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En Afghanistan et en Irak, Tayssir Allouni fit la renommée de la télévision satellitaire du Qatar

Journaliste vedette de la chaîne arabe Al-Jazira arrêté en Espagne pour liens présumés avec Al Qaïda

L'arrestation a été ordonnée par le juge Baltasar Garzon

Tayssir Allouni
Photo Al-Jazira
par Christian Galloy

MADRID, dimanche 7 septembre 2003 (LatinReporters.com) - Rien n'est banal dans l'arrestation, vendredi près de Grenade (sud de l'Espagne), de Tayssir Allouni. Ce journaliste fut le reporter vedette de la chaîne de télévision arabe Al-Jazira en Afghanistan et en Irak. Son arrestation a été ordonnée par le magistrat le plus célèbre de la planète, le juge madrilène Baltasar Garzon. Le motif de la détention sort aussi de l'ordinaire: appartenance présumée à l'organisation terroriste islamiste Al-Qaïda.

Né en Syrie, détenteur d'un passeport espagnol et marié à une Espagnole musulmane originaire de Ceuta (enclave espagnole sur la côte marocaine du détroit de Gibraltar), Tayssir Allouni a été détenu par la police, sous les yeux de ses quatre enfants, dans sa demeure d'Alfacar, à 10 km de Grenade. Il préparait l'ouverture en Espagne de bureaux d'Al-Jazira. Lui et sa famille avaient l'intention de regagner samedi leur domicile permanent à Doha, capitale de l'émirat du Qatar et siège de la chaîne de télévision satellitaire arabe, dont les images ont fait le tour du monde lors des récentes guerres d'Afghanistan et d'Irak.

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On se souvient du gros plan de Tayssir Allouni courbant la tête dans la nuit comme pour échapper aux bombes que l'on entendait exploser autour de lui à Bagdad. Reporter de guerre dans la capitale irakienne, il montra au monde, lui et ses compagnons de la chaîne Al-Jazira, les civils irakiens tués ou blessés par les frappes aériennes américaines. Des images qui, plus que tous les discours de Saddam Hussein, avivèrent la haine des Arabes contre les Etats-Unis.

C'était déjà Tayssir Allouni, alors seul journaliste étranger admis par les talibans au pouvoir en Afghanistan, qui obtenait la vidéo du leader d'Al Qaïda, Oussama ben Laden, jurant "par Dieu que l'Amérique ne vivra plus jamais en sécurité". Reprise par les chaînes de télévision de pratiquement tous les pays, cette vidéo fut émise par Al-Jazira le 7 octobre 2001, vingt-six jours à peine après les attentats islamistes à l'avion-suicide contre les Etats-Unis.

Des dizaines d'Irakiens se sont rassemblés ce dimanche devant l'ambassade d'Espagne à Bagdad, portant de grandes photographies de Tayssir Allouni et réclamant sa libération . Les manifestants criaient "Allouni est la voix de la vérité", "Nous voulons sa liberté. A bas les Etats-Unis et l'Espagne".

L'un des protestataires, Khaled Moustapha, commerçant de 42 ans, déclara à l'agence nationale de presse espagnole EFE (dont Tayssir Allouni fut, à Grenade, l'un des traducteurs du service arabe) que l'arrestation du journaliste répondait "à des motifs racistes et à la partialité de l'Espagne en faveur des Etats-Unis".

Le gouvernement conservateur espagnol de José Maria Aznar a soutenu la guerre menée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne contre l'Irak. Mille trois cent militaires espagnols participent actuellement à l'occupation du pays. En février dernier, pour justifier son appui aux préparatifs de la guerre, José Maria Aznar avait, comme George W. Bush et Tony Blair, attribué au président irakien Saddam Hussein des liens avec les terroristes islamistes d'Al Qaïda. Le directeur du Centro Nacional de Inteligencia (CNI, services secrets espagnols), Jorge Dezcallar, reconnaissait néanmoins jeudi dernier à Madrid, en commission du Congrès des députés, ne pas avoir de preuve de tels liens.

Le juge Garzon, garantie d'indépendance de la justice

Dans le cas de Tayssir Allouni, la personnalité du juge Baltasar Garzon, qui a ordonné son arrestation, incite à croire en l'indépendance de la justice espagnole.

Icône mondiale du principe de justice universelle, célèbre pour avoir fait arrêter l'ex-dictateur chilien Augusto Pinochet en 1998 à Londres et pour réclamer l'extradition de dictateurs et de militaires sud-américains accusés de crimes contre l'humanité, Baltasar Garzon est aussi président d'honneur du Réseau Damoclès, bras juridique de l'organisation Reporters sans frontières (RSF), qui combat précisément la répression contre les journalistes. Le magistrat a en outre exprimé publiquement à diverses reprises son opposition à la guerre en Irak et à la participation de l'Espagne à ce conflit. Baltasar Garzon ne devrait donc pas être considéré comme l'instrument d'une manoeuvre politique contre Tayssir Allouni et Al-Jazira.

Le juge madrilène soupçonne Tayssir Allouni d'appartenir à la cellule espagnole des islamistes d'Al Qaïda. Cette organisation a été déclarée terroriste tant par les Etats-Unis que par l'Union européenne. A ce titre, en être membre ou l'appuyer activement est un délit en Espagne et dans tout pays de l'Europe communautaire. Selon des sources proches de l'enquête, le reporter vedette d'Al-Jazira aurait participé à des opérations de financement d'Al Qaïda et été "le courrier d'Oussama ben Laden en Europe".

Des sources similaires, citées par l'agence espagnole Europa Press, font état d'une "étroite relation" entre Tayssir Allouni et Imad Eddin Barakat Yarkas, alias Abou Dahdah, chef présumé d'une cellule terroriste, emprisonné en novembre 2001 par le juge Garzon sous l'accusation d'avoir coopéré à l'organisation des attentats islamistes perpétrés le 11 septembre de la même année à New York et Washington.

Au Qatar, la chaîne de télévision Al-Jazira a protesté contre la détention de son journaliste et nié toute complicité avec les intégristes islamistes. "Al-Jazira, a déclaré l'un de ses porte-parole, est ouverte à tous les acteurs politiques, d'Oussama ben Laden à George Bush".

Tayssir Allouni fut surveillé par les services secrets espagnols en 1999 et 2000, lorsqu'il était traducteur au service arabe de l'agence espagnole EFE. Invité le 8 juillet dernier à l'Université d'été de l'Escorial (45 km au nord-ouest de madrid), Tayssir Allouni avait affirmé lors d'une table ronde que les bavures des troupes américaines en Irak, provoquant la mort de plusieurs journalistes occidentaux, répondaient à la volonté des Etats-Unis "d'éliminer des témoins".

A propos d'Oussama ben Laden et de l'ex-président irakien Saddam Hussein, Tayssir Allouni estima alors qu'il n'y avait pas de raison de penser qu'ils étaient morts. Le reporter vedette d'Al-Jazira précisa que, selon des informations de sa chaîne de télévision, Saddam Hussein serait protégé par des sympathisants de son régime déchu, au nord de Bagdad, entre deux bras du Tigre.

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