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Colombie : fumigation aérienne avec défoliants pour détruire des plantations
de coca. (Archives - Photo Jeremy Bigwood) |
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BOGOTA, mardi 10 avril 2012 (LatinReporters.com) - Le premier débat continental sur les conséquences à
tirer de l'échec de décennies de lutte contre le narcotrafic
sera ouvert au VIe Sommet des Amériques, les 14 et 15 avril en Colombie avec la participation
du président des États-Unis, Barack Obama. Une éventuelle dépénalisation
ou légalisation à terme des drogues, que Washington refuse
d'emblée, sera l'un des éléments en discussion.
Ce débat particulièrement délicat à l'approche
de l'élection présidentielle américaine de novembre
a été accepté sans enthousiasme par la Maison blanche sur proposition
de la Colombie, hôte du sommet dans la ville historique de Cartagena
de Indias (Carthagène des Indes), port et joyau touristique sur la mer des Caraïbes.
La Colombie et le Pérou sont les deux principaux producteurs mondiaux de cocaïne.
Juan Manuel Santos, président colombien de centre droit et partenaire
privilégié des États-Unis dans la région, a
jugé nécessaire d'analyser le dossier du narcotrafic sur le
continent américain. Dans le schéma
actuel, les États-Unis, opposés à toute légalisation,
concentrent l'essentiel des acheteurs toxicomanes et l'Amérique latine
la quasi totalité des morts, quelque 50.000 rien qu'au Mexique depuis
2006.
De nombreuses personnalités latino-américaines
ont conclu depuis plusieurs années à l'échec de la lutte mondiale contre les drogues
et envisagé leur dépénalisation comme solution. Parmi
ces personnalités figurent des ex-chefs d'État tels Fernando
Henrique Cardoso (Brésil), Vicente Fox (Mexique) et César Gaviria
(Colombie).
En septembre 2010, lors d'une réception à
l'ambassade du Mexique à Madrid, le socialiste Felipe Gonzalez, qui
gouverna l'Espagne de 1982 à 1996, déclarait à la presse
que
"l'unique moyen" pour affronter avec succès les menaces
sur la sécurité et la démocratie découlant du narcotrafic
serait
"un accord international" sur la légalisation
des drogues. Un accord, insistait-il, que
"tous devraient appliquer",
car
"aucun pays ne peut décider cela unilatéralement sans
un coût extraordinairement grave pour ses dirigeants".
Problème de "santé publique", non de "justice pénale",
propose le Guatemala
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Otto Pérez Molina, président du Guatemala. (Photo Alex Cruz / elperiodico.com.gt) |
Le débat est relancé depuis le mois de février
par un chef d'État en exercice, le général retraité
Otto Pérez Molina, élu président du Guatemala en novembre
2011. En se déclarant partisan d'une dépénalisation
multinationale contrôlée des drogues, cet ancien chef des services
secrets guatémaltèques, classé théoriquement
à droite, a contribué de manière décisive à
faire rebondir la question devant l'imminent Sommet des Amériques,
d'autant que le Guatemala et d'autres pays d'Amérique centrale sont,
comme le Mexique, très secoués par la criminalité et
la corruption liées au narcotrafic. Au-delà de la sécurité
publique, les institutions démocratiques sont aussi minées
par ce fléau.
Selon Washington, 90 % de la drogue (cocaïne et marijuana principalement)
à destination des États-Unis transite par l'Amérique
centrale. Un constat partagé par l'Office international de contrôle
des stupéfiants (OICS). D'après cette agence onusienne, citée par l'AFP, la
violence atteint
"des niveaux alarmants et sans précédent,
aggravant ainsi la sécurité et faisant de la sous-région
une des zones les plus violentes au monde". Les chiffres sont particulièrement
éloquents dans la zone dite du Triangle du nord, comprenant le Honduras
(82 homicides pour 100.000 habitants en 2011, record mondial), le Salvador
(65) et le Guatemala (40), selon l'ONU.
Partant du constat que
"la consommation et la production de drogue sont
toujours plus importantes" malgré des années de lutte gouvernementale,
Otto Pérez Molina propose que
"la consommation, la production et
le trafic de drogue fassent l'objet de mesures internationales de régulation,
ce qui signifie que la consommation et la production devraient être
légalisées, mais dans un certain cadre et sous certaines conditions".
L'approche, souhaite-t-il, ne devrait pas relever de la
"justice pénale",
mais de la
"santé publique", visant à protéger
les jeunes et à réduire la consommation comme on le fait pour
l'alcool et le tabac.
2.500 milliards de dollars et 40 millions d'arrestations
Convoqués sur le thème officiel général
"Partenaires
pour la prospérité", les 33 chefs d'État ou de gouvernement
attendus au VIe Sommet des Amériques (seuls Cuba et l'Équateur
ne seront pas représentés) devraient se pencher, en matière
de drogues, sur plusieurs scénarios et leurs conséquences à
moyen et long terme. Aux côtés d'une éventuelle dépénalisation,
qui recueillera probablement peu d'adhésions même si elle serait
le pire coup porté au monde du crime, on envisagera aussi par exemple
le durcissement des peines pour les narcotrafiquants.
"Ce n'est qu'en analysant tous les scénarios qu'on pourra distinguer
la meilleure proposition" avait affirmé le président colombien
Juan Manuel Santos après l'acceptation de ce débat par la Maison
blanche. Quelle que soit son issue, le débat sera en soi, comme le
souhaitait le président du Guatemala, une reconnaissance de la nécessité
de rechercher sur une échelle internationale de meilleurs remèdes
au problème du narcotrafic et de ses dégâts politiques
et sociaux.
Le président des États-Unis Richard Nixon avait entamé
voici plus de 40 ans, en 1971,
"la guerre contre les drogues" et créé
en 1973 la Drug Enforcement Administration (DEA, agence fédérale
de lutte contre la drogue). Depuis, Washington a investi dans ce combat national
et continental plus de 2.500 milliards de dollars et arrêté
quelque 40 millions de personnes. Mais les résultats ne rassurent
pas. De plus, à tort ou à raison, des programmes tels que le
Plan Colombie ont accrédité l'idée que Washington prétexte
la lutte contre les stupéfiants pour maintenir une présence
militaire dans divers pays latino-américains.