CARTHAGÈNE / MADRID, lundi 16 avril 2012 (LatinReporters.com) - Le constater ne signifie pas s'en réjouir, mais l'exclusion de Cuba
du VIe Sommet des Amériques, les 14 et 15 avril à Carthagène
(Colombie), a débouché sur un triomphe diplomatique des frères
Castro puisque l'Amérique latine a averti en choeur le président
des États-Unis, Barack Obama, que cette réunion continentale
serait la dernière sans Cuba.
"La
survie du sommet des Amériques se trouve désormais clairement
posée" en déduit l'Agence France Presse.
Déduction identique, sous forme interrogative, des journalistes colombiens
Nathan Jaccard et Rodrigo Urrego, de l'influent
hebdomadaire colombien Semana.
"Celui de Carthagène pourrait-il
entrer dans l'Histoire comme l'ultime Sommet des Amériques?"
se demandent-ils.
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Trois des chefs d'État protagonistes du VIe Sommet des Amériques
: (de gauche à droite) Dilma Rousseff (Brésil), Barack Obama
(États-Unis) et Juan Manuel Santos (Colombie) - Photo César
Carrion / SIG |
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Obama : pour être acceptée, Cuba doit être "libre"
Peut-être plus encore que la solidarité latino-américaine,
le risque de disparition du Sommet des Amériques, convoqué
en moyenne tous les trois ans, fait à coup sûr aussi sourire
Raul et Fidel Castro. Car cette institution, née en 1994 à
Miami à l'initiative du président Bill Clinton et chapeautée
depuis par l'Organisation des États américains (OEA), a pour
ambition la plus explicite de promouvoir un libre-échange continental
que Washington juge favorable à ses intérêts économiques
et politiques.
Cuba n'a jamais participé aux Sommets des Amériques, car elle
est exclue depuis un demi-siècle de l'OEA et elle n'a pas donné suite à la réintégration
qui lui est ouverte depuis 2009 moyennant adhésion à la Charte
démocratique interaméricaine. Ce mépris pour l'OEA,
que Fidel Castro juge complice des crimes de
"l'impérialisme américain",
rend paradoxales la mise en demeure latino-américaine à Washington
sur l'admission de Cuba aux Sommets des Amériques, ainsi que la prétention
cubaine, vaine mais très tactique, de siéger à Carthagène.
"Je veux que le peuple de Cuba s'intègre au continent, que ses citoyens
s'expriment, qu'ils puissent critiquer leurs dirigeants", que Cuba soit
donc
"libre" pour lui souhaiter alors la bienvenue au prochain Sommet
des Amériques [en 2015 au Panama; ndlr], a déclaré Barack
Obama à l'issue de la réunion continentale de Carthagène,
clôturée sans déclaration finale faute de consensus des
trente chefs d'État présents.
Mais, n'en déplaise à Obama, Cuba est déjà si
intégrée à son continent qu'elle présidera l'an
prochain la Communauté des États latino-américains et
des Caraïbes (Celac), mise sur les rails en décembre dernier
à Caracas. Impulsée surtout par le Brésil comme forum
continental de concertation politique et économique, la Celac regroupe
tous les pays des Amériques, sauf deux tenus à l'écart,
les États-Unis et le Canada.
Entre Latino-Américains, real
politik, préférence identitaire et mauvais souvenir de l'oncle
Sam s'accommodent donc apparemment du mépris des droits de l'homme
à Cuba. Une tolérance sans doute comparable à celle
de Washington à l'égard de la Chine et de nombre de régimes
moyenâgeux.
L'ALBA boycottera tout sommet sans Cuba
Même l'hôte du sommet de Carthagène, le président
colombien Juan Manuel Santos, allié privilégié des États-Unis
en Amérique du Sud, a déclaré devant Barack Obama qu'un
prochain
"sommet sans Cuba" serait
"inacceptable".
"L'isolement,
l'indifférence ont démontré désormais leur inefficacité.
Dans le monde d'aujourd'hui, cet anachronisme n'est pas justifié",
a poursuivi M. Santos, dont le discours qui égratignait aussi l'embargo américain
a été vivement applaudi, notamment par la présidente du Brésil,
Dilma Rousseff.
La survie des Sommets des Amériques semble donc
incertaine, d'autant que les pays de l'Alliance bolivarienne pour les peuples
de notre Amérique (l'ALBA, qui réunit Venezuela, Cuba, Bolivie,
Nicaragua, Équateur, la Dominique, Antigua-et-Barbuda et Saint-Vincent-et-les-Grenadines)
ont diffusé à Carthagène un communiqué annonçant
leur boycott de tout prochain sommet sans Cuba.
L'absence à Carthagène du président vénézuélien
Hugo Chavez, revenu samedi à La Havane pour un nouveau cycle de radiothérapie
contre son cancer, ainsi que la chaise vide, par solidarité avec Cuba,
des présidents équatorien Rafael Correa et nicaraguayen Daniel
Ortega ont porté des analystes à conclure à une perte
d'influence de l'ALBA. Les journalistes colombiens Nathan Jaccard et Rodrigo
Urrego estiment toutefois dans Semana que
"l'agenda de l'ALBA a finalement
primé : Cuba était dans la bouche de tous les participants
et c'est l'une des principales raisons de l'absence d'un consensus sur une
déclaration finale".
Depuis La Havane, le vieux leader cubain Fidel Castro a ironisé
sur la mise en minorité du président américain Barack
Obama qu'il a jugé
"pensif et parfois absent" lors des débats,
dans un article publié dimanche par la presse officielle.
Malouines et lutte anti-drogue
Deux autres pommes de discorde ont également marqué le VIe
Sommet des Amériques. D'abord le refus, à nouveau des États-Unis
et du Canada, d'appuyer comme tous les pays d'Amérique latine la revendication
de l'Argentine sur les îles Malouines, considérées par
Londres et l'Union européenne comme un territoire britannique d'outre-mer.
Barack Obama a réitéré sur cette question la
"neutralité"
des États-Unis.
Enfin, à propos de la politique anti-drogue, dont l'efficacité
est contestée par plusieurs pays latino-américains, M. Obama
a jugé le débat
"utile", mais il a exclu toute
idée de dépénalisation promue notamment par le président
du Guatemala, Otto Pérez Molina. Ce dernier a néanmoins obtenu
que l'OEA soit chargée
"d'explorer de nouvelles pistes", selon
les mots du président colombien Santos.
Cuba et la lutte contre le narcotrafic ont éclipsé l'agenda
officiel du sommet, convoqué sous le thème
"Partenaires
pour la prospérité". Un sommet inutile? Barack Obama ne
pouvait certes faire aucune concession qui aurait réduit ses chances
de réélection en novembre. Mais selon le ministre vénézuélien
des Affaires étrangères, Nicolas Maduro, très proche
de Hugo Chavez qu'il représentait à Carthagène, l'essentiel
du sommet fut
"le consensus profond de la région pour ratifier
l'appui et la fraternité avec Cuba".