Bolivie - Nouveau gouvernement: deux Amérindiens, un général et des indépendantsLe président Carlos Mesa prie l'armée de défendre les droits de l'homme
Pour la première fois dans l'histoire de la Bolivie, l'exécutif ne compte aucun ministre représentant un parti politique. La récente convulsion sociale appelée "guerre du gaz", qui a fait plus de 80 morts et provoqué la chute et l'exil de l'ex-président Gonzalo Sanchez de Lozada, a discrédité davantage les partis. Le leader autochtone Felipe Quispe, dirigeant du plus grand syndicat agricole bolivien, prétend que le retour au calme n'est que "tactique". Il n'exclut pas une prochaine "guerre civile". Un nouveau ministère des "Affaires indigènes et des peuples originaires" (Asuntos Indígenas y Pueblos Originarios) est confié à Justo Seoane Parapaino, un Amérindien chiquitano de l'est tropical bolivien. Les observateurs s'interrogent sur sa représentativité, alors que la "guerre du gaz" contre l'exportation et la gestion néo-libérale du gaz naturel bolivien fut menée essentiellement par les ethnies quechua et surtout aymara dans le Chaparé et sur l'Altiplano, qui borde l'occident du pays. Par contre, c'est un Aymara, Donato Ayma Rojas, qui est nommé ministre de l'Education, de la Culture et des Sports. Autre innovation découlant de l'urgence de paix sociale en Bolivie, un ministère de la Participation populaire est attribué à Roberto Barbery Anaya, qui enseigna les sciences politiques et l'économie à L'Université privée de Santa Cruz, la capitale économique bolivienne. Répondant également aux revendications populaires de justice sociale, un poste de délégué présidentiel anti-corruption est confié à une femme, la journaliste Guadalupe Cajías de la Vega. Le président déchu Sanchez de Lozada avait déjà créé un secrétariat à la Lutte contre la corruption, rattaché la vice-présidence, alors assumée par l'actuel chef de l'Etat, Carlos Mesa. Un général prend la relève d'un civil à la Défense Si le ministère de l'Intérieur revient à l'analyste politique Alfonso Ferrufino Valderrama, par contre c'est le général de l'armée de terre Gonzalo Arredondo Millán qui prend la relève d'un civil à la Défense. Le président Carlos Mesa estime utile de confier ce portefeuille à "un spécialiste". Cette décision est paradoxale. C'est en effet l'armée qui a réprimé dans le sang les manifestations de la "guerre du gaz", au prix de plus de 80 morts et quelque 400 blessés. En outre, la réapparition d'un général dans l'exécutif risque de souligner davantage que la démocratisation de la Bolivie, à partir de 1982 après diverses dictatures militaires, demeure incomplète. Dans l'évolution immédiate du pays, le ministère de la Défense exercera certainement un rôle plus décisif que celui des "Affaires indigènes". Les Affaires étrangères passent aux mains d'un jeune diplomate, Juan Ignacio Siles del Valle, l'un des principaux responsables de l'organisation du 13e Sommet ibéroaméricain (sorte de Commonwealth hispanique) convoqué pour les 14 et 15 novembre à Santa Cruz. La récente "guerre du gaz" a fait envisager de transférer à Madrid ce sommet auquel assisteront les chefs d'Etat et de gouvernement des pays d'Amérique latine, du Portugal et d'Espagne. Le titulaire des Finances, Javier Gonzalo Cuevas Argote, est lié à la Confédération des chefs d'entreprises privées de Bolivie. Développement soutenable et Planification, Travaux publics, Santé, etc. sont confiés à divers technocrates plus ou moins proches du nouveau président. Le cabinet compte au total 15 membres. Le poste de ministre de la Présidence (équivalant à celui de Premier ministre) est assumé par José Antonio Galindo. Il était secrétaire général de la vice-présidence, assumée jusqu'à vendredi dernier par Carlos Mesa, désormais chef de l'Etat. Significativement, un portefeuille demeurait encore sans titulaire lundi: celui des Mines et des Hydrocarbures. Les candidats ne se bousculent donc pas au portillon pour assumer la responsabilité d'un secteur que les vainqueurs autochtones et syndicaux de la "guerre du gaz" veulent renationaliser, ce qui supposerait d'en expulser les sociétés américaines et européennes qui en ont pris le contrôle. La première promesse du président Carlos Mesa, dès son investiture, vendredi, fut celle d'un référendum sur l'éventuelle exportation, très contestée, de gaz natural bolivien vers le Mexique et les Etats-Unis, via le Chili ou le Pérou. Mais Carlos Mesa s'est fait aussi l'avocat du "respect des investissements". Quelques heures avant de présenter son gouvernement, le président recevait le serment d'allégeance de l'armée, qui a reconnu en lui son commandant suprême. Il demandait alors aux militaires de défendre la Constitution et les institutions, "mais en respectant les droits de l'homme". "Si nous défendons l'Etat, ajoutait-il, si nous croyons en la Bolivie et si nous l'aimons, nous devons défendre le bien le plus précieux de cet Etat, à savoir tous les Boliviens et chacun d'eux". "Jusqu'à la guerre civile"... Trois jours après la fin de la "guerre du gaz", des routes de l'Altiplano étaient encore coupées lundi par des travailleurs agricoles. Cinq mille d'entre eux ont marché hier sur le centre de La Paz pour réclamer "la fin de l'économie de marché" et des poursuites judiciaires contre l'ex-président Sanchez de Lozada, exilé aux Etats-Unis. Son successeur, Carlos Salas, a eu le courage d'aller à la rencontre des manifestants, réunis sur la Plaza de San Francisco, au centre de la ville. "Je vous en prie. Nous allons construire la paix ensemble. Laissez-moi un espace. Donnez-moi la possibilité de gouverner" a-t-il supplié. En présence de leur chef, Felipe Quispe, les manifestants lui ont offert une trêve de 90 jours qui ressemble à un ultimatum. Dirigeant du principal syndicat paysan de Bolivie, l'amérindien aymara Felipe Quispe avait déclenché la "guerre du gaz" à la mi-septembre. Il fut rapidement épaulé par des syndicats ouvriers, des mineurs, des cocaleros (cultivateurs de coca), des comités de quartier, etc. Aujourd'hui, il se révèle plus radical que l'autre stratège aymara de la "guerre du gaz", Evo Morales, le charismatique porte-parole des 30.000 familles de cocaleros du Chaparé. "Notre organisation adoptera sans doute un retrait tactique" annonçait dès dimanche Felipe Quispe. Mais il prévenait: "Nous ne pouvons pas sacrifier un mois de protestations et de manifestations pour un simple changement de président, car le système capitaliste et impérialiste est toujours en vigueur... Il y aura des problèmes en avril prochain. Nous pourrions aller jusqu'à la guerre civile pour prendre le pouvoir. Si nous ne le faisons pas nous-mêmes, nos enfants le feront"... Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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