Ce nouveau scandale survient cinq mois après
celui de
l'assassinat de l'avocat Rodrigo
Rosenberg. La Cour suprême
est précisément appelée à connaître de
cette affaire à la fois criminelle et politique qui a vivement polarisé
le Guatemala lors de
manifestations
en faveur et contre le président socialiste modéré Alvaro Colom.
Trois jours avant d'être abattu à coups de feu par des inconnus,
le 10 mai dans la capitale, Ciudad de Guatemala, Rodrigo Rosenberg impliquait
dans son assassinat qu'il pressentait le président Colom, sa femme
Sandra Torres de Colom, le secrétaire privé de la présidence
Gustavo Alejos et plusieurs hommes d'affaires. Sur une vidéo
posthume diffusée sur Internet, l'infortuné avocat, juriste
réputé de 47 ans, responsabilisait en outre ces personnalités
de l'assassinat, le 14 avril, de l'un de ses clients et de sa fille. Selon
Rodrigo Rosenberg, les trois crimes, dont le sien, visaient à étouffer
des accusations de détournement de fonds publics, de blanchiment d'argent
et de narcotrafic frappant les plus hautes sphères de l'Etat.
Menée en coordination avec la CICIG, l'enquête sur l'assassinat
de l'avocat Rosenberg a débouché sur l'arrestation de ses auteurs
matériels présumés. Parmi les dix détenus figurent un policier,
ainsi qu'un ex-militaire et un ex-policier. Les investigations se poursuivent
pour déterminer qui furent les commanditaires de l'assassinat.
Créée en décembre 2006, onze mois avant l'élection
d'Alvaro Colom, par un accord entre les Nations unies et le gouvernement du président conservateur Oscar Berger, la CICIG jouit d'une large
autonomie. Elle a pour mission d'enquêter et de démanteler des
organisations criminelles qui seraient responsables non seulement du crime
généralisé au Guatemala, mais aussi de la paralysie
du système judiciaire guatémaltèque par des infiltrations
dans les institutions étatiques.
Le 5 octobre, la porte-parole du Secrétaire général
de l'ONU, M. Ban Ki-moon, diffusait la
déclaration suivante:
"Le
Secrétaire général prend note des préoccupations
exprimées par la Commission internationale contre l'impunité
au Guatemala (CICIG) et par le Rapporteur spécial sur l'indépendance
des juges et des avocats, concernant l'élection des magistrats à
la Cour suprême du Guatemala. C'est une question de grande importance
pour la lutte contre l'impunité dans le pays. Le Secrétaire
général fait confiance au Congrès du Guatemala pour qu'il
s'assure que des juges d'une compétence irréprochable, indépendants
et intègres, seront nommés au sein des plus hautes instances
juridiques du pays."
L'élection des treize juges de la Cour suprême du Guatemala
par les députés du Congrès ayant eu lieu cinq jours
plus tôt, le 30 septembre, la note de Ban Ki-moon a nécessairement
l'allure d'une désapprobation du choix de ces magistrats. Knaul de
Albuquerque, rapporteur spécial des Nations unies sur l'indépendance
des juges et des avocats, est plus directe lorsqu'elle affirme que cette
élection a ignoré les principes
"de transparence, d'objectivité
et d'aptitude nécessaires".
Groupe "parallèle" de pouvoir
Le 6 octobre, le directeur de la CICIG, le juriste espagnol Carlos
Castresana, nommé à ce poste par le secrétaire général
de l'ONU, démontrait son autonomie en entrant au Congrès de
la République du Guatemala avec un dossier d'un millier de pages pour
tenter de convaincre les députés, exposition power point à
l'appui, de l'incompatibilité entre une saine justice et leur choix
de six des treize magistrats de la Cour suprême.
"L'information que nous avons fournie au Congrès correspond
à une enquête de la CICIG que nous nous aurions préféré
ne pas révéler, mais [nous le faisons],
vu l'importance
de l'élection des magistrats, qui conditionne le futur du pouvoir
judiciaire pour les cinq prochaines années" a expliqué Carlos
Castresana lors d'une conférence de presse à Ciudad de Guatemala.
Ses griefs à l'égard des six juges qu'il récuse portent
sur leur appartenance présumée à un groupe
"parallèle"
de pouvoir que dirigerait l'avocat et chef d'entreprise Roberto Lopez Villatoro,
connu au Guatemala sous le surnom de "Roi du tennis" pour le rôle qu'il jouerait, à en croire certains journaux, dans la contrebande de chaussures de sport.
Leur attribuant des liens privilégiés avec divers partis
politiques, dont le parti présidentiel, et des intérêts dans des opérations commerciales avec l'Etat, Carlos Castresana et la CICIG accusent les magistrats contestés
d'avoir facilité des milliers d'adoptions illégales, au prix
de 30.000 à 50.000 dollars par enfant, ainsi que d'avoir favorisé
la défense de trafiquants de drogue, de militaires soupçonnés
de violations des droits de l'homme et de fonctionnaires poursuivis pour corruption.
La Cour constitutionnelle a ordonné au Congrès de la République
d'enquêter sur l'honorabilité des magistrats élus à
la Cour suprême et de confirmer ou d'amender la composition de cette
Cour à la date limite du 13 octobre.
Curieusement appuyée par le Front républicain guatémaltèque
(FRG) de l'ex-général putschiste et dictateur José Efrain
Rios Montt, accusé de génocide lors de la guerre civile, l'Union
nationale de l'espoir (UNE) du président Alvaro Colom s'oppose à
la remise en question du choix des treize magistrats de la Cour suprême.
Le secrétaire général de l'UNE présidentielle,
Juan Alfaro, prétend qu'en prônant la destitution des magistrats
contestés, la principale formation de l'opposition, le Parti patriote
(PP, droite), "veut créer des mouvements de déstabilisation,
comme il l'a fait en utilisant l'affaire Rosenberg".
Mardi, des journalistes de divers médias balayaient, savonnaient et
aspergeaient d'insecticide le trottoir devant l'entrée du Congrès
de la République pour le décaper symboliquement de "l'impunité"
et de la "saleté" politique.