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Répéter l'élection présidentielle de 2006... ou anticiper celle de 2010
Colombie: appel aux urnes du président Uribe, visé par la justice
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Le président colombien Alvaro Uribe lors de son message radio-télévisié à la nation du 26 juin 2008. (Photo Miguel Angel Solano / SP) | |
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BOGOTA, vendredi 27 juin 2008 (LatinReporters.com) -
"Je vais convoquer le Congrès de la République [Parlement]
pour qu'il élabore dans la plus grande urgence un projet de loi
de référendum qui appelle le peuple à ordonner la répétition
immédiate de l'élection présidentielle de 2006"
a annoncé au soir du 26 juin, dans un message radio-télévisé
à la nation, le président conservateur colombien Alvaro Uribe.
Sa légitimité avait été mise en doute quelques
heures plus tôt par la Cour suprême de justice.
Pour répondre aux juges, le président Uribe en appelle donc
aux urnes, mais sans pouvoir convoquer immédiatement, deux ans avant
l'échéance normale de 2010, une élection présidentielle
anticipée ou "répétée" qui revaliderait celle
de 2006. Le chef de l'Etat doit d'abord faire approuver par référendum
populaire national l'anticipation ou répétition de la présidentielle.
Et auparavant, ce référendum préalable devrait lui-même
avoir été autorisé par une majorité parlementaire.
Aussi l'issue d'une crise institutionnelle peu commune n'est-elle pas pour
demain. La dénouer par les urnes favoriserait Alvaro Uribe, qui a
conquis deux fois la présidence à la majorité absolue
dès le premier tour grâce à sa fermeté contre
les guérillas d'extrême gauche. La quasi totalité des
sondages effectués en Amérique latine le créditent d'une
popularité intérieure de plus de 80%, sans égale sur
le continent américain.
En quoi la Cour suprême de justice a-t-elle meurtri la légitimité
du chef de l'Etat, réélu en 2006 après une réforme
constitutionnelle l'autorisant à briguer un second mandat consécutif?
En affirmant que "l'approbation de la réforme constitutionnelle
fut l'expression d'une claire déviation de pouvoir, dans la mesure
où l'appui d'une parlementaire à l'initiative d'amendement
constitutionnel a été obtenu par des actions délictueuses".
La même instance judiciaire ajoute que les actions délictueuses
en question "ne peuvent générer aucune sorte de légitimation
constitutionnelle ou légale, raison pour laquelle la Cour ordonne
de remettre copie de cette sentence au Tribunal constitutionnel et au parquet
général".
En clair, les juges de la Cour suprême invitent le Tribunal constitutionnel
à déclarer nul l'amendement de la Charte suprême qui
a permis au président Uribe de briguer un second mandat consécutif
de quatre ans et de se succéder à lui-même en 2006. Cela
reviendrait à décréter qu'Alvaro Uribe n'est plus le
président de la Colombie.
Ce boulet rouge est lancé contre le chef de l'Etat en marge de la
condamnation de l'ex-parlementaire Yidis Medina à 47 mois de prison
pour corruption. Elle a déclaré avoir accepté des prébendes
que lui aurait offertes le gouvernement pour transformer en oui son non
initial à l'amendement constitutionnel qui a permis la réélection
du président. L'amendement divisait le Congrès de la République
en deux camps égaux et, selon la Cour suprême, sans le revirement
délictueusement rémunéré de Yidis Medina, l'amendement
ne serait demeuré "qu'un simple projet".
Dans son message radio-télévisé à la nation,
le président Uribe a reproché aux juges d'avoir ignoré
des preuves présumées qui, selon le chef de l'Etat, démontreraient
que le gouvernement n'a pas corrompu Yidis Medina. Dans le même message,
Alvaro Uribe a porté jusqu'au paroxysme le conflit entre l'exécutif
et un pouvoir judiciaire devenu protagoniste politique, accusant la Cour
suprême de "s'être prêtée au piège tendu
par le terrorisme agonisant".
Il s'agit d'une référence à la guérilla marxiste
des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). En déroute
apparente sur le plan militaire, les guérilleros survivent politiquement
grâce à leurs otages, dont Ingrid Betancourt, mais aussi grâce
aux accusations, fondées ou non, de corruption et de collusion avec les ex-paramilitaires
qui ont mis dans le collimateur de la justice 64 sénateurs et députés, soit le
quart des parlementaires nationaux. Parmi eux, 54 appartiennent aux partis de la coalition soutenant
le président Uribe et 33 sont en prison.
Utilisant ce panorama au profit de son projet révolutionnaire, la
guérilla des FARC ou pour le moins son agence officieuse, ANNCOL,
proposait le 24 avril dernier sous la plume d'un sociologue colombien
que "le président de la Cour suprême puisse
être le président intérimaire de la Colombie, avec l'engagement
de convoquer une Assemblée constituante" si le mandat présidentiel
d'Alvaro Uribe était révoqué.
A propos de l'appel aux urnes lancé par le chef de l'Etat pour contrer
la Cour suprême, Carlos Gaviria, président du Polo Democratico
qui rassemble la gauche parlementaire, a estimé qu'Alvaro Uribe "est
en train d'inaugurer une dictature populiste".
Les partisans du président recueillent depuis plusieurs semaines des
dizaines de milliers de signatures pour forcer un nouvel amendement constitutionnel
qui autoriserait le chef de l'Etat à briguer un troisième mandat
consécutif. Sur ce point, Alvaro Uribe n'a pas révélé
ses intentions, mais la revalidation qu'il souhaite de son élection
de 2006 pourrait, si elle aboutissait, déboucher de facto sur ce troisième
mandat.
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