MANAGUA, vendredi 14 juin 2013 (LatinReporters.com) - À moins de 600 km au nord-ouest de celui de Panama, un second canal interocéanique
va-t-il relier l'Atlantique au Pacifique, traversant le Nicaragua au terme
de travaux qui dureraient au moins dix ans ? Ce projet pharaonique, d'un coût
estimé à 40 milliards de dollars, est l'objet de la concession
exclusive octroyée pendant un siècle à une entreprise
chinoise, jeudi à Managua par l'Assemblée nationale nicaraguayenne.
Avec le vote de deux lois par 61 députés sur les 92 que compte
l'Assemblée, la majorité absolue sandiniste (gauche) du
président Daniel Ortega a attribué à l'entreprise chinoise
HK Nicaragua Canal Development Investment Co. Limited (HKND) le
tracé, le développement, l'ingénierie, les accords de
financement, la construction, la propriété, l'exploitation,
l'entretien et l'administration d'un canal entre les océans Atlantique
et Pacifique.
Le projet prévoit aussi la construction
de ports, d'un aéroport, d'un oléoduc, d'une ligne de chemin
de fer et d'une zone franche. D'une durée initiale de 50 ans, la concession
exclusive pourra être prorogée de 50 autres années à
la requête de HKND, fondée récemment à Hong
Kong par l'avocat et homme d'affaires chinois Wang Jing. À noter, pour le
contraste, que le Nicaragua entretient des relations diplomatiques avec Taïwan,
mais pas avec la Chine.
Le tracé du canal n'est pas
encore défini. Managua envisage quatre routes possibles, toutes passant
par l'immense lac Nicaragua (8.264 km
2). HKND Group a confirmé que le fleuve
San Juan, qui marque la frontière avec le Costa Rica, ne sera pas
intégré dans le projet. Il l'avait été à partir de ...1826
! dans la quasi totalité des projets précédents, dévalorisés
par le canal de Panama, inauguré en 1914.
Même réaménagé, le canal de Panama sera-t-il insuffisant ?
Paradoxalement, la décision nicaraguayenne intervient au moment où
le canal de Panama se dote d'un troisième jeu d'écluses, au
prix de 5,25 milliards de dollars. Ce réaménagement, programmé
de 2007 à 2015, permettra le transit de nouveaux gabarits du commerce
maritime, de navires appelés significativement les post-Panamax, car
trop grands pour les jeux d'écluses 1 et 2.
Mais pour justifier le projet de ce qu'elle appelle déjà le
canal du Nicaragua, l'entreprise chinoise HKND affirme que, même réaménagé,
le canal de Panama ne tardera pas à se révéler insuffisant
à cause, d'une part, de la croissance rapide du commerce entre l'Asie
et le continent américain et, d'autre part, de la hausse incessante
des gabarits pour raison de rentabilité.
Les navires super-post-Panamax, que même les nouvelles écluses
en construction à Panama ne pourront pas accueillir, représentent
déjà 10% de la capacité mondiale de la flotte des porte-conteneurs,
estime HKND. Aussi le canal du Nicaragua serait-il d'emblée conçu,
en largeur et profondeur, pour affronter mieux que son concurrent panaméen
la course aux gabarits.
Le gouvernement du président
Ortega évalue que si les travaux du nouveau canal débutaient en 2014,
le produit intérieur brut (PIB) du Nicaragua progresserait cette année-là
de 10,8%, puis de 15% en 2015. Selon les projections officielles, le chantier
et les activités dérivées tripleraient l'emploi formel,
qui passerait de 620.000 à 1,9 million de salariés.
Opposition au projet
Mais l'accord avec HKND soulève
une forte opposition de la part de certains secteurs politiques, économiques,
écologistes, ainsi que dans les rangs de communautés indigènes,
qui estiment que le président Daniel Ortega hypothèque le Nicaragua
en faveur d'une obscure entreprise créée par l'entrepreneur
chinois Wang Jing, que personne ne connaîtrait. (Wang Jing présiderait
néanmoins le comité de direction de 20 entreprises opérant dans
35 pays, indique le
site Internet de HKND).
Selon l'opposition nicaraguayenne, les lois adoptées jeudi sont anticonstitutionnelles,
frauduleuses et préjudiciables aux intérêts du pays.
"Nous offrons notre territoire à une entreprise étrangère
qui peut le vendre ou le louer en morceaux", a déclaré le chef
de l'opposition, le libéral Eduardo Montealegre.
Dans un communiqué, le Mouvement rénovateur sandiniste (MRS,
sandinistes dissidents) accuse le président Ortega de "livrer la souveraineté
nationale" à une "entreprise inconnue" et réclame "une ample
consultation populaire".