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Le Mouvement 15-M semble s'inscrire dans la durée
Espagne: plus de 200.000 "indignés" contre le Pacte pour l'euro et la crise
 

MADRID, lundi 20 juin 2011 (LatinReporters.com) - Le rejet du Pacte pour l'euro et des reculs sociaux qu'il institutionnalise était dimanche le leitmotiv de la mobilisation la plus massive du Mouvement des "indignés", né le 15 mai dernier. Plus de 200.000 manifestants ont défilé en Espagne dans des dizaines de villes, conspuant aussi banques, partis politiques, chômage, corruption, privatisations, système électoral et autres attributs du "système" en crise.

Marée humaine "d'indignés", le 19 juin 2011 à Madrid, sur la Plaza de Neptuno, à 300 m du Congrès des députés (Photo EFE / Ballesteros)

Cinq semaines après son apparition, le mouvement des "indignés", appelé aussi Mouvement du 15 mai ou Mouvement 15-M, conserve sur Internet sa force de convocation et conforte son ambition de s'inscrire dans la durée. Des médias le soupçonnaient d'essoufflement après la levée, le 12 juin, de son campement sur l'emblématique Puerta del Sol, au centre de Madrid. Les "indignés" avaient pourtant alors écrit sur un calicot "Nous ne partons pas, [car] nous nous installons dans ta conscience".

Autre défi relevé avec brio : les manifestations se sont déroulées sans violence et l'image de contestation pacifiste, mise à mal le 15 juin par des heurts à Barcelone, a été rétablie. Le mot d'ordre, dimanche, était de s'asseoir si surgissait la violence, afin que d'éventuels provocateurs puissent être mis en évidence et écartés.

"Plus de 200.000 personnes manifestent contre le Pacte pour l'euro" titrait dimanche soir l'édition digitale de l'influent quotidien de centre gauche El Pais. Barcelone venait en tête avec 75.000 manifestants (selon la mairie), suivie de Madrid (environ 40.000 selon la société Lynce) et Valence (25.000, évaluation journalistique). S'y ajoutent les manifestants d'une soixantaine d'autres villes espagnoles, où leur nombre variait de plusieurs centaines à plusieurs milliers.

Le comptage à Madrid fut d'une rigueur particulière. La société Lynce qui l'a effectué compte les manifestants un par un sur la base de photos aériennes. Elle a abouti au chiffre de 37.742 (sic), pouvant s'accroître à 42.271 (resic) en fonction de la marge d'erreur. Aussi l'importance de la mobilisation de dimanche dans la capitale ne peut-elle être perçue qu'en la comparant à d'autres mobilisations mesurées également par Lynce. Cette société avait par exemple ramené à 55.316 le nombre de participants à ce qui fut pourtant considéré comme l'une des plus grandes manifestations organisées à Madrid, celle du 17 octobre 2009 contre la libéralisation de l'avortement. Les organisateurs avaient annoncé 2 millions de manifestants, le gouvernement régional de Madrid 1,2 million et la police nationale 250.000.

"Zapatero, laquais des banquiers" et "Ton Butin. ma crise"

Venus de tous les quartiers de Madrid, six cortèges de manifestants de tous âges et apparemment de diverses conditions sociales, certains en famille avec enfants, ont convergé vers la Plaza de Neptuno, à 300 m seulement du Congrès des députés, rendu inaccessible par plusieurs rangées de barrières métalliques et des fourgons de police. En ce lieu prenait toute sa signification l'un des slogans habituels des "indignés" contre les partis politiques et leurs élus : "Non, ils ne nous représentent pas".

L'un des six cortèges de la manifestation du 19 juin 2011 à Madrid descend le Paseo de la Castellana en direction de la Plaza de Neptuno. Les "indignés" scandent "Eso, eso, eso, nos vamos al Congreso" ("C'est cela, c'est cela, c'est cela, nous allons au Congrès [des députés]."

Dans la capitale comme dans les autres villes, les pancartes et les cris des manifestants disaient aussi "Nous ne sommes pas une marchandise aux mains de politiciens et de banquiers", "Cette crise, nous ne la paierons pas", "Dis non au Pacte pour l'euro", "Europe des citoyens, mais non des marchés", "Le patronat veut nous réduire en esclavage", "La violence, c'est gagner 500 euros", "Ils appellent cela démocratie, mais ce ne l'est pas", "Le peuple uni ne sera jamais vaincu", "Je pense, puis je m'indigne" et, gentillesse envers le chef du gouvernement socialiste, "Zapatero, laquais des banquiers".

Les initiés auront aussi apprécié le slogan "Tu Botin, mi crisis", littéralement "Ton Butin, ma crise". Il faut ici rappeler que le premier banquier d'Espagne et même de la zone euro, le président de la banque Santander, s'appelle Emilio Botin. Soupçonné de fraude fiscale, il est depuis peu l'objet d'une information judiciaire.

Des musiciens solidaires ont gratifié les manifestants de la Plaza de Neptuno d'un Hymne à la joie, hymne officiel de l'Union européenne, sans que l'on sache s'il s'agissait d'une moquerie ou d'un appel à un sursaut d'humanisme des chefs d'Etat du Vieux continent.

Sans avoir nécessairement lu le Pacte pour l'euro adopté en mars dernier à Bruxelles, nombre de ceux qui manifestaient dimanche perçoivent qu'il comprime salaires et pensions, rejette leur indexation sur l'inflation, prône la hausse de l'âge de départ à la retraite et facilite les licenciements. Democracia Real Ya ! (DRY - Démocratie réelle maintenant !), qui est avec Acampada Sol l'une des deux grandes plates-formes du mouvement des "indignés", offre aux internautes une critique exhaustive (en espagnol) de ce Pacte pour l'euro, l'assortissant de propositions alternatives.

Avec 21,29% de chômeurs, l'Espagne est un cas particulier d'indignation

Hors d'Espagne, dans une trentaine de villes (Paris, Berlin, Bruxelles, Rome, Milan, Genève, Zurich, Dublin, Lyon, Marseille, Bordeaux, etc.) des manifestations convoquées dimanche sur le modèle des "indignés" espagnols, également contre le Pacte pour l'euro et/ou la crise et l'austérité, n'ont réuni chacune que quelques centaines, voire quelques dizaines de protestataires.

Dans ces villes et pays auxquels elles appartiennent, le marasme social n'a pas atteint le seuil d'exaspération que représentent les quasi cinq millions d'Espagnols sans emploi, dont plus d'un million privés de toute indemnité. L'Espagne détient le record du chômage des pays industrialisés avec un taux de 21,29% (au 31 mars dernier), qui se hisse à 44,6% parmi les jeunes de moins de 25 ans.

La personnalité controversée de l'impopulaire José Luis Rodriguez Zapatero, président du gouvernement devenu bras exécuteur d'un néolibéralisme pur et dur après avoir été la coqueluche de l'intelligentsia européenne de gauche, contribue aussi à nourrir en Espagne un degré d'indignation plus percutant que dans d'autres pays. A cet égard, le Mouvement 15-M mijote déjà un automne chaud. Dimanche à Madrid, des orateurs ont parlé de "grève générale" et de "référendum populaire" sur certaines revendications des "indignés".

Et tout cela sans leader connu ni même désigné. Donc, une "révolution" qui ne cherche ni son Castro ni son Chavez. De quoi faire rêver les démocrates d'Amérique latine.

L'Hymne à la joie exécuté par des musiciens solidaires des "indignés", lors de la manifestation du 19 juin 2011 à Madrid sur la Plaza de Neptuno.

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