Première Constitution européenne : l'Espagne banalisée et divisée
La ratification par référendum de la première Constitution européenne était prônée par tous les partis espagnols, le socialiste y compris, lors des campagnes électorales des législatives du 14 mars dernier et du scrutin européen du 13 juin. Mais samedi, au lendemain de l'approbation de cette Constitution par les 25 chefs de gouvernement de l'Union européenne (UE), le ministre socialiste espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, disait à Madrid qu'un référendum "n'est pas encore envisagé définitivement".
Un rien plus explicite, le secrétaire général du groupe parlementaire socialiste au Congrès des députés de Madrid, Diego Lopez Garrido, conditionne un référendum, qu'il dit souhaiter, à un "dialogue" entre les différents partis pour garantir que l'Europe "ne soit pas un motif de division, mais plutôt d'union"... "Nous avons obtenu une capacité d'influence sur les décisions les plus importantes, tant au Conseil qu'au Parlement (de l'UE)" exultait José Luis Rodriguez Zapatero à Bruxelles après l'accord sur la Constitution. Que sa première participation à un sommet européen ait coïncidé avec un tel accord historique multipliait sa satisfaction. Certes, la double majorité de 55% des Etats et de 65% de la population retenue par la Constitution approuvée à Bruxelles augmente le poids de l'Espagne dans la prise de décisions communautaires (et plus encore dans la faculté de les bloquer) par rapport aux 50-60% initialement proposés. Mais pour revenir dans la mouvance européenne autour de l'axe franco-allemand -dont s'était écarté le gouvernement conservateur atlantiste de José Maria Aznar- José Luis Rodriguez Zapatero a dû jeter aux orties le Traité de Nice. Paradoxalement approuvé à l'unanimité des pays de l'UE en décembre 2000 et considéré à l'époque, même par M. Zapatero, comme une victoire de M. Aznar, ce Traité de Nice -en vigueur jusqu'à la prochaine ratification de la Constitution- confère encore à l'Espagne (et à la Pologne) un poids décisionnel quasi identique à celui des "grands" européens, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie. La Constitution, par contre, banalise l'Espagne et la Pologne en liant leur poids institutionnel à leur population, quelque 40 millions d'habitants chacune, soit à peine 8% de l'UE. Conservateurs, communistes et nationalistes critiquent la Constitution européenne Ce ravalement de l'Espagne à son rang moyen fait croire à l'opposition conservatrice du Parti populaire (PP) que toute difficulté dans la ratification de la Constitution européenne -un processus exposé à des incertitudes, notamment la britannique, et qui s'étalera sur plusieurs années- favoriserait les intérêts espagnols puisque le Traité de Nice restera d'application jusqu'à cette ratification. Le numéro deux du PP, l'ex-ministre de l'Intérieur Angel Acebes, affirme que la Constitution approuvée à Bruxelles éjecte l'Espagne du groupe des grands pays de l'Union européenne. Il accuse le gouvernement socialiste d'avoir renoncé au pouvoir de décision du Traité de Nice "en échange de rien" et il réaffirme la nécessité d'un référendum. Côté communiste, l'eurodéputé Willy Meyer, tête de liste d'Izquierda Unida (Gauche unie) aux élections européennes du 13 juin, estime que le texte de la Constitution "n'est pas celui dont l'Europe a besoin", car il permettrait une politique d'emplois précaires, une politique agricole dévastatrice pour les régions méditerranéennes et une politique extérieure et de défense encore soumise aux Etats-Unis. Izquierda Unida exige aussi un référendum. Quant aux nationalistes et indépendantistes basques, catalans et galiciens, ils n'apprécient guère que la Constitution consacre "l'Europe des Etats en ignorant l'Europe des peuples". Ils reprochent en outre au socialiste José Luis Rodriguez Zapatero un manque "d'efficacité et de diligence" qui aurait empêché la reconnaissance officielle comme langues de l'UE du basque, du catalan et du galicien. Les nationalistes considèrent "insuffisante" la décision de traduire officiellement dans leur langue la Constitution européenne. Au lendemain de l'accord de Bruxelles, les titres de la presse madrilène reflétaient eux aussi la division des opinions. "Zapatero affirme que l'Espagne gagne une grande capacité d'influence" soulignait le quotidien pro-socialiste El Pais. "Zapatero obtient un partage de pouvoir acceptable dans la Constitution européenne" tempérait le centriste El Mundo. "Satisfaction du gouvernement après un pacte qui consacre le pouvoir allemand" sanctionnait le conservateur ABC. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
© LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne Le texte de cet article peut être reproduit s'il est attribué, avec lien, à LatinReporters.com |