MADRID, mardi 7 février 2012 (LatinReporters.com) -
"Si on n'invite
pas Cuba au Sommet des Amériques (...), nous envisageons de ne pas
assister à ce sommet" a averti le président du Venezuela,
Hugo Chavez, devant ses pairs des pays de l'ALBA réunis
les 4 et 5 février à Caracas. La menace d'un boycott collectif
du sommet continental, en avril en Colombie, met à l'épreuve
l'Organisation des États américains (OEA) qui le chapeaute
et le président des États-Unis, Barack Obama. Selon Washington,
Cuba n'a pas atteint
"le seuil" [démocratique] qui autoriserait
sa participation.
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Quatre présidents de pays de l'ALBA, le 4 février 2012 à
Caracas. Au premier plan, de gauche à droite : Evo Morales (Bolivie),
Hugo Chavez (Venezuela), Daniel Ortega (Nicaragua) et Raul Castro (Cuba) - Photo Marcelo Garcia / Prensa Presidencial |
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Dans la capitale vénézuélienne, les présidents
des pays de l'ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples
de notre Amérique) ont décidé de convoquer
une réunion extraordinaire à La Havane, à une date indéterminée,
afin d'étudier s'ils participeront ou non au VIème Sommet des
Amériques, les 14 et 15 avril à Cartagena de Indias (Colombie),
si Cuba n'y est pas invitée. Le boycott n'est donc pas encore
décidé, mais l'administration du président Obama a déjà
vivement réagi.
"Cuba, aujourd'hui, n'a en aucune façon atteint le seuil [démocratique]
de participation" déclarait lundi à Washington William
Ostick, porte-parole du département d'État pour l'Amérique
latine. Interrogé par l'agence espagnole Efe, il a précisé
que les États-Unis exigent
"des progrès significatifs en
matière de libertés politiques et de démocratie pour
que Cuba puisse se joindre au sommet" de Cartagena, dont Barack Obama
sera la tête d'affiche.
L'ALBA, l'OEA et Cuba
Organisation politico-économique hostile aux États-Unis, créée
en décembre 2004 sous l'impulsion de Hugo Chavez et de Fidel Castro,
l'ALBA compte aujourd'hui huit pays membres : Venezuela, Cuba, Bolivie, Nicaragua,
Équateur, la Dominique, Antigua-et-Barbuda et Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
Le Honduras s'en est retiré après le coup d'État de
juin 2009. Le petit État insulaire de Santa Lucia et le Surinam sont
candidats à l'adhésion, un pas que franchira peut-être
Haïti.
L'institution du Sommet des Amériques est pour sa part une émanation
de l'OEA, laquelle réunit 34 pays, tous ceux du continent à
la seule exception de Cuba. Le Sommet des Amériques précédent,
déjà avec Barack Obama en
avril 2009
à Trinité-et-Tobago,
fit brièvement croire à un début de réconciliation
entre les États-Unis et le bloc régional de la gauche radicale.
Ainsi, en juin 2009, l'exclusion de Cuba de l'OEA, prononcée en 1962,
était
révoquée
par acclamation des 34 pays, dont les États-Unis.
Mais le régime castriste se refusa à présenter la sollicitude,
obligatoirement assortie de la reconnaissance de la Charte démocratique
de l'OEA, qui aurait concrétisé sa réintégration.
"Complice de tous les crimes commis contre Cuba", l'OEA est l'instrument
"d'agressions politiques et économiques" contre l'Amérique
latine et
"un jour, de nombreux pays demanderont pardon de lui avoir appartenu"
écrivait alors Fidel Castro.
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Hugo Chavez et le président haïtien Michel Martelly au XIème
sommet de l'ALBA, tenu les 4 et 5 février 2012 à Caracas. Haïti
est "invité spécial observateur" de l'ALBA. (Photo Prensa Presidencial) |
Hugo Chavez et ses alliés de toute façon gagnants ?
En réclamant que Cuba soit invitée au VIème Sommet des
Amériques, Hugo Chavez et l'ALBA exigent en fait implicitement que le gouvernement
castriste puisse siéger pleinement au sein de l'OEA sans adhérer
préalablement à ses principes démocratiques. Pour Barack
Obama, l'accepter serait dynamiter ses chances de réélection
en novembre, à moins que La Havane ne précipite soudain une
improbable ouverture démocratique. En outre, la victoire politique
que remporterait le président cubain Raul Castro en recevant une invitation
n'empêcherait peut-être pas l'affront qu'il boude malgré
tout le sommet, comme il méprisa en 2009 le feu vert conditionné
à la réintégration de Cuba au sein de l'OEA.
Recueillant l'appui immédiat de Hugo Chavez, c'est le président
de l'Équateur, le socialiste radical Rafael Correa, qui proposa le
week-end dernier à Caracas aux présidents des pays de l'ALBA
de "ne pas assister", c'est-à-dire de boycotter collectivement le
VIème Sommet des Amériques si Cuba n'y est pas invitée.
"Je suis d'accord avec toi, Rafael, si on n'invite
pas Cuba au Sommet des Amériques, et j'espère que cela ne va
pas altérer les relations avec le gouvernement colombien, cela n'a
rien à voir avec la Colombie, nous autres nous envisageons de ne pas
assister à ce sommet" affirma Chavez. Il suggéra
néanmoins que l'ALBA
"consulte le gouvernement
colombien, qui est l'amphitryon [du sommet], pour savoir s'il a prévu
d'inviter Cuba, car jusqu'à présent nous ne parlons que d'une
supposition".
Malgré la normalisation progressive de relations difficiles avec le
Venezuela voisin, le président colombien Juan Manuel Santos demeure
un allié privilégié des États-Unis. Peut-il inviter
Cuba au VIème Sommet des Amériques sans provoquer une tempête
diplomatique? Sans mettre au pied du mur l'OEA et la Maison blanche? Mais
s'il ne le fait pas, le sommet de Cartagena pourrait être celui du
début de l'éclatement de l'OEA, puisque les chaises des pays
de l'ALBA resteraient probablement vides. Dans l'un ou l'autre cas, Hugo
Chavez et ses alliés seraient apparemment gagnants.
La ministre des Affaires étrangères colombienne, Maria Angela
Holguin, a surpris en annonçant lundi qu'elle tentera d'obtenir le
consensus des pays du continent pour que Cuba soit présente à
Cartagena.
Dans la foulée de la CELAC
Cet épisode s'inscrit dans la foulée du sommet fondateur,
les 2 et 3 décembre 2011 à Caracas, de la
Communauté
des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC), organisation
elle aussi continentale, à la seule et double exclusion des États-Unis
et du Canada. Ses 33 pays membres ont tous condamné l'embargo américain
qui frappe Cuba depuis un demi-siècle.
Le clan de l'ALBA, Hugo Chavez en tête, tenta de faire d'emblée
de la CELAC le substitut de l'OEA, jugée trop influencée par
Washington où elle siège. Les trois principales puissances
latino-américaines, Brésil, Mexique et Argentine, s'y opposèrent,
ainsi que divers autres pays dont la Colombie et le Chili. Le Venezuela et
ses alliés réussiront-ils à rouvrir ce débat
en attisant la polémique autour du VIème Sommet des Amériques?
Pour le prochain sommet de la CELAC, en janvier 2013 à Santiago du
Chili, le milliardaire et président conservateur chilien, Sebastian
Piñera, invitera sans états d'âme Raul Castro. D'autant
que tous deux forment actuellement avec Hugo Chavez la troïka tournante
qui gère la CELAC. Que la démocratie y trouve ou non son compte,
une Amérique moins étatsunienne est donc en marche. Son instigateur
le plus puissant est le Brésil, que ses intérêts géopolitiques
et économiques portent à tempérer les débordements
chavistes.