MADRID, mardi 7 décembre 2010 (LatinReporters.com) - M. Zapatero,
président du gouvernement socialiste espagnol, est satisfait. Les
puristes du droit, non. L'instauration de l'état d'alerte, pour la
première fois en Espagne en 35 ans de démocratie postfranquiste, brisait
net samedi la grève catastrophique des contrôleurs aériens.
Mais "le gouvernement a déclaré l'état d'alerte illégalement"
affirme Roberto L. Blanco Valdés, professeur de droit constitutionnel
à l'Université de Saint-Jacques-de-Compostelle.
"Plus grave" encore selon lui, car "inconstitutionnelle", est la soumission annoncée
des aiguilleurs du ciel au code pénal militaire. En conférence
de presse, le ministre de l'Intérieur et vice-président du gouvernement,
Alfredo Perez Rubalcaba, les a présentés comme militarisés
par l'état d'alerte, d'une durée initiale de 15 jours.
|
Le président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez
Zapatero (à droite), et Alfredo Perez Rubalcaba, vice-président et ministre de l'Intérieur, le 4 décembre 2010 à Madrid
lors du Conseil des ministres extraordinaire qui a décrété l'état d'alerte. (Photo Presidencia del Gobierno) |
Le professeur Blanco Valdés reconnaît toutefois que José
Luis Rodriguez Zapatero et son gouvernement ne risquent pas de subir, pour
leurs libertés prises à l'égard de la légalité, les reproches
d'une opinion publique trop heureuse de voir clouer au pilori les 2.400 contrôleurs
aériens espagnols. Pour des questions d'horaire et de salaire, ils
avaient bouclé sans préavis les 3 et 4 décembre le ciel
d'un pays de 47 millions d'habitants, laissant au sol quelque 650.000 passagers
au début d'un pont de 5 jours, le plus long de l'année en Espagne.
Nous traduisons ci-dessous les propos de Roberto L. Blanco Valdés
sur l'état d'alerte, émis dans le cadre d'une interview réalisée
par A. Ojeda et C. Jaramillo pour la revue
El Cultural.
QUESTION : Croyez-vous que le gouvernement a fait bon usage de l'état
d'alerte contemplé dans la Constitution ?
PROFESSEUR BLANCO VALDÉS - La situation était très grave,
sans aucun doute, mais le problème est que le gouvernement a utilisé
cette option de manière illégale. On ne peut pas déclarer
l'état d'alerte seulement parce que des services publics sont paralysés.
Il faut, de surcroît, que se produise simultanément l'un des
trois autres cas contemplés à l'article 4 de la Loi des états
d'alerte, d'exception et de siège, à savoir calamité
publique de caractère naturel ou accident de grande magnitude,
crise sanitaire ou pénurie de produits de première nécessité.
De manière que, de mon point de vue qui coïncide avec celui du
plus grand spécialiste, Pedro Cruz Villalón, ex-président
du Tribunal constitutionnel, cette option dans laquelle s'est retranché
le gouvernement est illégale. Cela me semble un précédent
fâcheux, ce n'est pas du tout une bonne nouvelle.
Q. : Sous l'état d'alerte, peut-on soumettre des civils à
la juridiction militaire ?
P. B. V. - Cette circonstance additionnelle est encore plus grave. On ne
peut pas soumettre à la juridiction militaire des personnes civiles,
puisque selon l'article 117.5 de la Constitution l'exercice de la juridiction
militaire n'est admis que dans un cadre strictement militaire et en cas d'état
de siège. Le Gouvernement ne peut en aucune façon soumettre
par décret des civils à la discipline militaire. Imagine-t-on
la scène de contrôleurs aériens qui n'auraient pas entendu
raison et de militaires procédant à leur arrestation? Ce ne
serait pas l'image d'un Etat démocratique européen du XXIe
siècle. En outre, le droit à la justice ordinaire prédéterminé
par la loi ne peut pas être suspendu ni même sous l'état
de siège.
Q. : Quelle autre option avait le gouvernement ?
P. B. V. - La situation était très grave, une grève
sauvage et intolérable, mais il pourrait avoir choisi une option qui
ne transgressait pas la loi. Proclamer l'état d'exception, non d'alerte,
celui-ci pouvant être déclaré dans des situations de
cette nature, en vertu de l'article 13 [de la Loi des états d'alarme,
d'exception et de siège], mais pour cela le gouvernement avait besoin
de l'approbation [préalable] du Congrès des députés.
Néanmoins, sous l'état d'exception il n'aurait pas non plus
été admissible de soumettre des civils à la juridiction
militaire.
Q. : Croyez-vous que le gouvernement aurait pu éviter
d'en arriver à cette situation ?
P. B. V. - Le gouvernement n'aurait jamais dû laisser pourrir une négociation
aussi importante avec un collectif ayant la capacité de paralyser
le trafic aérien, comme il le fit effectivement. J'espère que
le bon sens s'imposera, de sorte que les contrôleurs aériens
soient sanctionnés comme ils le méritent, mais sans que leur
soit appliqué le code pénal militaire. Son application a été
annoncée. Je crois que ce serait inconstitutionnel, illégal,
et que cela établirait un précédent très grave.
Q. : A quoi s'expose maintenant le gouvernement ?
P. B. V. - Je crois que le gouvernement ne s'expose à rien, puisque
l'opinion publique est de son côté. Ce que les contrôleurs
ont fait est inadmissible. Mais si le cas était porté devant
le Tribunal constitutionnel, la décision [d'instaurer l'état
d'alerte] pourrait être déclarée inconstitutionnelle,
tant pour le motif [insuffisant] dont s'est prévalu le gouvernement
que pour la compétence octroyée aux tribunaux militaires.
Source
http://www.elcultural.es/noticias/BUENOS_DIAS/1136/Roberto_L_Blanco_Valdes