Guerre Irak: missile basque contre le roi Juan Carlos Ier d'Espagne
L'incident reflète le moment politique difficile que traverse l'Espagne. Les manifestations mondiales du 15 février et des 15 et 22 mars contre la guerre en Irak ont chaque fois réuni, dans plus de trente ville espagnoles, entre près d'un million (chiffre officiel) et plus de trois millions (chiffre des organisateurs) de marcheurs pour la paix. Certains brandissaient des drapeaux républicains. Beaucoup réclamaient la démission du président du gouvernement, José Maria Aznar. La majorité absolue parlementaire de son Parti Populaire (PP) lui permet de résister à l'ensemble de l'opposition, coalisée contre la guerre, mais au prix d'une crispation rappelant parfois les années tendues de la transition de l'Espagne vers la démocratie. Le dossier basque fut le plus épineux de cette transition. Il reste délicat, car la soudaine attaque antimonarchiste des nationalistes du PNV, qui contrôlent le gouvernement de leur région, survient après l'annonce, par le lehendakari (président) basque Juan José Ibarretxe, de la convocation avant 2005 d'un référendum clairement anticonstitutionnel sur l'autodétermination du Pays basque. Il est vraisemblable que les nationalistes tentent de détourner à leur profit le rejet populaire du bellicisme affiché par le gouvernement de Madrid contre l'Irak. A la stupeur générale, le porte-parole du PNV au Congrès, le député Iñaki Anasagasti, a donc lancé une vive diatribe contre le rôle du roi Juan Carlos dans la crise irakienne. "Il semble inopportun que le roi suive à pieds joints ce que lui dicte la Moncloa" (siège gouvernemental et résidence de José Maria Aznar) a déclaré le parlementaire basque. Selon ce dernier, Juan Carlos Ier "n'est pas sensible à la clameur de la rue". Dire que le roi est celui de tous les Espagnols ne serait que "rhétorique creuse et fausse" relevant de "l'hypocrisie". Aux yeux d'Iñaki Anasagasti et des autres députés du PNV, qui l'ont applaudi, "ni le roi ni les partis majoritaires" ne respecteraient la Constitution, concrètement son article 63. Cet article réserve au chef de l'Etat la faculté de déclarer la guerre, moyennant autorisation préalable des Cortes. Or, selon le porte-parole du PNV, l'Espagne, sous couvert d'opération humanitaire, participerait effectivement contre l'Irak à une guerre sur laquelle ni le roi Juan Carlos ni le Parlement ne se sont prononcés. Affirmant que, parmi les partis politiques, le roi n'aurait recueilli sur la crise irakienne que l'avis du PP et du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE, principal parti de l'opposition), Iñaki Anasagasti accuse "la Maison royale de limiter la monarchie parlementaire à deux partis". A propos de l'unique déclaration publique du souverain sur la guerre en Irak - le 21 mars, au lendemain des premiers bombardements sur Bagdad- le député nationaliste basque estime que "le roi a lancé un message aux pauvres mortels, leur disant qu'ils devaient réussir à s'entendre, mais sans préciser comment". Le 21 mars, se déclarant "parfaitement informé, à l'écoute des diverses opinions", Juan Carlos Ier avait insisté sur sa volonté de maintenir "le rôle d'intégration" de la couronne. Il avait appelé "les forces démocratiques de notre pays à redoubler leurs efforts de dialogue" et exprimé le "ferme souhait" que la guerre en Irak "se termine le plus rapidement possible, avec un minimum de pertes humaines et de souffrances". Toutefois, le souverain avait averti que la couronne "appuierait à tout moment les différentes institutions de l'Etat", ce qui risquait d'être interprété comme une bénédiction au soutien du gouvernement à la guerre. Et ce d'autant plus que, deux jours plus tard, le roi Juan Carlos adressait ses encouragements aux équipages des trois bâtiments militaires -un navire hôpital, une frégate d'escorte et un pétrolier ravitailleur- envoyés par l'Espagne vers le golfe Persique. Commentaire, en privé, d'un journaliste espagnol: "Il faut remercier le roi de nous avoir sauvés d'une tentative de coup d'Etat militaire en 1981, mais on ne peut tout de même pas exiger de Juan Carlos qu'il soit de gauche, car, alors, il devrait logiquement remettre en question l'institution qu'il incarne". Commentaire, public et radiodiffusé, lui, de Gaspar Llamazares, député et coordinateur général d'Izquierda Unida (Gauche unie, procommuniste): "Tout en étant républicain, je respecte l'institution royale, mais j'estime normal qu'on puisse la critiquer". Quant au PP, il fustige Iņaki Anasagasti et son "intolérable manque de respect à la couronne d'Espagne". Enfin, du côté socialiste, le secrétaire général du PSOE, José Luis Rodriguez Zapatero, se garde d'aviver la polémique en estimant que "toutes les institutions assument leur rôle et en premier lieu celle que représente le chef de l'Etat, comme le définit la Constitution". Il ajoute néanmoins: "Il y a une tension sociale et une crise de crédibilité du gouvernement". Vous pouvez réagir à cet article sur notre forum
© LatinReporters.com - Amérique latine - Espagne Nos textes peuvent être reproduits s'ils sont clairement attribués à LatinReporters.com avec lien actif vers notre site (ou mention de notre adresse http://www.latinreporters.com si reproduction sur support autre qu'Internet). |