Vidéo de la télévision publique espagnole (TVE) sur
les manifestations, essentiellement celle de Madrid, accompagnant la journée
de grève générale du 14 novembre 2012 en Espagne.
par Christian GALLOY
MADRID, jeudi 15 novembre 2012 (LatinReporters.com) - En point d'orgue d'une
seconde grève générale nationale en moins de huit mois,
des centaines de milliers de manifestants ont placé l'Espagne en tête
d'une journée européenne de protestation contre l'austérité.
Comme celle du 29 mars dernier, la grève convoquée par les
syndicats espagnols a été moyennement suivie. Les leaders syndicaux
affirment que 9.185.000 travailleurs, soit 76,7% des salariés, auraient
débrayé. Le patronat réduit ce taux à ... 10%
! La presse conservatrice est unanime ce jeudi à parler d'échec.
Plus nuancé, l'influent quotidien de centre gauche El Pais titre à
la une "Des centaines de milliers de personnes exigent dans la rue que Rajoy
rectifie".
L'ampleur des manifestations qui ponctuaient la grève générale
a en effet à nouveau gonflé, comme en mars, le cri d'indignation
qu'elle a lancé au gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. En
outre, l'impact de la grève aurait certes été plus fort
sans les accords de services minima conclus entre syndicats et pouvoirs
publics et surtout sans la crainte des Espagnols appauvris de perdre
une journée de salaire et de risquer, alors que le taux de chômage
surpasse 25%, un licenciement facilité par la récente réforme
du marché du travail.
Le 29 mars, le ministère de l'Intérieur avait dénombré,
avec une précision insolite, 861.150 manifestants appuyant dans la
rue la grève générale. Selon le même ministère,
celle d'hier a mobilisé 800.000 protestataires sur l'asphalte d'une
centaine de villes et localités, principalement à Madrid, Barcelone,
Valence et Séville. Le chiffre réel est probablement largement
supérieur, car les autorités réduisent à 35.000
le nombre de manifestants à Madrid, alors que des journalistes, dont
ceux de l'AFP, ont vu dans la capitale une marée humaine de centaines
de milliers de personnes (mais non d'un million comme le prétendent
les syndicats).
Grossie par les indignés défiant les barrages de police autour
de la Chambre des députés où se coulait la rigueur dans
le budget 2013, cette mobilisation spectaculaire a contrasté avec
celle franchement timide d'autres pays : 5.000 manifestants à
Athènes, selon la police, quelques milliers en Italie, à Turin,
Rome et Milan, ainsi qu'en France, à Paris notamment. Le Portugal
par contre, seul autre pays en grève générale hier,
a dessiné avec l'Espagne un front social ibérique.
Cette photo non signée d'un enfant de 13 ans matraqué par la
police à Tarragone (nord-est de l'Espagne) lors de la journée
de grève générale du 14 novembre 2012 a fait le tour
des réseaux sociaux du web. Hospitalisé, le malheureux a reçu
plusieurs points de suture à la tête. Les parents vont porter
plainte.
Au total, 155 personnes ont été détenues en Espagne
lors de cette journée et 77 blessées, dont 43 policiers, selon
le ministère de l'Intérieur. Des heurts entre forces de l'ordre
et manifestants ont surgi aussi au Portugal et en Italie. Quels que soient
les responsables des affrontements, matraquages policiers et citoyens ensanglantés
deviennent progressivement les attributs les plus visibles de l'Union européenne
et de sa politique d'austérité.
"Vingt-cinq millions de travailleurs européens souffrent aujourd'hui
des conséquences de cette politique" s'est exclamé à
Madrid le secrétaire général des CCOO (Commissions
ouvrières), Ignacio Fernandez Toxo, devant la multitude des manifestants
convoqués sous le slogan "Ils nous laissent sans futur" (Nos dejan
sin futuro).
"Si le gouvernement s'agenouille devant une politique de coupes qu'il mène
avec enthousiasme, le peuple espagnol, lui, restera debout" a lancé
à ses côtés Candido Mendez, secrétaire général
de l'UGT (Union générale des travailleurs), l'autre grand syndicat
espagnol. Selon lui, le succès "massif"" de la grève générale
et des manifestations est "un message très puissant" adressé
à la fois au gouvernement de Madrid, à celui de Berlin et aux
institutions européennes.
Les deux leaders syndicaux ont réclamé à nouveau un
référendum sur la politique d'austérité, qui
frappe notamment l'éducation et la santé et qui contredit ainsi
le message électoral du Parti Populaire de Mariano Rajoy avant sa
victoire aux législatives de novembre 2011.
Austérité au nom de la compétitivité
De plus en plus contestée pour ses retombées sociales et accusée
de freiner le retour à la croissance, l'austérité était
donc mercredi la cible d'une mobilisation européenne. Alors que la
croissance dans la zone euro devrait rester au point mort (+0,1%) en 2013,
selon la Commission européenne, le Fonds monétaire international
a lui-même averti récemment que les politiques d'austérité
risquaient de devenir "politiquement et socialement intenables".
Selon l'éditorialiste du quotidien El Pais, "la protestation
européenne suppose un mouvement de solidarité sans précédent
contre les coupes budgétaires et les sacrifices qu'imposent aux populations
les objectifs de déficit, causes directes, selon les syndicats, de
la récession et du chômage massif dans l'Europe méridionale".
Le même journal estime que "les institutions européennes doivent
se sentir interpellées", et plus encore le gouvernement espagnol,
même si "l'Espagne s'éveille aujourd'hui avec les mêmes
problèmes qu'hier".
Mais le problème, que ne peuvent ou ne veulent résoudre ni
la droite ni la gauche sociale-démocrate, n'est-il pas que l'austérité
au nom de la compétitivité dans un monde globalisé est
un tourbillon aspirant trop souvent vers le bas ? Exemple : les métallos
de Renault-France sont menacés, via d'éventuelles délocalisations,
par les rabais salariaux imposés à ceux de Renault-Espagne,
eux-mêmes conditionnés par les salaires plus "compétitifs"
encore chez Renault-Roumanie.
Les Belges, parmi d'autres, savent de quoi il retourne.
Le mois dernier, Ford confirmait la fin de production dans son usine de Genk,
en Belgique, et le transfert dans son usine de Valence, en Espagne, des
Mondeo, S-Max et Galaxy qui y étaient fabriquées.
Incidents lors de la journée de grève générale du 14 novembre 2012 en Espagne. (Télévision publique espagnole TVE)