Espagne: 6e régularisation extraordinaire de l'immigration clandestine en moins de 20 ansLes leaders nationalistes catalans publiquement hostiles au "métissage"
MADRID, lundi 30 août 2004 (LatinReporters.com) - La régularisation extraordinaire d'immigrants illégaux annoncée par le nouveau gouvernement socialiste espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero sera la 6e en Espagne depuis 1985 et la 3e due au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Face à la pression migratoire sur cette Espagne championne d'Europe de la création d'emplois, la soupape d'échappement de la régularisation d'immigrés clandestins a été utilisée de façon identique et trois fois aussi par les conservateurs du Parti populaire (PP). Les réactions les plus proches de la xénophobie viennent du nationalisme catalan. "LE GOUVERNEMENT ÉLIMINE LES RESTRICTIONS À L'EMPLOI POUR 216.000 ÉTRANGERS RÉGULARISÉS Les immigrants pourront travailler dans tous les secteurs ou provinces pour équilibrer le marché"... C'est dans le quotidien pro-socialiste El Pais qu'on lisait ce titre et ce sous-titre... le 29 avril 2002. Traçant alors le bilan de la dernière régularisation de clandestins, lancée en 2001 par le gouvernement conservateur de José Maria Aznar, l'influent journal madrilène écrivait: La prochaine régularisation annoncée en Espagne par la secrétaire d'Etat socialiste à l'Immigration, Consuelo Rumi, n'est donc pas le "virage à 180 degrés" que prétendent des commentateurs, surtout étrangers, qui n'ont pas consulté des archives accessibles en quelques clics de souris d'ordinateur. Compte tenu de celle qui se prépare, l'Espagne aura connu 6 régularisations d'immigrés illégaux en moins de 20 ans: en 1985, 1991, 1996, 2000, 2001 et 2004. Le temps passé dans le pays, les attaches familiales éventuelles et surtout le fait d'avoir un travail ou une promesse concrète d'embauche ont chaque fois été et demeurent des critères pour sélectionner les clandestins pouvant aspirer à la régularisation. Chaque fois aussi, l'ouverture de la soupape d'échappement a été compensée par un durcissement apparent du discours officiel. Les promesses du style "il n'y aura plus d'autre régularisation" ou "désormais, seule la loi canalisera l'immigration" ont déjà été cinq fois démenties. Cette contradiction répétée entre réalité et discours politique entretient un puissant effet d'appel de clandestins. "Pas de nouvelle régularisation" promettait Zapatero le 8 juin "Zapatero assure qu'il n'y aura pas une nouvelle régularisation extraordinaire" titrait le 8 juin dernier El Pais. Le président du gouvernement socialiste espagnol rassurait alors l'opinion publique en lançant cette promesse -aujourd'hui démentie- cinq jours avant les élections européennes. Les socialistes ne pouvaient pas perdre ce scrutin, considéré comme un second tour des législatives qu'il avaient gagnées trois mois plus tôt dans des conditions contestées, car dominées par l'émotion soulevée par les attentats terroristes islamistes de Madrid (191 morts et quelque 2.000 blessés le 11 mars 2004). Le mensonge électoraliste de Zapatero prouve que même les socialistes perçoivent l'impopularité d'une immigration massive. Aussi est-ce en début de législature qu'ils vont à nouveau régulariser, les électeurs étant censés l'oublier avant les législatives de 2008. Les conservateurs du PP firent preuve de la même prudence, régularisant peu après leurs victoires électorales de 1996 et 2000. Le débat qui entoure la prochaine régularisation annoncée par la secrétaire d'Etat Consuelo Rumi illustre l'utilisation politique du dossier de l'immigration. Alors que la gauche parlementaire, syndicale et associative s'opposait, au nom des droits de l'homme, à l'éventualité d'expulsions massives d'immigrés clandestins sous les gouvernements dits "sécuritaires" du PP (de 1996 à 2004), Consuelo Rumi et les syndicats reprochent aujourd'hui au PP, désormais dans l'opposition, d'avoir laissé se gonfler de manière démesurée la poche des clandestins. Le PP, lui, qualifie de "politique irresponsable de papiers pour tous" la prochaine régularisation, pourtant semblable à celles qu'il a lui-même organisées à trois reprises. Les socialistes utiliseront l'étonnant "padron" pour contrôler l'immigration Le gouvernement socialiste, a expliqué Consuelo Rumi, ne donnera des papiers qu'aux étrangers pouvant démontrer qu'ils ont un travail ou une proposition ferme d'embauche et qui attesteront d'une certaine durée de séjour, pas encore définie, sur la base de l'inscription municipale. La majorité des immigrés, même clandestins, sollicitent en Espagne l'inscription municipale -le "padron"- qui leur donne accès aux soins élémentaires de santé et à l'école publique et leur permet de louer un appartement, ainsi que de s'abonner au gaz, à l'électricité et au téléphone. Mais cet étonnant "padron" n'est pas un permis officiel de séjour, que seul le ministère de l'Intérieur délivre. Curieusement, les ordinateurs des municipalités et du ministère de l'Intérieur ne s'interconnectent pas pour contrôler l'immigration. Les conservateurs du PP envisageaient de combler cette lacune. La socialiste Consuelo Rumi leur emboîte le pas. "Nous ne procéderons pas comme lors de la régularisation antérieure réalisée par le gouvernement [du PP], lorsqu'il était suffisant de présenter une facture d'électricité et de téléphone. Nous savons que la majorité des immigrants irréguliers sont inscrits au padron municipal et ce sera l'instrument pour savoir depuis combien de temps ils sont dans notre pays" avertit Consuelo Rumi. Elle précise en outre que les clandestins répondant aux exigences de séjour préalable et de travail effectif ou de possibilité d'embauche n'auront qu'un permis de résidence valable pour la durée de leur contrat de travail. Les socialistes, comme les conservateurs du PP, préfèrent donc des immigrés alimentant les rentrées fiscales et le budget de la sécurité sociale. Des consommateurs inactifs de services sociaux grevant le budget de l'Etat ne seraient pas les bienvenus. Les patrons qui reconnaîtront avoir embauché des sans-papiers ne seront pas sanctionnés s'ils les affilient à la sécurité sociale et leur offrent un contrat de travail. Les clandestins qui dénonceront des pratiques abusives et illégales de leur employeur pourront bénéficier d'un permis de séjour provisoire pour rechercher un emploi. Comme l'administration conservatrice précédente, le gouvernement socialiste émettra, sous certaines conditions, des visas de trois mois pour les étrangers souhaitant trouver un travail en Espagne. Les contreparties annoncées par Consuelo Rumi semblent calquées sur celles qui accompagnaient chaque régularisation effectuée par les gouvernements du PP: -durcissement des inspections du travail; -sanctions alourdies contre l'embauche de clandestins non régularisés; -demande d'une aide financière accrue de l'Union européenne pour renforcer le contrôle des frontières et accélérer le rapatriement des sans-papiers; -"arrivée des immigrants déterminée par les nécessités du marché du travail", selon l'expression de la secrétaire d'Etat socialiste à l'Immigration. La nouvelle régularisation doit encore être débattue au Parlement et avec les interlocuteurs sociaux. Consuelo Rumi en synthétise la philosophie en indiquant qu'elle vise à la fois à intégrer au marché du travail des immigrants répondant à certains critères et à faire émerger l'économie parallèle. Mais, désormais, les immigrants "devront arriver de façon légale" ajoute la responsable socialiste. Elle prétend, comme le PP avant elle, qu'elle mettra en oeuvre une politique "sérieuse" d'expulsions. Selon les syndicats, entre 500.000 et 800.000 immigrants bénéficieraient de la nouvelle régularisation Entre 500.000 et 800.000 immigrants pourraient bénéficier de la prochaine régularisation, selon les estimations des deux principales centrales syndicales espagnoles, les Commissions ouvrières (CO, à dominante communiste) et l'Union générale des travailleurs (UGT, socialiste). Julio Ruiz, secrétaire aux Migrations de CO, suggère au gouvernement socialiste de ne régulariser que les clandestins qui peuvent attester d'au moins un an de travail en Espagne, un délai équivalent à celui requis pour pouvoir bénéficier d'allocations de chômage. Du côté de l'UGT, son secrétaire exécutif, Jesus Perez, s'insurge contre le risque d'une amnistie générale en faveur des employeurs qui faisaient travailler des clandestins. Même la gauche syndicale estime donc utile de mesurer son humanisme à l'égard d'une immigration massive. Les deux centrales syndicales approuvent néanmoins l'approche socialiste de l'immigration "en fonction du marché du travail et non plus à partir d'une politique sécuritaire". Selon Julio Ruiz, il est positif d'attaquer une économie parallèle qui représenterait 20% du PIB espagnol. Préférant ne pas rappeler ses propres régularisations de clandestins, l'opposition conservatrice fusille celle annoncée par les socialistes. "Cette politique de papiers pour tous peut provoquer un effet d'appel considérable. Elle va à l'encontre de ce qui se fait dans l'ensemble et dans chaque pays de l'Union européenne" estime Mariano Rajoy, secrétaire général du PP et candidat malheureux à la présidence du gouvernement aux législatives du 14 mars dernier. "Ici, il n'y a pas de place pour tout le monde" et l'attrait qu'exercera cette régularisation sur de nouveaux candidats à l'immigration aura "un effet létal" sur les services sociaux, insiste un autre dignitaire du PP, Ignacio Gonzalez, vice-président du gouvernement régional de la Communauté de Madrid. A tort ou à raison, l'opposition conservatrice ne saisit pas l'occasion de mettre en valeur sa bonne gestion économique de l'Espagne entre 1996 et 2004. C'est en effet le boom économique des deux législatures précédentes, sous des gouvernements du PP, qui a intensifié les flux migratoires vers l'Espagne, au point d'en faire, l'an dernier, le pays accueillant le plus d'immigrés au sein de l'Union européenne. (Voir encadré ci-contre) Le nationalisme catalan hostile au "métissage" Si socialistes et communistes qualifient de "xénophobes" les critiques du PP, il se disent simplement "en désaccord" avec le discours pourtant moins tolérant encore des nationalistes catalans. "Le métissage serait la fin de la Catalogne... l'immigration est pour la Catalogne une question d'être ou ne pas être" déclarait après l'annonce de la prochaine régularisation celui qui incarna pendant 23 ans le nationalisme catalan, Jordi Pujol, président de la région autonome de Catalogne (la Generalitat) jusqu'en décembre dernier. Se disant paradoxalement partisan de la coexistence entre Catalans et immigrants, Jordi Pujol ajoutait: "Si l'on jette un peu de sel dans un verre, il le dissout. Si on en jette un peu plus, il le dissout encore, mais arrive un moment ou il ne le dissout plus". Successeur de Jordi Pujol à la tête du nationalisme catalan modéré (rejeté dans l'opposition par une alliance régionale entre socialistes et indépendantistes catalans radicaux), Artur Mas se demande "pourquoi devrions-nous renoncer à notre identité si l'Espagne elle-même se refuse à renoncer à la sienne?" Selon lui, "ne pas bien digérer une forte avalanche de gens d'origines culturelles si diverses est évidemment une menace très grande". Jordi Pujol reçoit même l'appui de Josep Lluis Carod-Rovira, président de la Gauche républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC), parti indépendantiste radical actuellement au pouvoir dans la région en coalition avec les socialistes. "Une nation démographiquement petite et sans Etat [la Catalogne] a besoin de moyens pour se protéger de la vague migratoire qui affecte les pays développés" affirme Carod-Rovira. Le secrétaire général d'ERC, Joan Puigcercos, ajoute: "Le processus de globalisation et de métissage culturel" suppose "une perte d'identité" pour la Catalogne. Dans plusieurs pays de l'Union européenne, des propos similaires à ceux de MM. Pujol, Mas, Carod-Rovira et Puicercos seraient étudiés par les organisations promptes à recourir aux lois contre le racisme et la xénophobie. Mais les nationalistes catalans (et du Pays basque, où c'est "l'immigration espagnole" qui cause problème) semblent continuer à bénéficier, aux yeux de la gauche espagnole et internationale, d'une indulgence méritée autrefois par une opposition courageuse à la dictature de Franco, mort voici 29 ans déjà. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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