L'Europe en crise constitutionnelle: réactions en Espagne
A Madrid, l'intransigeance supposée et une vision qualifiée de plus américaine qu'européenne du chef du gouvernement espagnol, le conservateur José Maria Aznar, est évoquée, pour expliquer le fiasco de Bruxelles, par l'ensemble de l'opposition, des socialistes aux nationalistes basques et catalans en passant par les communistes. Par contre, tant la presse que le Parti populaire (PP) gouvernemental, largement favori dans les sondages avant les législatives de mars 2004, accusent plutôt le Premier ministre italien, Silvio Berlusconi, le président de la Convention qui a élaboré le premier projet de Constitution européenne, l'ex-président français Valéry Giscard d'Estaing, et les actuels chefs d'Etat français et allemand, Jacques Chirac et Gerhard Schröder. Il n'y a pas de vide institutionnel, précise le chef du gouvernement espagnol, car à défaut d'un accord sur la répartition des pouvoirs au sein de l'UE (c'est sur ce point que le projet de Constitution européenne a été bloqué à Bruxelles), le Traité de Nice, favorable à l'Espagne, restera en vigueur. [Adopté à l'unanimité des chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE en décembre 2000, le Traité de Nice confère le statut de "grands" à l'Espagne et à la Pologne, qui adhérera à l'UE en mai prochain avec neuf autres nouveaux pays. Madrid et Varsovie jouissent chacune, selon le Traité de Nice, de 27 voix au Conseil européen, soit à peine deux de moins que l'Allemagne, la France, l'Italie et la Grande-Bretagne. Mais le projet actuel de Constitution européenne annule cet avantage en conférant aux pays de l'UE un pouvoir proportionnel à leur population]. A la menace de Jacques Chirac, appuyé sur ce point par l'Allemagne et la Belgique, d'aller de l'avant dans l'intégration européenne avec des "groupes pionniers" -ce qui signifierait une Europe à plusieurs vitesses- José Maria Aznar réplique en espérant que "personne ne va diviser l'Europe en enfreignant ses traités". Alternatives à l'axe franco-allemand? Au niveau de l'opposition, les socialistes espagnols soutenaient José Maria Aznar à Bruxelles. Cette union de circonstance au nom des intérêts de l'Espagne s'est rompue dès dimanche. Le chef du groupe socialiste au Parlement européen, l'Espagnol Enrique Baron, reproche à M. Aznar d'avoir "isolé l'Espagne". Quant au secrétaire général du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), José Luis Rodriguez Zapatero, principal candidat de l'opposition aux prochaines législatives, il affirme que le soutien de M. Aznar à la guerre en Irak l'empêcherait d'être "un interlocuteur crédible" en Europe. Côté presse, les trois principaux journaux espagnols -El Pais (pro-socialiste), El Mundo (centriste) et ABC (conservateur)- s'accordaient dimanche à expliquer une part substantielle de l'échec de Bruxelles par l'inconsistance de la présidence européenne de Silvio Berlusconi et la hâte de Giscard d'Estaing à présenter, sans véritable consensus, un projet de répartition des pouvoirs européens dicté par Paris et Berlin. Selon le conservateur ABC, la France et l'Allemagne, "en décadence politique, économique et sociale", auraient démontré à Bruxelles qu'elles ont perdu "la capacité de soumettre l'Union européenne à leurs intérêts". A ce propos, des observateurs notent que les divisions surgies en Europe au début de 2003 à propos de la guerre en Irak ont dessiné des axes alternatifs à l'axe historique franco-allemand. Paris et Berlin en souhaiteraient d'autant plus faire approuver, au sein de l'UE, une répartition des pouvoirs proportionnelle aux populations, ce critère favorisant leur capacité d'initiative et/ou de blocage. Et, précisément, si l'Espagne et la Pologne ont bloqué à Bruxelles le projet de Constitution européenne de Giscard d'Estaing, c'est parce qu'il répartit le pouvoir en fonction de la population, alors que l'actuel Traité de Nice met pratiquement, comme on l'a dit plus haut, ces deux pays sur le même pied que les "grands" de l'UE. Démocratie et surreprésentation de minorités ou régions En schématisant, on pourrait dire que Paris et Berlin, qui avaient pourtant approuvé le Traité de Nice, ramènent aujourd'hui la démocratie à l'équation "un Européen = une voix". Pas aussi simple, réplique en substance le gouvernement de Madrid. Et de suggérer que sans la surreprésentation originelle des petits "pères fondateurs" que sont les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, l'Union européenne n'existerait peut-être pas. Elu du Parti populaire de José Maria Aznar, le député espagnol Gabriel Cisneros, qui participa aux travaux de la Convention présidée par Giscard d'Estaing, relève que personne n'estime scandaleux qu'au Sénat des Etats-Unis le modeste Etat du Vermont compte autant de représentants que la géante Californie. Aux reproches de Louis Michel, le francophile et américanophobe ministre belge des Affaires étrangères, les Espagnols qui connaissent la Belgique répondent que la surreprésentation institutionnelle des Flamands à Bruxelles contribuerait à la stabilité du royaume d'Albert II. Dans le même ordre d'idées, on considère à Madrid que Jacques Chirac, ex-député de la Corrèze, n'ignore pas qu'un électeur de ce département du Limousin, où il faut moins de voix pour faire un député que dans la capitale, a plus de poids qu'un électeur parisien. Donc, selon l'Espagne, si les Etats admettent en leur sein la surreprésentation de minorités ou de régions moins peuplées comme élément du jeu démocratique, pourquoi alors, au niveau européen, devrait-on appliquer une proportionnalité pure et dure? Mais de là à vouloir réserver à 40 millions d'Espagnols un pouvoir de décision quasi égal à celui de 80 millions d'Allemands... Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
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