MADRID, vendredi 30 mars 2012 (LatinReporters.com) -
"Je
veux envoyer ce message aussi à Bruxelles et à Merkel : ce
que fait ce gouvernement [de l'Espagne]
n'a
pas d'appui social. Qu'on le sache!" s'est exclamé le syndicaliste
socialiste Candido Mendez, jeudi à Madrid, au soir d'une grève
générale qui a vu une marée humaine manifester contre
la rigueur et la réforme du marché du travail décrétée
par le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy.
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Manifestation dans la ville basque de Bilbao lors de la grève générale
du 29 mars 2012. La proportion de grévistes fut très élevée
au Pays basque à l'appel tant des syndicats nationalistes que des
deux grands syndicats espagnols, UGT et CCOO. (Photo eitb) |
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Leader de l'Union générale des travailleurs (UGT), Candido
Mendez interpellait les institutions européennes et la chancelière
allemande Angela Merkel, promotrices aussi de l'austérité en
Espagne, haranguant sur l'emblématique Puerta del Sol des dizaines
de milliers de manifestants. Dans cent onze villes et localités du
pays, notamment à Madrid, Barcelone, Valence, Bilbao et Séville,
plus d'un million d'Espagnols (861.150 prétend le gouvernement avec
une étonnante précision) ont défilé en marge
de la grève générale, pour l'appuyer.
Menace de "conflit social croissant" dès le 1er mai
Grève et manifestations étaient convoquées par
les deux principaux syndicats espagnols, l'UGT et les CCOO (Commissions ouvrières,
originellement d'obédience communiste). Aux côtés de
Candido Mendez, le secrétaire général des CCOO, Fernandez
Toxo, a menacé Mariano Rajoy d'un
"conflit social croissant, et
ce sera très évident le 1er mai", s'il maintient son refus
de négocier la réforme du marché du travail. Le refus
de toucher aux aspects essentiels de la réforme a aussitôt été
réaffirmé par la ministre de l'Emploi, Fatima Bañez.
En vigueur depuis le 10 février et jugée
"d'une brutalité
sans précédent" par les syndicats, ladite réforme
octroie aux chefs d'entreprise un pouvoir inédit en 35 ans de démocratie
postfranquiste. Aux sociétés en crise ou menacées de
l'être, soit la majorité des entreprises en Espagne, l'allégement
ou la suppression de garde-fous permet désormais d'allonger la journée
de travail, de réduire les salaires et de licencier plus vite à
moindre coût et même sans motif et sans indemnité pendant
la première année contractuelle. En outre, les négociations
collectives sont torpillées par la supériorité nouvelle
des conventions d'entreprise sur les conventions sectorielles et régionales.
Selon l'UGT et les CCOO, la grève a été un
"immense
succès" assuré par 10,4 millions de travailleurs, soit
une moyenne pondérée de 77% de grévistes (97% dans l'industrie,
les transports et la construction et 57% dans l'administration publique).
Le ministère de l'Intérieur parle néanmoins de grève
à l'impact
"très modéré". Il ne comptabilise
qu'entre 15 et 19% de grévistes dans les diverses administrations
publiques. En outre, il soutient que la baisse de la demande d'électricité
par rapport à la normale, de 13 à 21 % selon l'heure considérée,
ne dépasserait pas la baisse enregistrée lors de la grève
générale de septembre 2010 convoquée, avec un écho
mitigé, contre l'austérité imposée alors par
le socialiste José Luis Rodriguez Zapatero.
Le gouvernement mentionne par ailleurs 176 arrestations et 116 blessés,
dont 70 policiers. Peu nombreux dans le reste de l'Espagne, les heurts se
sont concentrés à Barcelone. La capitale catalane est depuis
des années l'un des refuges européens d'antisystèmes radicaux
de diverses nationalités. Leurs actions violentes font souvent la
une des médias, au risque de dénaturer la perception de la
réalité. La presse conservatrice espagnole ne s'en prive pas
ce vendredi pour accréditer une prétendue violence de la grève
générale, présentée comme un échec total.
"Une majorité absolue n'est pas un chèque en blanc"
L'impact de la grève aurait certes été plus fort sans
les accords de services minima conclus entre syndicats et pouvoirs publics
et sans le souci de nombreux Espagnols de ne pas perdre une journée
de salaire ou de ne pas risquer un licenciement facilité par la réforme
contestée. La marée humaine qui a déferlé dans
le pays pour appuyer la grève rehausse toutefois sa portée
de nouvel avertissement au Parti Populaire (PP, droite) de Mariano Rajoy
après sa déconvenue de dimanche dernier à l'élection
régionale en Andalousie. Cette région, la plus peuplée
d'Espagne avec 8,4 millions d'habitants, est demeurée aux mains de
la gauche, contre tous les pronostics qui annonçaient une majorité
absolue du PP.
Honoré de cette grève générale au centième
jour de l'investiture de son gouvernement, Mariano Rajoy n'a donc eu besoin
que de trois mois pour constater, comme l'y invite aujourd'hui l'éditorialiste
de l'influent quotidien El Pais, qu'
"une majorité absolue n'est
pas un chèque en blanc". Des analystes notent à ce propos
que si la légitimité parlementaire de M. Rajoy demeure entière,
sa légitimité d'exercice est par contre déjà
érodée pour avoir haussé les impôts et facilité
les licenciements de travailleurs après avoir dit aux électeurs
qu'il n'en avait pas l'intention.
De surcroît, son affirmation, préélectorale aussi, de
savoir comment juguler la crise se révèle hasardeuse.
Car M. Rajoy prévoit désormais
630.00 chômeurs de plus d'ici fin 2012, alors que l'Espagne bat déjà
le record des pays industrialisés avec quasi 5,3 millions de sans-emploi,
soit près de 23% de la population active.
La dégradation prématurée de la crédibilité
intérieure de Mariano Rajoy va de pair avec les doutes qu'il n'arrive
pas à dissiper aux yeux des marchés et des institutions européennes
sur la solvabilité de l'Espagne. Les Espagnols, avec crainte, et Bruxelles
et les investisseurs, avec curiosité, attendent le budget 2012 que
présentera ce vendredi le gouvernement espagnol. Un budget nécessairement
enclin aux coupes sévères, puisque l'objectif est de réduire
à 5,3% du PIB en fin d'année le déficit public, après
un dérapage à 8,51% en 2011. A nouveau de lourds sacrifices
en vue, au prix de troubles sociaux probablement inévitables.