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Manifester en Espagne contre un conflit armé sera-t-il passible de prison?

Guerre Irak et Espagne: "brouillon" d'arme de destruction massive... de la démocratie

Etonnant dommage collatéral pouvant inquiéter même ceux qui ont de bonnes raisons d'approuver la guerre

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MADRID, mercredi 23 avril 2003 (latinreporters.com) - Justification de la guerre américano-britannique contre la dictature de Saddam Hussein, les armes de destruction massive restent néanmoins introuvables jusqu'à ce jour en Irak. Curieusement, c'est en Espagne, dont le gouvernement conservateur de José Maria Aznar a appuyé politiquement et logistiquement l'invasion de l'Irak -entre autres au nom de la démocratie- que surgit un risque de destruction massive... de la démocratie. Manifester en Espagne contre la guerre sera-t-il bientôt passible de prison, comme le prévoit un "brouillon" législatif?

Qualifié en effet de "brouillon" par le ministère espagnol de la Défense, un avant-projet de révision du Code pénal militaire prévoit jusqu'à six ans de prison pour ceux qui s'opposeraient publiquement à un conflit armé auquel participerait l'Espagne. Les millions d'Espagnols qui ont manifesté récemment contre la guerre en Irak auraient peut-être été visés si une telle menace avait déjà été coulée dans la loi.

Selon l'article 49 de l'avant-projet, "Dans une situation de conflit armé de caractère international auquel l'Espagne prend part, le fait de réaliser des actes publics contre l'intervention de l'Espagne afin de la discréditer... sera frappé de la peine d'un à six ans de prison. Sera frappé de la même peine celui qui... divulguera des nouvelles ou des informations fausses dans le but d'affaiblir le moral de la population ou de provoquer la déloyauté ou le manque de courage parmi les militaires espagnols".

Révélé mardi par l'influent quotidien madrilène El Pais, l'avant-projet de révision du Code pénal militaire espagnol châtierait le délit de "défaitisme" commis même par des civils non seulement contre l'Espagne, mais aussi contre une "puissance alliée", soit les Etats-Unis et la Grande-Bretagne si l'exemple de référence devait être la guerre contre l'Irak.

L'avant-projet remplace par l'expression "conflit armé" le mot "guerre" utilisé dans le Code pénal militaire actuel. Le journal El Pais rappelle que la guerre doit être, selon la Constitution espagnole, déclarée expressément avec l'accord des Cortes (Parlement), alors que la notion de conflit armé est plus floue juridiquement et faciliterait en conséquence l'élargissement du champ d'application du Code pénal militaire.

Les traités internationaux auxquels a souscrit l'Espagne suffiraient, selon l'avant-projet, à la mettre dans une situation de conflit. Le président du gouvernement espagnol, le conservateur José Maria Aznar, avait notamment évoqué le traité militaire bilatéral avec les Etats-Unis pour justifier son appui logistique à l'invasion de l'Irak.

La nouvelle menace militariste aux libertés de penser et de manifester, de surcroît dans un pays de l'Union européenne, provoque un émoi politique que ne tempère pas la phrase de l'avant-projet disant que "la défense de solutions pacifiques aux conflits ne sera pas considérée comme défaitisme".

Le ministre espagnol de la Défense, Federico Trillo, est prié de s'expliquer à la tribune des Cortes par le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE, social-démocrate), principale formation de l'opposition. Les socialistes qualifient la réforme envisagée de "régression", de "folie manifeste" et de "vengeance contre certaines situations", allusion limpide aux gigantesques manifestations contre la la guerre en Irak qui ont réuni des millions d'Espagnols dans des dizaines de villes. Selon la secrétaire générale du groupe des députés socialistes, Maria Teresa Fernandez de la Vega, cette réforme "inquisitoriale" renvoie les Espagnols dans "la nuit des temps".

Le porte-parole d'Izquierda Unida (Gauche unie, communiste) au Congrès des députés, Felipe Alcaraz, affirme, lui, que le projet de révision du Code pénal militaire "fait se dresser les cheveux sur la tête de chacun" et pourrait être avalisé par "le dictateur de n'importe quelle république bananière".

Le quotidien El Pais, hostile au style autoritaire du gouvernement formé par le Parti populaire (PP) de José Maria Aznar, estime que, pour la première fois, l'avant-projet renverse la tendance à la restriction de la compétence des tribunaux militaires observée depuis la mort du général Franco, en 1975, et la démocratisation consécutive de l'Espagne.

Pressentant qu'un pas de trop vient d'être franchi, que la réforme projetée du Code pénal militaire risque d'être perçue comme un dommage collatéral inquiétant même ceux qui ont de bonnes raisons d'approuver la guerre contre l'Irak, des ministres de José Maria Aznar prennent leurs distances.

Rodrigo Rato, ministre de l'Economie, affirme que les citoyens ont le droit de manifester "quand cela leur paraît utile". Il estime, toujours à propos de l'avant-projet, que "ce n'est pas dans cette direction, en aucune façon, que va la politique de notre parti".

Et même le vice-président du gouvernement, Mariano Rajoy, très proche de José Maria Aznar, déclare à la presse: "Vous pouvez être tranquilles, ce code-là ne sera pas approuvé".

Peut-être victime de subordonnés mi-officiers et mi-juristes trop zélés et peu versés en politique, le ministre de la Défense, Federico Trillo, seul dans le collimateur, affirme qu'il ignorait l'avant-projet de réforme du Code pénal militaire avant de le lire dans El Pais.

Pourtant, quelques heures plus tôt, un communiqué du ministère de la Défense admettait l'existence d'un "brouillon de travail" pour la réforme du Code pénal militaire. Le ministre et ses services de presse s'accordent tout de même à reconnaître que la réforme en question n'est pas une priorité "pour cette législature". Une précision qui rassure peu, car la législature en cours prendra fin déjà l'année prochaine.

Les optimistes retiendront plutôt l'affirmation du ministre Trillo selon laquelle "ce ne serait pas me connaître que de m'imaginer penser à quelque chose de semblable; je crois que ni mes pires adversaires ne le croient".

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