Mexique: droits de l'hommeCe texte d'Amnesty international n'engage que la responsabilité de cette organisation
Deux prisonniers d'opinion ont été libérés grâce aux importantes campagnes menées en leur faveur tant au plan national qu'international ; leur condamnation n'a toutefois pas été annulée, et leurs tortionnaires n'ont pas été déférés à la justice. Un autre prisonnier d'opinion a été maintenu en détention. A la fin de l'année, le Sénat a approuvé la ratification d'un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits humains, mais il restait encore au Mexique à ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Contexte En prenant ses fonctions en décembre 2000, le président Vicente Fox, dirigeant du Partido de Acción Nacional (PAN, Parti d'action nationale), s'était engagé à mettre fin à l'impunité qui avait prévalu dans une large mesure au cours des soixante-dix années de pouvoir du Partido Revolucionario Institucional (PRI, Parti révolutionnaire institutionnel). Fait sans précédent, le ministre des Affaires étrangères a exprimé en mars sa volonté de lutter contre les atteintes aux droits humains, notamment en ratifiant et en incorporant dans la législation nationale tous les traités internationaux relatifs aux droits humains non encore ratifiés et en invitant au Mexique tous les mécanismes internationaux qui s'attachent à défendre ces droits. A la fin de l'année, cependant, ces déclarations d'intention n'avaient pas débouché sur une amélioration concrète de la situation en matière de protection des droits humains et les violations signalées demeuraient très nombreuses. Lors de son entrée en fonction, le président Fox avait nommé au poste de procureur général de la République un général en exercice qui s'était illustré par le passé, alors qu'il était premier procureur militaire, en ne poursuivant pas les hauts responsables de l'armée accusés d'avoir commis des atteintes aux droits humains. En 2001, au moins 13 autres hauts responsables militaires se sont vu attribuer des postes importants au sein du Bureau du procureur général. Il n'existait aucun mécanisme efficace permettant de mener des enquêtes judiciaires indépendantes sur les nombreuses violations des droits humains imputées à des soldats ou à des fonctionnaires des services du procureur général de la République ou des procureurs généraux des États. Les propositions faites avant les élections et visant à réformer l'administration judiciaire n'ont pas trouvé de traduction dans la réalité ; le rôle croissant du personnel militaire au sein du Bureau du procureur général suscitait de nombreuses craintes quant à la volonté du gouvernement de s'attaquer véritablement au problème de l'impunité. Le ministère de la Sécurité publique, nouvellement créé, s'est vu confier la responsabilité de la police préventive fédérale et de l'administration pénitentiaire. Des milliers de militaires en activité ont été mutés directement à la police préventive fédérale. En février, le gouvernement mexicain a autorisé l'extradition vers l'Espagne d'un ressortissant argentin accusé d'avoir commis des crimes contre l'humanité pendant la dictature militaire en Argentine. Cependant, à la fin de l'année, les tribunaux mexicains n'avaient pas encore décidé s'il fallait ou non autoriser cette extradition. Défenseurs des droits humains et journalistes Des actes de harcèlement visant des défenseurs des droits humains et des journalistes ont été fréquemment signalés dans de nombreux États. Les victimes ont fait l'objet de menaces de mort, d'opérations de surveillance, de campagnes de diffamation et d'agressions physiques. Les autorités n'ont pris aucune mesure pour traduire en justice les auteurs présumés de ces actes et cette passivité n'a fait qu'aggraver le climat d'insécurité. Digna Ochoa, une avocate spécialisée dans la défense des droits humains qui avait collaboré avec le Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro-Juárez (PRODH, Centre des droits humains Miguel Agustín Pro-Juárez), a été abattue le 19 octobre dans son cabinet de Mexico. Les tueurs ont laissé près de son corps une note dans laquelle ils menaçaient du même sort les militants du PRODH. Digna Ochoa avait travaillé sur des affaires qui avaient eu un fort retentissement et dans lesquelles étaient impliqués des militaires et des membres du Bureau du procureur général accusés de graves violations des droits humains. Les autorités n'avaient jamais tenté d'identifier et de traduire en justice les auteurs d'une série de menaces et d'agressions visant Digna Ochoa et le PRODH. Les incohérences de l'enquête initiale ont fait craindre que des éléments de preuve essentiels n'aient été perdus. Une semaine après le meurtre de Digna Ochoa, cinq autres défenseurs des droits humains de premier plan travaillant à Mexico ont reçu des menaces de mort. Les autorités ont promis de protéger les défenseurs des droits humains et de traduire en justice les auteurs du meurtre et des menaces. Les enquêtes ouvertes dans ces affaires étaient toujours en cours fin 2001. Tout au long de l'année, les membres du Centro de Derechos Humanos Fray Bartolomé de Las Casas (CDHFBC, Centre des droits humains Frère Bartolomé de Las Casas) de l'État du Chiapas auraient été la cible de manœuvres de harcèlement et de menaces. Ils ont notamment fait l'objet d'une tentative d'embuscade tendue par des tueurs sur la route de San Cristobal au mois d'août et ont reçu des menaces par courrier électronique ; en outre, des personnes non identifiées se sont présentées au CDHFBC et dans des agences de voyage pour tenter d'obtenir des détails sur les déplacements de certains membres de cette organisation. Abel Barrera, membre du Centro de Derechos Humanos de la Montaña Tlachinollan (Centre des droits humains de la montagne Tlachinollan), dans l'État de Guerrero, a été menacé de mort en octobre après qu'il eut tenté de donner suite aux enquêtes portant sur d'autres menaces reçues précédemment. Les autorités ont promis d'enquêter sur ces nouvelles menaces mais n'ont pris aucune mesure allant en ce sens. L'État du Chiapas Dans le cadre des engagements pris par le président Fox pour tenter de parvenir rapidement à une solution du conflit au Chiapas en accord avec l'Ejército Zapatista de Liberación Nacional (EZLN, Armée zapatiste de libération nationale), des troupes ont été retirées de la zone de conflit et de nombreux sympathisants de l'EZLN ont été libérés. En avril, l'espoir de voir le conflit se régler rapidement s'est estompé avec la décision du Congrès de modifier, puis d'approuver un projet de loi relatif aux droits des indigènes qui ne retenait pas les dispositions essentielles ayant fait l'objet d'un accord préalable. A travers tout le pays, les associations de défense des indigènes et les organismes qui militent pour la protection des droits humains ont condamné ce projet de loi en déclarant qu'il violait les obligations internationales du Mexique touchant aux droits des indigènes. L'EZLN s'est alors retirée des négociations. Les communautés indigènes ont continué d'être en butte aux actes d'intimidation et aux attaques de groupes paramilitaires ou de bandes de "civils armés". Malgré cela, un certain nombre de personnes déplacées sont revenues dans leurs communautés. En février, dans la municipalité de Chenalhó (État du Chiapas), un groupe paramilitaire aurait forcé six familles tzotzil à quitter leurs terres. L'unité spéciale créée en 1999 au sein du Bureau du procureur général pour enquêter sur les groupes paramilitaires n'a pas cherché à poursuivre les auteurs de ces agissements, ni ceux d'autres infractions. En novembre, plusieurs des personnes soupçonnées d'avoir organisé le massacre, commis en 1997, de 45 membres de la communauté indigène d'Acteal ont été acquittés par un juge fédéral puis libérés. Détention arbitraire, torture et mauvais traitements La détention arbitraire, la torture et les mauvais traitements continuaient d'être des pratiques couramment utilisées par les forces de police et le personnel militaire chargé d'opérations de police, aussi bien au niveau fédéral qu'à celui des États ou des municipalités. Les lois destinées à empêcher et à punir ce type de pratiques étaient insuffisantes et rarement invoquées. En règle générale, les tribunaux ne contestaient pas la validité des éléments à charge apparemment obtenus sous la torture ni n'ouvraient des enquêtes sur les auteurs présumés d'actes de torture. Selon certaines informations, les conditions carcérales étaient assimilables à une forme de traitement cruel, inhumain et dégradant. En mai, dans la ville de Miguel Aleman (État de Tamaulipas), José Antinio Garcia Sandoval a été traîné hors de sa maison par des membres de la police préventive municipale, à la suite d'une altercation avec un voisin. Il a été battu, frappé à coups de pied, puis à coups de poing, plusieurs fois, au visage. Placé au secret pendant vingt-quatre heures, il a été menacé de représailles s'il s'avisait de signaler ce qui lui était arrivé. Deux examens médicaux officiels n'ont pas permis de découvrir qu'il souffrait de blessures graves, notamment de côtes cassées. Bien que José Garcia Sandoval ait déposé une plainte auprès du Bureau du procureur général et de la Comisión Estatal de los Derechos Humanos (CEDH, Commission d'État des droits humains), aucune mesure n'aurait été prise. En décembre, des agents de la police préventive fédérale de Tijuana (État de Basse-Californie du Nord) ont arrêté deux travailleurs migrants, Filiberto Girón Cisneros et Enrique Rey Buenrostro, qu'ils auraient torturés pour leur faire avouer qu'ils se livraient au trafic de migrants clandestins. Les deux hommes, qui souffraient de diverses blessures, ont par la suite été hospitalisés ; ils ont déposé une plainte officielle. Les policiers responsables auraient été arrêtés en attendant l'ouverture d'une enquête. "Disparitions" et exécutions extrajudiciaires La police fédérale et la police d'État seraient responsables de la "disparition" d'au moins trois personnes lors d'opérations de leurs agents. On ignorait toujours à la fin de l'année le lieu où se trouvaient les victimes. Une révision des Codes pénaux fédéraux définissant le crime de "disparition" a été adoptée. Dans différents États, notamment celui de Chihuahua, des membres des forces de sécurité auraient perpétré des exécutions extrajudiciaires. Il semble que les autorités n'aient pris aucune mesure efficace pour traduire rapidement les responsables en justice. En juin, Faustino Jiménez Alvarez aurait été arrêté par des membres de la police judiciaire de l'État à Tierra Colorada (État de Guerrero). Les autorités locales ne l'ont pas retrouvé et les policiers accusés d'avoir joué un rôle dans sa "disparition" ont été maintenus en service actif alors qu'ils faisaient l'objet d'une enquête ; ils ont fui l'État avant d'être formellement inculpés. A la fin de l'année, on ne savait pas ce qu'il était advenu de Faustino Jiménez Alvarez. Prisonniers d'opinion En novembre, les deux militants écologistes Rodolfo Montiel Flores et Teodoro Cabrera García ont été libérés "pour des raisons humanitaires" sur ordre du président. Les deux hommes avaient été arrêtés en 1999 en raison de leurs activités militantes, pourtant pacifiques, et ils avaient dû signer de faux aveux après avoir été torturés par des soldats. Jugés et condamnés, ils ont vu leur appel rejeté par les tribunaux en juillet 2001. Lors de leur libération, les autorités n'ont pas voulu reconnaître leur innocence et elles n'ont pris aucune mesure pour déférer à la justice ceux qui les avaient torturés. Un autre prisonnier d'opinion, le général José Francisco Gallardo, a passé sa huitième année en détention. L'examen du recours formé devant des juridictions civiles en vue d'obliger les autorités à se conformer aux recommandations de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, qui exigeait sa libération immédiate, a dû être ajourné, les autorités n'ayant pas fourni certains documents qui leur avaient pourtant été réclamés à plusieurs reprises. La Commission a porté l'affaire devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui a publié à la fin de l'année une résolution demandant à l'État mexicain d'assurer la sécurité du général et invitant les différentes parties à étudier le dossier. Impunité Les proches des centaines de personnes qui ont "disparu" au cours des trois dernières décennies ont poursuivi leur combat pour tenter de savoir ce qu'il était advenu d'elles et pour faire pression sur les autorités judiciaires afin qu'elles ouvrent des enquêtes et poursuivent tous les responsables présumés. De nouveaux éléments ont été découverts, en l'occurrence des photographies, concernant le massacre de la place Tlatelolco perpétré en 1968, ce qui a rendu plus impérieuse encore la nécessité de rouvrir le dossier. Le président Fox n'a pas tenu sa promesse, faite avant les élections, de créer une Commission de la vérité pour faire la lumière sur les affaires susmentionnées et sur d'autres cas, également non résolus, d'exécutions extrajudiciaires et autres violations des droits humains commises par le passé. Au mois de novembre, la Comisión Nacional de Derechos Humanos (CNDH, Commission nationale des droits humains) a présenté un rapport concernant 532 "disparitions" supposées qui remontaient aux années 70 et 80. Le président a réagi en ordonnant la création d'un poste de procureur spécial chargé d'enquêter sur ces crimes. Les tribunaux militaires n'ont pas enquêté de manière approfondie sur les cas d'atteintes aux droits humains commises par des responsables militaires ni engagé de poursuites contre ces derniers. Ils ont en outre empêché que ces affaires soient transmises à des juridictions civiles. Les membres de la CNDH ont déclaré que la plupart des plaintes en matière de violations des droits humains émanaient de personnes qui avaient été victimes des agissements de l'armée lors d'opérations antidrogue. En mars, dans le cadre d'une opération antidrogue menée conjointement avec la police fédérale, l'armée a encerclé le village de Guardados de Abajo (État de Tamaulipas). Les soldats ont pénétré de force dans les maisons et procédé à des arrestations arbitraires ; plusieurs des personnes arrêtées auraient été torturées. Le défenseur des droits humains Mauro Cruz, membre de l'organisation Centro de Estudios Fronterizos y Promoción de Derechos Humanos (CEFPRODHAC, Centre d'études sur les frontières et de promotion des droits humains), a été menacé par les soldats alors qu'il tentait d'entrer dans le village. Dans l'État d'Oaxaca, une loi d'amnistie a permis la libération d'un grand nombre d'indigènes parmi tous ceux qui, depuis quatre ans, étaient détenus dans la région de Loxicha en raison de leurs liens présumés avec un groupe d'opposition armé. Beaucoup de ces détenus avaient, semble-t-il, été placés au secret et torturés ; les "aveux" qui leur avaient été arrachés avaient ensuite été utilisés afin de les poursuivre pour des infractions de droit commun. Malgré les recommandations formulées par la Commission des droits humains de l'État d'Oaxaca, les auteurs de ces actes de torture n'avaient pas été déférés à la justice à la fin de l'année 2001. Au mois de novembre, les corps de huit femmes assassinées ont été découverts à Ciudad Juarez (État de Chihuahua). Dans cette ville, plus de 200 femmes ont "disparu" ou ont été assassinées depuis 1993. D'après certaines informations, les autorités n'ont jamais rien fait pour enquêter véritablement sur ces crimes et traduire tous leurs auteurs en justice ni pour assurer la sécurité des femmes de cette région en prenant les mesures nécessaires à cet effet. Selon plusieurs informations, des homosexuels ont été victimes d'agressions - parfois mortelles - dans un certain nombre d'États. Les autorités des États du Yucatan et de Colima n'auraient pris aucune mesure pour enquêter rapidement sur ces faits ni pour déférer leurs auteurs à la justice. Organisations intergouvernementales La première phase du programme de coopération technique auquel étaient associés le gouvernement et la haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies a été mise en œuvre. L'une des priorités du programme touchait à la formation de spécialistes dans le domaine médical et médicolégal, afin que ceux-ci soient en mesure d'identifier les cas de torture ; il importait également de pouvoir évaluer de façon indépendante la façon dont se déroulait cette première phase. En mai, le rapporteur spécial de l'ONU sur l'indépendance des juges et des avocats s'est rendu au Mexique afin d'étudier le fonctionnement du système judiciaire mexicain. Le gouvernement a accepté de rouvrir, en collaboration avec la Commission interaméricaine des droits de l'homme, certains dossiers jamais élucidés. Il a invité une délégation de la Commission à se rendre au Mexique en juillet afin de déterminer, avec l'aide d'organisations non gouvernementales, de victimes et de proches de victimes, la façon dont les recommandations non encore appliquées de la Commission pouvaient l'être. A la fin de 2001, dans nombre de cas, l'espoir de voir progresser ces dossiers ne s'était pas réalisé. A la fin de l'année, le Sénat a approuvé la ratification d'un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits humains. En outre, des initiatives ont été prises en vue de reconnaître la compétence du Comité des droits de l'homme, du Comité contre la torture et d'autres comités des Nations unies chargés du suivi des traités à recevoir les plaintes émanant de particuliers. Il restait encore au Mexique à ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Visites d'Amnesty International Des délégués d'Amnesty International se sont rendus au Mexique en trois occasions, et notamment en mars, où le secrétaire général de l'organisation alors en exercice a pu rencontrer le président Fox et divers hauts responsables de l'administration. Traités ratifiés ou signés en 2001 Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes. Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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