MADRID, lundi 7 février 2011 (LatinReporters.com) - La productivité de l'Europe est à la traîne de celle
de la Chine et d'autres pays émergents. Deux sommets européens
successifs, d'abord de la zone euro, puis de l'ensemble de l'Union européenne
(UE), auront en mars pour plat de résistance le
"pacte de convergence
et de compétitivité" proposé le 4 février
au Conseil de l'UE par l'Allemagne et la France, avec
"l'appui ferme" de l'Espagne. Cap donc sur la
productivité, mais à quel prix?
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Angela Merkel, José Luis Rodriguez Zapatero (centre) et Nicolas Sarkozy. (Archives - Photo Conseil de l'Union européenne) |
Il faut que
"les observateurs du monde entier comprennent que l'ensemble
des économies européennes va dans le bon sens avec le souci
de la compétitivité" déclarait, le 4 février
à Bruxelles, le président français Nicolas Sarkozy.
"Nous avons demandé à [Herman]
Van Rompuy [président
du Conseil européen]
de mener des consultations avec les autres
Etats en vue de pouvoir prendre une décision au sommet de fin mars
de l'Union européenne sur le sujet", renchérissait à
ses côtés la chancelière allemande Angela Merkel.
Nombre d'éditorialistes s'accordent à considérer que
le renforcement du Fonds européen de stabilité financière,
adopté en mai 2010 pour soutenir les pays de l'eurozone en difficulté,
aurait pour condition, aux yeux de l'Allemagne, l'approbation par l'UE dudit
"pacte de convergence et de compétitivité".
Supprimer l'indexation des salaires sur l'inflation
Berlin semble vouloir inscrire dans ce pacte les recommandations exprimées
par Mme Merkel le 3 février à Madrid, à l'occasion du
23e sommet hispano-allemand : hausse de l'âge du départ à
la retraite, limite légale à l'endettement public et suppression
de l'indexation des salaires sur l'inflation, les rémunérations
devant être liées à la productivité.
"Nous
devons être très compétitifs (...)
parce que la
concurrence dans le monde est dure" insistait la chancelière,
soulignant ainsi le défi des économies émergentes.
Angela Merkel a rendu à Madrid un hommage appuyé aux réformes
économiques du président du gouvernement espagnol, le socialiste
José Luis Rodriguez Zapatero.
"L'Espagne a fait ses devoirs et
se trouve sur un très bon chemin" a estimé la chancelière.
Nicolas Sarkozy et Emilio Botin, président du Banco Santander, première
banque d'Espagne, ont également félicité M. Zapatero
pour ses réformes. Elles ne sont pourtant que des coupes sombres dans
le bien-être social. Madrid a réduit le salaire des fonctionnaires,
gelé les pensions de retraite, autorisé le licenciement économique
pour
"pertes actuelles ou prévues" des entreprises, porté
de 65 à 67 ans l'âge du départ à la retraite et
entamé une restructuration financière des caisses d'épargne
pouvant déboucher sur leur privatisation.
Ces réformes expliquent la chute vertigineuse de la popularité
de M. Zapatero, paradoxalement satisfait d'être soudain traité en élève
méritant par les principaux leaders de la droite européenne.
Son Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) est crédité dans
les derniers sondages d'un retard de 4 à 16 points sur le Parti Populaire
(opposition de droite) de Mariano Rajoy. La différence la plus étroite
correspond à l'hypothèse d'un remplacement de José Luis
Rodriguez Zapatero par son ministre de l'Intérieur, Alfredo Perez
Rubalcaba, comme figure de proue électorale du PSOE.
Un désastre historique menacera les socialistes espagnols aux élections
municipales et régionales du 22 mai prochain, ainsi qu'aux législatives
de mars 2012. Mme Merkel s'est néanmoins permis de rappeler à
l'Espagne, championne européenne du chômage (20,3%) et cible
ces derniers mois de la méfiance des marchés financiers, qu'il
lui faut encore endiguer l'endettement public et briser le lien entre salaires
et inflation. Ce dernier point indigne les syndicats espagnols et divers
pays de l'UE, dont la Belgique, le Luxembourg et l'Autriche.
"Si jusqu'à présent l'Europe nous parlait dans un jargon
bureaucratique incompréhensible, elle nous parle désormais
en allemand, mais c'est comme si elle nous parlait chinois. Rien d'étrange,
puisqu'au fond il s'agit de rivaliser avec des puissances comme la Chine,
un pays où, me semble-t-il, les travailleurs ne jouissent pas de clauses
salariales" écrivait au lendemain du sommet hispano-allemand l'analyste
Isaac Rosa dans le quotidien espagnol de gauche Publico.
Ingrédients de la productivité chinoise
Angela Merkel et Nicolas Sarkozy prétendent-ils vraiment, avec
"l'appui
ferme" de M. Zapatero, concurrencer la productivité chinoise?
Celle -ci se base sur des avantages fiscaux et surtout sur une main d'oeuvre
non syndiquée, docile et bon marché. Un ouvrier non qualifié
en Chine coûte environ un dollar américain par heure. Citant
dûment ses références, l'encyclopédie Wikipédia
relève que l'absence d'organisation des ouvriers chinois représente
un bénéfice substantiel pour les employeurs, qui y trouvent
une flexibilité d'emploi impossible à mettre en oeuvre dans
les démocraties occidentales.
Ces employeurs friands de productivité chinoise sont en majorité
des entreprises contrôlées totalement ou partiellement par des
capitaux étrangers, notamment européens, c'est-à-dire
français, allemands, espagnols, etc. Seulement 41 % des exportations
chinoises proviennent d'entreprises intégralement chinoises. Aujourd'hui,
39 % des exportations en provenance de Chine sont réalisées
par des entreprises dont le capital est à cent pour cent étranger
et 20 % sont le fait de partenariats entre sociétés étrangères
et chinoises.
La Chine est le premier exportateur mondial. L'essentiel de son commerce
extérieur se fait avec l'Union européenne, les États-Unis
et le Japon. Des études ont montré que le panier d'un ménage
français, dans sa partie non alimentaire, contient pour moitié
des produits fabriqués en Chine.
En fonction de ces réalités, il est légitime de s'interroger
sur l'ampleur des sacrifices économiques et sociaux que le
"pacte
de convergence et de compétitivité" imposerait aux citoyens
de l'Union européenne en voulant relever le défi des pays émergents,
dont la compétitivité doit paradoxalement beaucoup aux entreprises
européennes délocalisées qu'ils ont attirées.
Ravaler l'Europe au niveau salarial du Brésil ne suffirait pas
Y compris un pays comme le Brésil, autre puissance émergente,
où le salaire mensuel moyen dépasse à peine 400
euros, souffre de la compétitivité de la Chine. La moitié
des entreprises exportatrices brésiliennes sont en concurrence avec
des firmes chinoises. Parmi elles, quelque 67% ont perdu des parts de marché
à l'international au bénéfice de la Chine, tandis que
4% ont cessé d'exporter, indique l'AFP en citant un sondage réalisé
par la Confédération nationale de l'industrie (CNI) du Brésil.
La concurrence est également intense sur le marché intérieur
où près de 30% des entreprises brésiliennes souffrent
de l'afflux de produits chinois et près de la moitié
d'entre elles (45%) déclarent avoir perdu des marchés, a déclaré
l'économiste de la CNI, Flavio Castelo Branco. En conséquence,
dix pour cent des grandes entreprises brésiliennes ont
ouvert des usines de production en Chine.
Même rétrograder l'Europe au niveau salarial du Brésil
ne suffirait donc pas à relever le défi économique chinois
ni peut-être celui de l'Inde et d'autres pays émergents au moment
où, de surcroît, la recherche et l'innovation prennent aussi
du retard sur le Vieux continent.
Pour l'heure, une conclusion palpable est particulièrement bien illustrée
par l'Espagne de José Luis Rodriguez Zapatero, à savoir que
la tutelle des marchés financiers sur la social-démocratie
menacée d'insolvabilité et le démantèlement progressif
de la protection sociale des salariés, condamnés notamment à
travailler plus longtemps pour une retraite moindre, représentent
une victoire de taille des ultra-libéraux qui provoquèrent
la crise globale.
Pour peu, on croirait que cette crise et ses effets étaient calculés
et programmés. Une hypothèse que ne démentira pas la
barre des 20 milliards d'euros de ventes franchie pour la première
fois en 2010, avec bénéfice record de 3 milliards, par le groupe
LVMH (Moët Hennessy - Louis Vuitton), fournisseur d'articles de luxe
tels que les sacs à main Louis Vuitton, les parfums Dior ou le champagne
Dom Pérignon.
Autre flash pédagogique : déjà budgétisée,
la rémunération annuelle de Francisco Gonzalez Rodriguez,
président du Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA), 2e banque espagnole,
sera en 2011 de 4,97 millions €. Sur l'échelle de compétitivité
désormais chère au trio Merkel-Sarkozy-Zapatero, cela signifierait
que le président du BBVA, partisan lui aussi de lier les salaires à la
productivité, est 637 fois plus productif qu'un universitaire
espagnol payé au salaire minimum. Il est raisonnable d'en douter et
de se demander, en paraphrasant le général de Gaulle, pendant
combien de temps pourra-t-on encore prendre les enfants du bon Dieu pour
des canards sauvages?