CIUDAD DE GUATEMALA, vendredi 11 mars 2011 (LatinReporters.com) Première
dame du Guatemala et figure de l'industrie textile nationale, Sandra Torres
de Colom, 51 ans, a fait éclater la polémique en annonçant
sa candidature à l'élection présidentielle du 11 septembre
2011. Au risque de favoriser la violence, elle brave ainsi un interdit constitutionnel, avec l'appui
de son mari, le président sortant Alvaro Colom, premier chef d'Etat de gauche depuis
un demi-siècle au Guatemala, lui-même limité à un mandat.
Sandra Torres jouit sur le plan électoral de l'avantage théorique
de diriger le Conseil de cohésion sociale depuis janvier 2008, date
de l'investiture du gouvernement socialiste modéré formé
par son mari, que la Constitution empêche d'être candidat à sa propre succession.
Ce Conseil chapeaute plusieurs programmes nationaux de lutte
contre la pauvreté, qui frappe plus de la moitié des 14 millions
de Guatémaltèques.
Aussi s'est-elle présentée en candidate des pauvres, du
"Guatemala
abandonné", pour annoncer son entrée dans la course à
la présidence en visitant un quartier populaire de la périphérie
ouest de Ciudad de Guatemala, la capitale. C'était le 8 mars, Journée
Internationale de la Femme. Une date choisie avec préméditation.
Selon la Première dame, sa candidature sous la bannière du
parti présidentiel, l'Union nationale de l'espoir (UNE), répond
à
"la clameur populaire". Mais le dernier sondage, publié
il est vrai avant l'annonce officielle de cette ambition présidentielle
connue de tous, n'octroie à l'épouse du président Colom
que 11,1% des intentions de vote, contre 42,9% à son principal
adversaire, l'ancien général Otto Pérez Molina, candidat
du Parti Patriote (PP, droite).
Quoiqu'attendue, la décision de Sandra Torres a déclenché
une vive polémique, qui menace de placer la campagne électorale
sous le signe de la violence dans un pays où la criminalité
commune fait déjà entre 5.000 et 6.000 morts par an.
Le Guatemala n'est pas l'Argentine
Contrairement au silence sur ce point de la Constitution de l'Argentine,
où Cristina Fernandez de Kirchner succédait légalement
à son mari Nestor Kirchner en 2007 à la présidence, la
Constitution
guatémaltèque oppose à la Première
dame un interdit au point c) de son article 186. Il prohibe la candidature
présidentielle des
"parents" du président et du vice-président
en exercice,
"jusqu'au quatrième degré de consanguinité
et deuxième degré d'affinité". [NDLR - En droit,
l'affinité est la parenté par alliance.]
Consulté par le Congrès de la République (Parlement),
le Tribunal constitutionnel (Corte de Constitucionalidad) du Guatemala précisait
voici plus de vingt ans, le 16 novembre 1989, que cette prohibition
"inclut
le conjoint" du chef de l'Etat.
Comment dès lors expliquer la candidature de Sandra Torres et l'appui
de son mari, le président Alvaro Colom? Sur quoi se fondent-ils pour
affirmer publiquement que cette candidature est légale et qu'ils n'ont
donc pas besoin d'un divorce à l'amiable pour satisfaire à
la Constitution?
Les avocats de l'UNE, les plus impliqués dans le soutien à
Sandra Torres, soulignent que l'avis émis en novembre 1989 par le
Tribunal constitutionnel n'était que consultatif et n'aurait donc
pas établi jurisprudence.
Ils citent ensuite le Code civil, selon lequel l'union entre conjoints ne
crée par le
"degré de consanguinité" mentionné
par l'interdit constitutionnel. Réponse apparemment évasive,
car dans le cas de Sandra Torres et de son mari Alvaro Colom il s'agit de
"degré d'affinité", non de consanguinité. Mais
dans une interview publiée le 10 mars par le quotidien Prensa Libre,
Sandra Torres entretient le même halo de semi-vérité
en affirmant :
"Je m'en tiens à ce que dit le code civil à
propos du mariage, qui ne crée pas de degré".
Candidature inquiétante en 2003
Pour mieux sauter la prohibition mentionnée par la Constitution, les
juristes de la Première dame invoquent en outre l'article 136 de la
même Constitution, qui reconnaît notamment aux citoyens le droit
"d'élire et d'être élu". Mais en vertu de la même
argumentation, les mineurs d'âge, les prêtres, les magistrats et les auteurs de coups
d'Etat ne pourraient-ils pas également briguer
la présidence, malgré l'interdit constitutionnel qui les frappe
aussi?
L'affaire semblerait relever du surréalisme si, précisément,
un ancien putschiste notoire, l'ex-général et dictateur José
Efrain Rios Montt, accusé de crimes présumés contre
l'humanité, n'avait pas obtenu l'aval inattendu et suspect du Tribunal
constitutionnel pour se présenter à l'élection présidentielle
guatémaltèque de 2003, dont il fut éliminé au
premier tour.
Le risque que l'ambition présidentielle de Sandra Torres soit avalisée
à son tour par un
"Tribunal constitutionnel obséquieux"
est dénoncé par Prensa Libre, quotidien de référence
du Guatemala. Le renouvellement des magistrats de ce tribunal est imminent
et leur désignation dépend partiellement du pouvoir et du Parlement.
Sous le titre
"La lutte pour la légalité commence",
l'éditorialiste de Prensa Libre stigmatisait le 9 mars
"les actions gouvernementales en faveur de la continuation dynastique
du régime".
Du côté de l'opposition, la secrétaire générale
du Parti Patriote, Roxana Baldetti, estime que la défaite électorale
de Sandra Torres sera
"la réponse du peuple" si sa candidature
n'était pas invalidée. Pour savoir si elle le sera ou non,
il faudra attendre encore plusieurs semaines. Le Tribunal suprême électoral
ne convoquera en effet officiellement que le 2 mai prochain les élections
présidentielle, législatives et municipales simultanées
du 11 septembre.
Polarisation redoutée, comme au Nicaragua
L'analyste Marco Antonio Barahona, directeur adjoint de l'Institut centraméricain
d'études politiques, souligne
"le risque de polarisation" entre
partisans et adversaires de la candidature de Sandra Torres, laquelle, ajoute-t-il,
"génère le noir ou le blanc, jamais le gris". Cette
opinion s'apparente à celle de l'ambassade des Etats-Unis, qui soulignait
la personnalité
"abrasive" de la Première dame dans
des courriers diplomatiques dévoilés par WikiLeaks.
Hasard ou non, le premier affrontement lié aux élections générales
du 11 septembre se produisait au lendemain de l'annonce de la candidature
de Sandra Torres. Des heurts entre sympathisants de l'UNE présidentielle
et opposants du Parti Patriote faisaient au moins 50 blessés le 9
mars à Zacualpa (département central de Quiché). Plusieurs
véhicules y ont été incendiés.
Un autre pays d'Amérique centrale,
le Nicaragua, est lui
aussi agité par un conflit institutionnel, générateur potentiel de
violence, avant ses élections présidentielle et législatives,
prévues pour le 6 novembre. Avalisée par des juges complaisants,
la nouvelle candidature présidentielle du président sortant,
le sandiniste Daniel Ortega, viole la Constitution nicaraguayenne, qui prohibe
la réélection immédiate.
Une révision constitutionnelle serait la voie légale pour satisfaire
les ambitions de la Première dame du Guatemala et celles de Daniel
Ortega au Nicaragua. Mais ni l'une ni l'autre ne disposent de la majorité
parlementaire qualifiée exigée par leur Charte suprême
respective pour mener à bien cette révision. De là leurs
libertés prises avec l'Etat de droit, sans émouvoir,
jusqu'à présent, les instances internationales.