MADRID, dimanche 24 février 2013 (LatinReporters.com) - Par dizaines de milliers à Madrid et par milliers à
Barcelone, Valence, Séville, Bilbao et plusieurs dizaines d'autres
villes, les indignés espagnols ont à nouveau crié NO
à l'austérité et à la corruption. Ils l'ont
fait un 23 février, jour anniversaire de la tentative de putsch militaire
qui terrifia l'Espagne le 23 février 1981. Et cela pour qualifier
désormais de "coup d'État financier" les coupes sociales du
gouvernement ultraconservateur de Mariano Rajoy dans un pays menacé
par un cocktail explosif de chômage, de
récession et de scandales ébranlant les institutions.
Ni les organisateurs ni les autorités n'avaient diffusé samedi
soir une évaluation globale du nombre de manifestants. Des incidents
opposant une minorité de contestataires aux forces de l'ordre à l'issue de
la manifestation de Madrid se sont soldés par 40 blessés légers,
dont 12 policiers, et 45 arrestations.
"Rajoy, imite le pape, démissionne"
Lancé en mai 2011 par des jeunes relevant de ce que le
Fonds monétaire international appela la "génération
perdue" de l'Espagne en crise, ouvert depuis à tous les âges
et professions, le mouvement des indignés va et vient comme la marée.
En mutation permanente, il ne cesse de réapparaître lorsqu'il
semblait s'être retiré. D'où peut-être l'appellation
"marée citoyenne", en espérant un jour la transformer en tsunami,
pour l'ensemble des collectifs qui ont adhéré à la mobilisation hier
de quelque trois cents associations et mouvements pour défendre essentiellement
la santé et l'éducation.
"Le 23 février 1981, j'ai eu très peur en pensant que les franquistes
étaient de retour. Aujourd'hui, j'ai peur que la situation empire
et que mes enfants ne trouvent plus de travail" expliquait aux reporters
du journal El Pais un manifestant de 66 ans prénommé Manuel.
"Ce fut alors un putsch militaire et cette fois il s'agit d'un putsch économique
et social" ajoutait Felipe, 72 ans.
"Rajoy, va-t'en", "Rajoy, imite le pape, démissionne", "Ils ne nous
représentent pas" (les politiciens), "Non au coup d'État des
marchés" clamaient à Madrid les manifestants et leurs pancartes.
Les plus nombreuses portaient un seul mot, "NO", frappé d'une paire
de ciseaux, symbole des coupes budgétaires. Sur d'autres pancartes
étaient dessinées des enveloppes évoquant les dessous
de table empochés par des élus corrompus.
Enseignants en vert, médecins
et infirmières en blanc, pompiers casqués ou mineurs du nord
de l'Espagne, en noir, ont convergé vers la place de Neptuno, où
des centaines de policiers et leurs camionnettes barraient l'accès au
Congrès des députés. Le manifeste qui y a été
lu affirme que "la pression des marchés financiers, la dette
illégitime (...) et les politiques brutales d'ajustement visant
la majorité de la société, ainsi que la corruption et
la perte de légitimité des institutions provoquent dans notre
pays la plus grave crise de la démocratie de ces dernières
décennies".
"Non au coup d'État financier" proclame ce manifeste de la "marée
citoyenne", exigeant notamment "un audit citoyen de la dette" publique de
l'Espagne.
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Lors de la manifestation du 23 février 2013 à Madrid, une forte
présence policière barrait l'accès à la Carrera
de San Jeronimo, la rue où se dresse le Congrès des députés.
On voit des drapeaux républicains flotter sur la foule des manifestants. (Photo Luis Sevillano / El Pais) |
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Démocratie arnaquée et crise institutionnelle
Coup d'État ? L'expression paraît outrancière. Il n'empêche
que nombre d'analystes perçoivent depuis plusieurs mois en Espagne
une démocratie arnaquée. Les hausses d'impôts et les
coupes budgétaires de Mariano Rajoy dans l'éducation et la
santé contredisent les promesses électorales qui ont assuré
la victoire de son Parti Populaire (PP, droite) aux législatives de
novembre 2011. Il en rejette la responsabilité sur l'héritage
négatif laissé par le socialiste José Luis Rodriguez
Zapatero. Néanmoins, les deux tiers du dérapage budgétaire servant
de justification initiale à la rigueur étaient attribuables aux régions,
en majorité aux mains du PP.
En outre, la déconfiture de Bankia a débouché sur un
sauvetage européen, à raison de 41 milliards d'euros, de l'ensemble
du secteur bancaire espagnol en échange d'une intensification de l'austérité.
Or Bankia, fédération de caisses d'épargne régionales
érigée en banque, doit son trou de 23,5 milliards d'euros non seulement
à l'effondrement de l'immobilier, mais aussi à l'inconséquence
d'une gestion politisée par Madrid et Valence, deux régions
régentées depuis des lustres par le PP de Mariano Rajoy. Ce
fardeau-là, il l'avait escamoté pendant la campagne électorale
ou, pire encore pour sa crédibilité, il en ignorait l'existence.
Alors que tous les clignotants sociaux sont au rouge, que le pays en récession
affiche un chômage de 26%, l'aide accordée aux banques et les
diktats budgétaires de commissaires européens dépourvus
de légitimité électorale sont perçus comme des
injustices par beaucoup d'Espagnols.
Les affaires de corruption qui éclaboussent les grandes institutions
du pays renforcent encore le malaise, souligne l'AFP. Lors des manifestations
de samedi, le drapeau républicain, rouge, jaune et violet, flottait en de multiples endroits
dans la foule. Car la monarchie, jusque-là réputée intouchable,
se retrouve prise dans la tourmente d'un scandale sans précédent
: le gendre du roi Juan Carlos, Iñaki Urdangarin, était interrogé
samedi par un juge des Baléares dans une enquête sur le détournement
de millions d'euros d'argent public. La Maison royale a dû, vendredi,
publier un démenti face à des rumeurs sur une éventuelle
abdication du roi, âgé de 75 ans.
En janvier, rappelle encore l'AFP, c'est le nom de Mariano Rajoy qui était
apparu dans une liste, publiée par le quotidien El Pais, de bénéficiaires
présumés de paiements occultes. La justice enquête. Des
rebondissements semblent inévitables.
Selon un sondage publié le 3 février, le PP s'est effondré
dans les intentions de vote à 23,9%, contre 44,6% aux législatives
qu'il remporta en novembre 2011. L'opposition socialiste, créditée
d'à peine 23,5% et longtemps secouée aussi par des scandales,
perd encore plus de cinq points par rapport à
sa déroute historique aux dernières élections. Pareil
effondrement de la crédibilité des deux familles politiques
qui ont vertébré pendant près de 40 ans la démocratie
postfranquiste, mobilisant longtemps ensemble 80% de l'électorat,
témoigne de la crise institutionnelle de l'Espagne.