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Le Salvador face à l'élection présidentielle: l'avenir au-delà des fast-foods
par Camilo SORTO CAZAUX
Jeudi 12 mars 2009 (LatinReporters.com)
L'élection présidentielle
du 15 mars au Salvador, le plus petit Etat d'Amérique centrale, pourrait
renforcer les gauches latino-américaines en mettant fin à
20 ans de pouvoir de l'Alliance républicaine nationaliste (ARENA,
droite).
Le favori de la majorité des sondages est l'ex-journaliste
de télévision Mauricio Funes, candidat du Front Farabundo Marti
pour la libération nationale (FMLN), parti issu de l'ancienne guérilla
d'extrême gauche du même nom. Il a pour seul adversaire l'ex-directeur
général de la Police nationale civile, Rodrigo Avila, qui tentera
de prolonger la suprématie de l'ARENA. Le 18 janvier dernier, le FMLN
avait remporté les législatives à la majorité
relative sans surpasser la majorité parlementaire des droites coalisées. Le
FMLN avait aussi progressé aux élections municipales célébrées
le même jour, perdant toutefois la mairie emblématique de la capitale, San Salvador.
L'article ci-contre est une photographie partielle du Salvador.
L'auteur, Camilo SORTO CAZAUX, croit que ce pays de 6,8 millions d'habitants aspire fortement
au changement. Etudiant en LLCE Espagnol à Toulouse (France), Camilo est né il y a
23 ans au Mexique de père salvadorien réfugié politique,
cinéaste et écrivain, et de mère basque-française
professeur et écrivaine amoureuse de l'Amérique Latine. Cette
double appartenance a permis à l'auteur de connaître de l'intérieur
les terres latino-américaines.
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Le 16 janvier 1992 les accords de Paix de Chapultepec mettent fin à
12 années d'une guerre civile sanguinaire qui tua 75.000 personnes
et provoqua l'exil d'un million d'autres. Depuis cette date, le pays construit
difficilement la « Paz Social ». Mais malgré cette volonté
de « Paix Sociale », le Salvador connaît de graves difficultés
sécuritaires provoquées par divers phénomènes.
Parmi eux, la massification des « maras » (bandes de délinquants)
oblige ma grand-mère à chuchoter leur nom pour me prévenir
que le mot d'ordre dans la capitale est: « prudencia ». De même,
dû au peu d'influence géopolitique, le Salvador subit de plein
fouet les méfaits de la mondialisation. Le fossé social va grandissant
et cette paupérisation ne cesse de croître depuis que le pays
a perdu son autonomie monétaire le 1er janvier 2001, suite à
la Loi d'Intégration Monétaire (LIM) qui amorça la disparition
du colón au profit du dollar américain.
Néanmoins le pays connaît un mieux-être général.
Les jeunes d'aujourd'hui n'ont connu que la Paix tandis que la génération
précédente n'a qu'une envie, ne plus jamais voir la couleur
du sang bien que celle-ci ne s'oublie pas. Le « boom » économique
est au rendez-vous. Les chantiers de cités pavillonnaires, aux noms
exotiques de villes européennes, et autres centres commerciaux poussent
comme des champignons et les infrastructures autoroutières augurent
d'une nette amélioration pour ce pays du tiers-monde.
L'influence nord-américaine
Le Salvador connaît depuis 1992 une époque de développement
à nulle autre pareille. Ce « boom » économique est
le résultat de la mondialisation qui force les Salvadoriens à
un changement brutal dans leurs habitudes de consommation ainsi que dans leur
vie quotidienne. Elle a ouvert encore plus grand la porte à l'influence
nord-américaine et à son concept d' « american way of
life ». Les fast-foods et leurs chapelets d'individus obèses
ont littéralement envahi le pays. La télévision satellitaire
nord-américaine et sa culture de masse inondent les ménages
et rabaissent la culture salvadorienne au rang d'attraction touristique. La
société de consommation a posé son emprise sur les Salvadoriens
et le pays a progressé vers une occidentalisation forcée, révélée
principalement par ces nouvelles habitudes de consommation.
La multiplication des centres commerciaux est là-bas LE symbole du
changement. Hormis Metrocentro dont l'inauguration remonte à 1971 et
Galerias Escalon construit en 1994, pas moins de cinq gigantesques centres
commerciaux furent édifiés sur le modèle des «
malls » nord-américains entre 2003 et 2005 dans ou en périphérie
de San Salvador. Ces constructions sont une réelle fierté et
une preuve pour tous des progrès que le pays a faits dans le domaine
économique. Ils sont devenus les endroits préférés
des familles, des jeunes et moins jeunes comme lieux de distraction. Regroupant
tout-en-un, ce sont d'énormes complexes de consommation et de loisir
qui attirent par leur nouveauté toujours plus de clients, passants,
ou simples badauds.
Une véritable désillusion
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McDonald's au pied de l'hôtel Hilton à San Salvador : la mondialisation
a ouvert encore plus grand la porte à l'influence nord-américaine. (Photo SkycraperCity.com) |
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Mais ce développement « à l'occidentale » a aussi
provoqué de graves méfaits sur le coût de la vie. L'entrée
en vigueur du dollar en janvier 2001 a totalement modifié le pouvoir
d'achat des Salvadoriens. En 2006, le coût de la « canasta básica
» (« le panier de la ménagère ») a augmenté
de 12,03$ pour atteindre la somme de 158,42$. Alors que le salaire minimum
ne s'élève qu'à 174,24$, desquels il faut soustraire
16,12$ d'impôts, il est inutile de préciser les difficultés
financières auxquelles les foyers pauvres et modestes doivent faire
face chaque mois pour se loger, s'habiller, se soigner, payer les transports
et l'éducation des enfants. Car au Salvador, l'école publique,
la sécurité sociale ou les aides sociales sont très loin
d'être justes et efficaces et chacun, du plus riche au plus pauvre,
doit payer de sa poche ces « extras ».
Avec un PIB par habitant de 3.073$ (2008) et 48% de la population vivant
en-deçà du seuil du pauvreté et alors que déjà trois millions
de Salvadoriens vivent à l'étranger, beaucoup d'entre-eux éprouvent
une furieuse envie d'exil. Malgré les progrès économiques
du pays et l'augmentation du PIB national, qui est passée de 1,90% en 2003 à 4,20%
en 2007 et 3,2% en 2008, le peuple traverse une véritable désillusion. Le pays
va mieux économiquement mais la population, dans sa grande majorité,
n'en profite pas.
La Culture oubliée
Je n'ai eu qu'à me pencher sur un titre du Diario de Hoy pour avoir
un aperçu de la pauvreté intellectuelle dans un certain domaine
culturel. Ce titre disait que 75% des Salvadoriens n'avait jamais lu ou vu
une pièce de théâtre. Sans avoir à se plonger dans
leurs programmes scolaires ou la diversité des pièces proposées,
la raison principale de cette carence culturelle est avant tout le manque
de moyens des ménages. À 5$ minimum la représentation,
il n'est évidemment pas question pour une famille d'aller « gaspiller
» une vingtaine de dollars pour aller au théâtre! A contrario,
la place de cinéma ne coûte elle que 1$50. Mais lorsque le choix
ne se limite qu'aux blockbusters américains... Heureusement, grâce
au piratage, le choix peut facilement être élargi. D'ailleurs
les stands de DVD pirates ont pignon sur rue et fourmillent un peu partout,
permettant à certains de survivre à coup de 1$ le disque. Mais
ce ne sont là que des causes inhérentes à la situation
d'un pays du tiers-monde.
Les quelques associations, musées, cafés-concerts ou autres
galeries d'art ne peuvent survivre que grâce à l'implication
financière de leurs fondateurs ou à leur fréquentation
et ne reçoivent que fort rarement de l'aide publique. J'ai eu le plaisir
de visiter l'unique musée de San Salvador qui traite de la culture
populaire. Tenant dans une maison dont la cour a été couverte
afin d'exploiter une salle supplémentaire, il compte cinq pièces
articulées autour de cette cour couverte et ne survit que grâce
au tarif de la visite, un dollar, et à ce que les visiteurs veulent
bien laisser en sus. J'ai même eu droit à une visite privée.
Non pas parce que je l'avais demandée, mais parce que j'étais
l'unique visiteur. Et lorsque j'ai feuilleté le Livre d'or, quelle
ne fut pas ma surprise lorsque j'ai remarqué que la grande majorité
des visiteurs étaient étrangers.
La culture autochtone est passée sous silence par la déferlante
nord-américaine et le manque cruel de moyens financiers. Le gouvernement
développe les centres commerciaux et les multiplex entièrement
dédiés au cinéma hollywoodien, autant qu'il altère
la vérité historique contemporaine du pays, permettant à
certains jeunes, comme mon cousin germain, de comparer les combattants du
FMLN du temps de la guerre civile aux bouchers nazis de la Seconde Guerre
Mondiale et, par là même, d'en voir certains parmi eux se tatouer
la croix gammée pour de seules raisons esthétiques. Heureusement,
il persiste des citoyens qui ne se laissent pas berner et qui ne se contentent
pas des belles façades ultramodernes des centres commerciaux et des
lisses revêtements asphaltés.
Génération espoir?
Ce sont des jeunes comme Victor, un cousin éloigné qui a étudié
au lycée français de la capitale. Il poursuit depuis des études
supérieures qui le mèneront sûrement à occuper
un poste important pour son pays, qu'il soit commercial, économique
ou politique. J'ai eu la joie de le rencontrer lors d'une soirée entre
jeunes Salvadoriens, tous aisés, voire riches, et tous différents.
J'ai eu le plaisir de l'écouter me parler de son pays, de la situation
économique, politique, de la population en exil et de celle qui veut
partir. Et j'en ai pleuré. Intelligent, informé et ambitieux,
il souhaite que son pays tire le meilleur parti de sa récente ouverture
tout en préservant son identité. Il aspire à le servir
au travers de son éducation et de sa capacité financière
afin de préserver sa culture et son autonomie. Ce soir là fut
un soir d'émotion car cette rencontre m'a insufflé de l'espoir
pour le Salvador. Elle m'a permis de fréquenter une jeunesse consciente
de l'importance de sa responsabilité afin de le préserver d'un
raz-de-marée qui le ferait disparaître dans le giron nord-américain,
à l'image de Porto Rico. Mais ce sont aussi de personnes plus âgées,
de celles qui ont connu le pays en guerre, que l'espoir d'offrir au Salvador
une véritable renaissance émane encore. Surtout qu'un souffle
de gauche venu de toute l'Amérique pousse cette frange populaire à
caresser l'espoir de parvenir à provoquer l'alternance.
Les Salvadoriens étant à l'heure du choix entre l'américanisation
totale et un sursaut d'orgueil afin de préserver leur identité
culturelle et leur indépendance, la donne géopolitique actuelle
en Amérique pourrait avoir une influence très importante sur
les motivations du vote le 15 mars prochain. Entre le modèle chaviste
du Venezuela et le nouvel accès à la présidence du Paraguay
de « l'évêque des pauvres », Fernando Lugo, il y
a eu au Guatemala une alternance récente en faveur du parti social-démocrate
UNE qui pourrait inspirer les électeurs salvadoriens. Car, pour reprendre
une formule en vogue ces temps-ci et utilisée par un certain Barack
Obama, « Change, We need ». Le Salvador a cruellement besoin de
faire vivre sa démocratie.
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