MADRID, vendredi 8 octobre 2010 (LatinReporters.com) - Prix Nobel
de littérature décerné le 7 octobre à l'écrivain
hispano-péruvien Mario Vargas Llosa, chantre influent des libertés individuelles face
aux anciens et nouveaux caudillos d'Amérique latine. Puis, le 8 octobre,
prix Nobel de la Paix au dissident chinois emprisonné Liu Xiaobo ... Ce
doublé équilibre l'image des comités Nobel, parfois
soupçonnés d'enfermement dans un romantisme gauchisant.
Mario Vargas Llosa, 74 ans, a reçu de l'Académie suédoise
la plus haute récompense littéraire internationale
"pour sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l'individu, de sa
révolte et de son échec". Cette formulation rend indissociables
l'oeuvre littéraire et la production journalistique du lauréat. Se complétant
et se justifiant mutuellement, ses romans et articles définissent
ensemble sa personnalité et son évolution littéraire
et idéologique.
Levée d'un veto idéologique?
"Il faut célébrer que l'Académie suédoise ait
levé cette espèce de veto idéologique qui l'empêcha
de le lui concéder auparavant" [le Nobel de littérature
à Mario Vargas Llosa] écrit à Madrid l'éditorialiste
d'El Pais, le grand quotidien espagnol de centre gauche auquel l'écrivain
hispano-péruvien réserve la primeur de ses articles.
Les cinq lauréats latino-américains du Nobel de littérature
qui précédèrent Mario Vargas Llosa, les Chiliens Gabriela
Mistral (1945) et Pablo Neruda (1971), le Guatémaltèque
Miguel Angel Asturias (1967), le Colombien Gabriel Garcia Marquez (1982)
et le Mexicain Octavio Paz (1990), étaient tous entourés d'un
halo plus ou moins dense de révolte
"anti-impérialiste"
que symbolise aujourd'hui encore l'amitié de Gabriel Garcia Marquez
avec Fidel Castro.
Sympathisant communiste lors de sa jeunesse universitaire et proche de Castro
jusqu'en 1971, Mario Vargas Llosa est allé au-delà de la rupture
d'Octavio Paz avec le communisme en devenant l'apôtre du néolibéralisme,
dont la crise actuelle le laisse néanmoins circonspect. L'engagement
politique de Vargas Llosa le poussa même à briguer en 1990 la
présidence du Pérou, mais il fut largement battu par l'ingénieur
d'origine japonaise Alberto Fujimori. L'hostilité de ce dernier incita
l'écrivain à prendre la précaution de se faire naturaliser
espagnol, en 1993, tout en conservant la nationalité péruvienne.
"J'espère qu'ils me l'ont donné [le prix Nobel]
plus
pour mon oeuvre littéraire que pour mes opinions politiques. Mais
si mes opinions politiques, en défense de la démocratie et
de la liberté et contre les dictatures, ont été prises
en compte, je m'en réjouis" déclarait jeudi Mario Vargas
Llosa à l'Institut Cervantes de New York, devant une foule de journalistes
qui recueillaient ses réactions à l'obtention du Nobel.
"Je suis un écrivain, mais aussi un citoyen, avec des idées
littéraires et aussi des idées politiques (...) Tout citoyen
doit participer au débat social. J'ai été très
critique de tout type de dictature. Je continue à critiquer la dictature
cubaine, mais j'ai aussi critiqué beaucoup la dictature d'Augusto
Pinochet" poursuivait Vargas Llosa.
Contre les caudillos
Interrogé sur le futur de l'Amérique latine, il souligna qu'elle
présente aujourd'hui
"des gouvernements de gauche et de droite
qui sont démocratiques. C'est une grande nouveauté par rapport
au passé, lorsque ni la droite ni la gauche n'étaient démocratiques,
l'une croyant aux putschs militaires et l'autre à la révolution".
Mario Vargas Llosa s'est référé dans ce contexte au
"grand progrès" que sont à ses yeux les gouvernements
démocratiques de gauche du Brésil et d'Uruguay, ainsi que ceux
de droite en Colombie, au Pérou et au Chili.
Il ajoutait aussitôt :
"Cuba et le Venezuela représentent
pour moi un recul, mais mon impression est que ce courant autoritaire, antidémocratique,
va vers la sortie. Il a de moins en moins d'appui populaire, comme on vient
de le voir, par exemple, aux élections [législatives]
vénézuéliennes".
A propos de ces
élections du 26 septembre, lors desquelles le Parti
socialiste uni du Venezuela du président Hugo Chavez perdit sa majorité
parlementaire des deux tiers face à une opposition encore minoritaire en
sièges malgré son score de près de 52% des voix,
Mario Vargas Llosa écrivait notamment, le 3 octobre dernier dans le quotidien El Pais
sous le titre
"La défaite de Chavez" :
"On reproche à l'opposition vénézuélienne
de manquer de leaders, de n'avoir pas de figures charismatiques entraînant
les foules. Mais comment faudrait-il encore croire aux caudillos? Ces clowns
horripilants aux mains tachées de sang, gonflés de vanité
par la servilité et l'adulation qui les entourent, ne sont-ils pas
la cause des pires désastres de l'Amérique latine et du monde?
L'existence d'un caudillo charismatique suppose toujours l'abdication de
la volonté, du libre arbitre, de l'esprit créateur et de la
rationalité de tout un peuple devant un individu reconnu comme être
supérieur, mieux doté pour décider du bien et du mal
pour un pays tout entier en matière économique, politique,
culturelle, sociale, scientifique, etc. Est-ce cela que nous voulons? Qu'un
nouveau Chavez vienne nous libérer de Chavez?"
Pas une droite traditionnelle
Avec des opinions aussi tranchées, qui risquent de minimiser le vote
populaire dont, contrairement aux frères Castro, Hugo Chavez tire
encore sa légitimité, Mario Vargas Llosa conforte sa réputation
d'homme de droite.
"D'extrême droite" surenchérissait
jeudi la chaîne satellitaire vénézuélienne TeleSur
en résumant les propos tenus peu auparavant par l'écrivain
à l'Institut Cervantes de New York.
Dans sa transhumance perpétuelle, avec ancrages en Espagne, au Pérou,
en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, le lauréat 2010 du Nobel de littérature
s'est pourtant souvent démarqué de la droite dite traditionnelle. En témoigne
son soutien au mariage homosexuel, à la légalisation des drogues
douces ou à la libéralisation de l'avortement. En Israël, il a reconnu les droits des Palestiniens et critiqué les colonies juives de Cisjordanie. Lors d'une visite en Irak, il mit en doute
la légitimité de l'invasion américaine. Et sous sa pression,
le président péruvien Alan Garcia fit en septembre dernier
marche arrière sur l'impunité de militaires et de policiers
accusés de crimes contre l'humanité.
Si, au long de sa quarantaine de romans et d'essais, traduits dans plus de
vingt langues, Mario Vargas Llosa a disséqué les
"structures
du pouvoir", comme le souligne l'Académie suédoise, c'est
souvent pour dénoncer l'injustice et l'oppression. Son premier roman
à succès,
"La ville et les chiens" (1963), critiquait
sévèrement l'autoritarisme militaire péruvien. Son
prochain livre,
"Le rêve du Celte", dont la première
édition sera lancée en espagnol le 3 novembre à 500.000
exemplaires, dénonce les atrocités commises au Congo sous le
roi des Belges Léopold II.
Droite, donc? Peut-être, mais sans doute droite démocratique.