Colombie-Betancourt: guérilla des FARC insensible à la grâce de 23 rebelles
En août dernier, la guérilla marxiste des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie, 17.000 combattants) avait rejeté une proposition inédite d'échange humanitaire lancée aussi par le président Uribe. Elle portait sur l'échange de 50 rebelles emprisonnés contre 59 otages dits "politiques" retenus par les FARC: la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt, ex-candidate écologiste à la présidence de la Colombie, séquestrée depuis le 23 février 2002; son assistante Clara Rojas; 20 mandataires ou ex-mandataires politiques colombiens (un ex-ministre, 12 députés régionaux, 6 ex-députés nationaux et un ex-gouverneur de région); 34 officiers et sous-officiers de l'armée et de la police colombiennes; 3 citoyens des Etats-Unis. Les critiques qu'ANNCOL, souvent considérée comme agence officieuse des FARC, lança alors aussitôt contre cette proposition précédèrent de quelques jours son rejet effectif par un communiqué de la guérilla. ANNCOL critiquant aujourd'hui la grâce unilatérale octroyée à 23 guérilleros, il est logique d'en déduire que les FARC ne considèrent pas cette grâce comme propice à la négociation d'un échange humanitaire. Scepticisme, mais le gouvernement estime que la balle est dans le camp des FARC
A propos de la grâce présidentielle, ANNCOL écrit que "les communiqués émis régulièrement par les FARC sur l'échange de prisonniers de guerre ne considèrent ni l'exil ni le programme de réinsertion du gouvernement colombien. Il semble que le show médiatique continue". Si la proposition gouvernementale d'échange humanitaire rejetée en août offrait aux guérilleros qui auraient été libérés l'alternative de "voyager à l'étranger" ou d'adhérer "au programme de réinsertion du gouvernement national", la grâce que vient de signer le président Uribe en faveur de 23 guérilleros implique leur participation d'office à un programme officiel de réinsertion pour garantir le succès de leur retour à la vie civile. Ils ont été sélectionnés parmi des rebelles prisonniers acceptant cette réinsertion et auxquels ne sont imputés ni massacres ni autres crimes contre l'humanité. Le gouvernement promet d'assurer leur sécurité et celle de leur famille. Cette protection vise sans doute à les mettre à l'abri de représailles tant de paramilitaires d'extrême droite que de la guérilla des FARC. Cette dernière considérera probablement les grâciés comme des "déserteurs" pour avoir accepté la réinsertion. "Les personnes qui vont être libérées se sont engagées à ne plus participer à la lutte armée et à collaborer pacifiquement à la construction du pays" expliquait jeudi le ministre colombien de l'Intérieur et de la Justice, Sabas Pretelt de la Vega. Le ministre lançait la balle dans le camp de la guérilla en ajoutant: "C'est un geste réellement humanitaire et le minimum qu'en attend la société colombienne est un acte de coresponsabilité de la part des FARC. Nous pensons aux personnes séquestrées". Principales conditions de la guérilla des FARC à la négociation d'un échange humanitaire Le scepticisme de nombreux observateurs quant à une contrepartie des FARC repose sur la constatation que, outre la perception négative de la réinsertion par la guérilla, la grâce présidentielle ne satisfait à aucune des conditions essentielles que les insurgés posent à un échange humanitaire. Les deux conditions principales des FARC à la libération réciproque de prisonniers sont: -Ouverture d'une négociation bilatérale guérilla-gouvernement. Elle octroierait aux rebelles représentativité et respectabilité, alors qu'aujourd'hui les FARC sont officiellement considérées comme un mouvement terroriste, tant par la Colombie que par les Etats-Unis et l'Union européenne. -Démilitarisation préalable de la zone de négociation. A cet égard, les FARC revendiquaient jusqu'il y a peu le retrait de l'armée et de la police colombiennes des départements méridionaux du Caqueta et du Putumayo, qui couvrent 114.000 km2. Les rebelles acceptent désormais une démilitarisation limitée, dans la même région, aux municipalités (municipios) de Cartagena del Chaira y de San Vicente Del Caguan. Néanmoins, "municipio" désignant non un simple centre urbain, mais l'étendue administrative d'une municipalité, ce sont encore 31.000 km2 (la superficie de la Belgique) qui deviendraient de facto territoire exclusif des FARC si l'armée et la police s'en retiraient. Cette éventualité est fermement exclue par le gouvernement colombien. D'autant plus que de novembre 1998 à février 2002, une expérience similaire de démilitarisation centrée aussi sur San Vicente Del Caguan et menée au nom de la paix par le président Andres Pastrana avait contribué, sur 40.000 km2, au réarmement spectaculaire des FARC. Violant l'accord, les rebelles avaient notamment créé leurs propres aérodromes dans la zone démilitarisée et multiplié à partir d'elle leurs offensives vers diverses régions du pays, au point de menacer la périphérie de la capitale, Bogota. La grâce de 23 guérilleros est octroyée par le président Uribe alors que le Congrès vient d'approuver la révision constitutionnelle lui permettant de briguer un second mandat présidentiel consécutif en 2006. Toujours très populaire (des sondages lui octroient encore 70% d'opinions favorables) pour avoir notamment réussi à faire reculer militairement la guérilla et à rétablir la sécurité sur de grands axes routiers, cette grâce présidentielle est peut-être déjà un geste préélectoral. Un sondage Gallup indiquait en septembre que 56% des Colombiens seraient favorables à une négociation avec la guérilla pour mettre fin au conflit intérieur qui ensanglante la Colombie depuis 40 ans, au prix de quelque 250.000 morts et de millions de personnes déplacées. La négociation restant pour l'heure insaisissable, la libération unilatérale de guérilleros déplace vers les FARC la pression pacifiste nationale et internationale exercée sur le président Uribe. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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