala et Angela Andrade avaient été tués en août dans la municipalité de même nom. Tous deux étaient membres du Movimiento Popular Multietnico de la Vertiente del Pacífico Nariñense (Mouvement populaire multiethnique de la côte Pacifique de l'État de Nariño), menacé à maintes reprises par des paramilitaires au cours de l'année 2000. Juste après l'assassinat de Yolanda Cerón, des membres de la Corporación SEMBRAR, une organisation non gouvernementale colombienne de défense des droits humains, ont reçu un appel téléphonique menaçant dans leurs locaux de Bogotá. Le 25 juin, des guérilleros du 6e front des FARC ont tué Cristóbal Secue Tombe, un dirigeant indigène de la réserve de Corinto, dans le département du Cauca. Le 29 août, Yolanda Paternina Negrete, une représentante de l'appareil judiciaire qui enquêtait sur le massacre de Chengue, a été tuée par des inconnus armés à Sincelejo, département de Sucre. Impunité L'Unité chargée des droits humains de la Fiscalía a réalisé des progrès importants dans plusieurs affaires fortement médiatisées d'atteintes aux droits humains, mais ces avancées conservaient un caractère exceptionnel. De nombreux mandats d'arrêts n'ont pas été exécutés et aucune mesure efficace n'a été prise pour arrêter les dirigeants paramilitaires au niveau national. Dans les cas où des avancées ont été constatées, ces progrès ont été remis en cause par des menaces, des homicides et des décisions de justice contestables. En juillet, des membres du Service des investigations de l'Unité chargée des droits humains de la Fiscalía ont arrêté le général Rito Alejo del Río. Le 5 août, un juge a fait droit à une requête en habeas corpus et a ordonné la remise en liberté de cet homme. Le 13 août, la Commission interaméricaine des droits de l'homme a fait part de sa préoccupation devant la démission de plusieurs membres de l'Unité et a exhorté le gouvernement colombien à garantir la sécurité des personnes chargées de l'enquête. En septembre, José de Jesús Germán, un homme appelé à témoigner dans cette affaire, a été tué à Bogotá. Selon les informations recueillies, il s'était engagé à remettre au Service des investigations des documents prouvant l'existence de liens entre Rito Alejo del Río et des groupes paramilitaires. En novembre, la Cour constitutionnelle a déclaré nulles et non avenues les procédures judiciaires menées par la justice militaire contre le général Jaime Uscateguí, mis en cause dans le massacre de plus de 27 personnes perpétré en 1997 à Mapiripán (département du Meta). La Cour a ordonné le renvoi de l'affaire devant une juridiction civile. Législation En août, le gouvernement a promulgué une loi relative à la défense et à la sécurité nationales qui risquait de renforcer l'impunité des membres des forces de sécurité impliqués dans des violations des droits humains. Ce texte dote les forces armées, dans certaines circonstances, de pouvoirs de police judiciaire, et restreint fortement la possibilité, pour les services du procureur général, de mener des enquêtes disciplinaires sur des membres des forces de sécurité soupçonnés d'avoir commis des violations des droits humains au cours de leurs opérations. Cette loi risquait de limiter la portée des dispositions du nouveau Code pénal, qui est entré en vigueur en 2001 et qui rend passibles de poursuites les auteurs de certaines atteintes aux droits humains, en érigeant en infractions pénales les " disparitions " et les déplacements forcés de population. Organisations intergouvernementales La Commission des droits de l'homme des Nations unies a condamné, une fois de plus, les graves violations du droit international humanitaire que continuaient de commettre, essentiellement, des paramilitaires et des membres de la guérilla. La Commission a exhorté les autorités colombiennes à prendre des mesures plus efficaces afin de mettre pleinement en œuvre les recommandations des Nations unies, et toutes les parties au conflit à respecter le droit international humanitaire. En novembre, la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l'homme a fait part de sa préoccupation devant la persistance de la crise des droits humains en Colombie. Elle a condamné l'impunité et souligné combien il était important de protéger les enquêteurs, les juges, les témoins et les victimes. Elle a exprimé son inquiétude pour la sécurité des défenseurs des droits humains et mis en lumière la collusion qui persiste entre groupes paramilitaires et forces de sécurité. La rapporteuse spéciale des Nations unies chargée de la question de la violence contre les femmes, y compris ses causes et ses conséquences, s'est rendue en Colombie en novembre. Elle s'est dite préoccupée par l'impunité dont bénéficient un grand nombre d'auteurs d'atteintes aux droits humains et a condamné les violences sexuelles infligées à des jeunes filles par des commandants paramilitaires et de la guérilla. La rapporteuse a fait état de son inquiétude devant le fait que plus de 2.500 filles avaient été enrôlées comme enfants soldats, essentiellement par les FARC, et " violées par des commandants rebelles ". Elle a également condamné les viols et les meurtres de femmes commis par des paramilitaires au cours d'offensives menées contre des communautés civiles. Visites d'Amnesty International Des délégués d'Amnesty International se sont rendus en Colombie en mars, en juillet, en août et en décembre.
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