QUITO, vendredi 15 février 2013 (LatinReporters.com) - Si
la réélection du président Rafael Correa n'était pas assurée,
les élections présidentielle et législatives du 17 février
offriraient à l'Équateur le choix entre l'entente chaleureuse
actuelle avec le Venezuela, la Chine et l'Iran ou un rapprochement avec les
partenaires commerciaux majeurs que sont les États-Unis et l'Europe.
Mais, porté par la prospérité, le chaviste Correa devance
dans la plupart des sondages d'au moins 35 points le plus proche des sept
autres candidats à la présidence.
Pays d'Amérique du Sud de 14,6 millions d'habitants, l'Équateur
a convoqué ses 11,6 millions d'électeurs pour choisir le président,
les 137 députés de l'Assemblée nationale (monocamérale)
et ses cinq représentants au Parlement andin. Élu pour la première
fois en novembre 2006 et investi en janvier 2007, réélu en
2009 sous une nouvelle Constitution, Rafael Correa pourrait conquérir
dimanche dès le premier tour (un second tour, peu probable, mènerait
au 7 avril) un nouveau et ultime mandat de quatre ans. La Constitution, si
elle n'est pas révisée comme elle le fut au Venezuela au profit
d'Hugo Chavez, obligerait le père de la version équatorienne
du "socialisme du 21ème siècle" à tirer définitivement
se révérence présidentielle en 2017.
Alignement sur le Venezuela d'Hugo Chavez
Une inconnue est de savoir si le scrutin législatif permettra à
l'Alliance Pays (Alianza País), le mouvement du président Correa,
de transformer pour la première fois en majorité absolue son
importante majorité relative parlementaire. Cela lui permettrait notamment
de surmonter les résistances à la réforme du code pénal
et à l'adoption d'une loi sur la communication taxée par les
principaux médias privés de menace sans précédent
pour le pluralisme démocratique.
L'Équateur, dont la monnaie officielle est le dollar américain
depuis septembre 2000, avait traditionnellement les yeux tournés vers
Washington, principal acheteur de son pétrole. Mais l'arrivée
de Rafael Correa, économiste formé en Belgique et aux États-Unis,
âgé aujourd'hui de 49 ans, aligna Quito sur le Venezuela d'Hugo
Chavez.
Fin à la présence militaire américaine dans le pays,
adhésion à l'Alliance bolivarienne pour les peuples de notre
Amérique (ALBA, fondée par Hugo Chavez et Fidel Castro), refus
d'honorer une partie (40%) "illégitime" de la dette extérieure
équatorienne, révision des contrats avec les pétroliers
opérant dans le pays, liens économiques avec
l'Iran, campagne pour l'abandon par l'Amérique latine de l'OEA (Organisation
des États américains, qui siège à Washington) au profit de la
CELAC
(Communauté des États latino-américains
et des Caraïbes, née à Caracas), asile politique octroyé
à l'ambassade d'Équateur à Londres à Julian Assange,
fondateur de WikiLeaks qui diffusa des dizaines de milliers de câbles
diplomatiques révélant les dessous de la diplomatie américaine...
Sans être exhaustive, cette énumération illustre les
mutations liées à la "révolution citoyenne" de Rafael
Correa.
On peut y ajouter son mépris du libre-échange néolibéral,
qui déboucha notamment sur son refus, à l'instar de la Bolivie,
d'un accord de ce type proposé par l'Union européenne à
la Communauté andine. D'autres horizons, le latino-américain
(CELAC, Unasur, Mercosur) et surtout l'asiatique, plus concrètement
chinois, compensent les pieds de nez faits par Quito à Washington
et à Bruxelles.
La prospérité est la base électorale de Rafael
Correa
La Chine a prêté, en 2010, 37 milliards de dollars à
des pays d'Amérique latine, soit plus que les aides de la Banque
mondiale, la Banque interaméricaine de développement et la
Banque d'import-export des États-Unis réunies, a révélé
le centre américain d'études Inter-American Dialogue. Le
Venezuela et l'Équateur sont tout particulièrement intéressés
par ces prêts chinois en raison de leurs difficultés à
obtenir des aides d'institutions multilatérales, avec lesquelles
elles ont des litiges, indique le même document.
Selon des projections de la Commission économique pour l'Amérique
latine (Cepal, organisme de l'ONU), la Chine deviendra le deuxième
partenaire économique de la région d'ici 2015, devant l'Europe.
Quito s'inscrit dans cette évolution. Le pétrole représente
94 % de ses ventes à la Chine. La hausse ces dernières années
des prix du brut conforte les finances de l'Équateur, qui produit
540.000 barils/jour. Et c'est aussi avec la Chine, grosse consommatrice de
matières premières, que l'Équateur se lance à
grande échelle dans l'activité minière pour dépendre
moins du pétrole. La société Ecuacorriente, propriété
de deux compagnies chinoises, devrait exploiter à ciel ouvert dès fin 2014 et pendant
25 ans un gigantesque gisement de cuivre dans la province amazonienne de
Zamora-Chinchipe. Quito pourrait en retirer un total de 20 milliards de dollars.
Prix pétroliers soutenus, hausse de la part de l'État dans
les contrats avec les multinationales, investissements, prêts et achats
de la Chine, ainsi qu'une meilleure productivité fiscale nourrissent
une prospérité reflétée par l'envol du produit
intérieur brut (+8% en 2011 et +4,8% en 2012 selon la Cepal), avec
une inflation annuelle contrôlée autour de 5%.
Cette prospérité est la base électorale de Rafael Correa,
car elle se concrétise par l'accroissement des investissements publics
et de la couverture sociale. En janvier, le bon de développement humain,
perçu par au moins deux millions d'électeurs, est passé
de 35 à 50 dollars par mois, le bon de logement de 5.000 à
6.000 dollars pour une acquisition ne dépassant pas 15.000 dollars
et le salaire minimum de 292 à 318 dollars. Correa a doté le
pays de 7.000 km de nouvelles routes, huit centrales hydroélectriques
sont en construction, les budgets de la santé et de l'éducation
ont triplé et Quito aura bientôt un métro et un nouvel
aéroport.
Harcelé sur sa gauche
Revers de la médaille : combattu par la droite depuis son arrivée
au pouvoir, Rafael Correa est désormais harcelé aussi sur sa
gauche. Alberto Acosta, ex-idéologue de la "révolution citoyenne"
et ex-ministre des Mines et de l'Énergie estime que le "socialisme
du 21ème siècle" a fait place en Équateur à "l'extractivisme
du 21ème siècle". Candidat à la présidence
sous la bannière d'une Union plurinationale des gauches comprenant
notamment le parti Pachakutik, censé représenter l'importante
minorité amérindienne, Alberto Acosta critique le mépris
de l'environnement et des communautés autochtones qu'il impute aujourd'hui
à la politique pétrolière et minière de Rafael
Correa. Ce dernier tente de ridiculiser ce "gauchisme infantile" [sic] mêlé
d'"indigénisme" [resic]. Selon Correa, "nous ne pouvons pas être des mendiants
assis sur un tas d'or".
Dans ce contexte, des analystes se demandent si l'initiative du gouvernement
équatorien de laisser dormir le pétrole sous le parc naturel
amazonien de Yasuni, mais à condition d'obtenir en échange
une aide financière internationale, n'est plus qu'un paravent médiatique
visant à masquer dans le reste du pays une frénésie
extractive peu soucieuse des garanties environnementales et sociales offertes par la nouvelle
Constitution
de 2008.
Comme la droite, Alberto Acosta s'en prend également à l'autoritarisme
du président, son harcèlement des médias privés,
son contrôle de la justice et son goût prononcé pour la
propagande gouvernementale alimentée par des médias publics
(télévisions, radios, journaux, sites Internet) créés
ou nationalisés sur ordre présidentiel.
Selon les sondages, les deux principaux des sept adversaires du chef de l'État
pour l'élection présidentielle sont, dans l'ordre et sans la
moindre possibilité de victoire, l'ex-banquier Guillermo Lasso
et l'ancien président Lucio Guttiérez. Ce dernier, ex-militaire
putschiste élu en novembre 2002, fut destitué par un coup d'État
parlementaire en avril 2005 dans le fil d'une contestation populaire qui
porta au pouvoir le vice-président Alfredo Palacio. Rafael Correa
fit alors son entrée en politique, assumant le portefeuille de l'Économie
et des Finances. Il l'abandonna après quatre mois, affichant déjà
son désaccord avec les États-Unis, le Fonds monétaire
international et la Banque mondiale.