LIMA, lundi 11 avril 2011 (LatinReporters.com) - Les Péruviens exclus
de la croissance, soit les 34% de la population qui vivent encore dans la
pauvreté, ont donné un rude coup à la classe politique
en décidant dimanche par leur vote que la présidence du pays
se jouera lors d'un second tour, le 5 juin, entre le nationaliste de gauche
Ollanta Humala, vainqueur du premier round, et la populiste de droite Keiko Fujimori.
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A Lima, ambiance de fête au soir des élections du 10 avril 2011
au siège électoral d'Ollanta Humala, ici aux côtés
de sa femme, Nadine Heredia. Mère de trois enfants, elle joue un rôle
important dans la popularité du candidat de la gauche et dans l'image
rassurante de père de famille qu'il cherche à transmettre.
(Photo ANDINA / Juan Carlos Guzman) |
L'establishment se retrouve hors course après
l'élimination au premier tour de ses trois candidats de centre droit,
l'ex-président Alejandro Toledo, l'ancien Premier ministre Pedro
Pablo Kuczynski, qui détint aussi le portefeuille de l'Economie, et
Luis Castañeda, maire de Lima jusqu'en octobre dernier.
Vaincu au second tour il y a cinq ans, le lieutenant-colonel retraité
Ollanta Humala, 48 ans, vient de remporter comme en 2006 le premier
round de la présidentielle. Son score provisoire de 30,96% des suffrages
est basé sur le dépouillement de 86,54% des bulletins de vote.
Malgré son virage proclamé vers le modèle brésilien,
les adversaires d'Humala persistent à le situer dans
le sillage
du président vénézuélien Hugo Chavez, chef de file
de la gauche radicale en Amérique latine.
Derrière Humala, la deuxième place revient, avec 23,16% des
voix, à la députée Keiko Fujimori. Son avance
sur Kuczynski, crédité de 19,63%, est croissante au fil du dépouillement et
serait difficilement réversible. Keiko, 35 ans, est la fille de l'ancien président
Alberto Fujimori. Elle rappelle dans les meetings les bienfaits, dans les
années 90, de la gestion paternelle contre l'hyperinflation et les
guérillas d'extrême gauche. Papa Fujimori n'en purge pas moins
actuellement à Lima 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité.
Choisir "entre le sida et le cancer"
"Humala est le plus à gauche, Keiko la plus à droite, les deux
représentent des modèles autoritaires", commente à l'AFP
Luis Benavente, du Groupe d'opinion de l'Université catholique de
Lima.
Reconnaissant sa défaite, Alejandro Toledo croit que les urnes ont
exprimé "la colère" née de la répartition insuffisante
des fruits de la croissance, dont le Pérou est devenu le champion
latino-américain (8,8% en 2010). Mais il estime que les électeurs
auront pour triste alternative, le 5 juin, ou bien le "passé sombre"
attaché au nom Fujimori ou bien le "saut dans le vide" qu'incarnerait
Ollanta Humala.
L'écrivain hispano-péruvien Mario Vargas Llosa, prix Nobel
de littérature 2010, s'est aventuré, lui, à parler de
choix "entre sida et cancer en phase terminale". Vargas Llosa fut vaincu
par Alberto Fujimori à la présidentielle de 1990.
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Vote de Keiko Fujimori, le 10 avril 2011 dans un bureau électoral
de Lima. (Photo ANDINA / Carlos Lezama) |
S'adressant dimanche à Lima à ses partisans, en fête
au soir du scrutin, Ollanta Humala a appelé à la formation
d'une "majorité sociale" pour entamer "la grande transformation" du
Pérou et assurer surtout la "grande redistribution" de la richesse
issue de la croissance. Parmi ses priorités, il a cité aussi
la lutte contre la corruption et le narcotrafic. Il est vrai que le Pérou
est sur le point de ravir à la Colombie la palme de premier producteur
mondial de feuilles de coca.
Réfutant l'épithète d'"antisystème" qui le vise
régulièrement, Humala s'est voulu rassurant en envisageant
un changement "sans soubresauts". Sa coalition de gauche Gana Perú
(le Pérou gagne) serait prête à faire des "concessions
au nom de l'unité nationale" et à s'asseoir autour "d'une table
de gouvernement avec toutes les forces politiques et sociales voulant travailler
avec nous".
Keiko Fujimori à tenu à ses sympathisants un discours similaire à
celui d'Ollanta Humala, insistant sur la nécessité de répartir la richesse,
thème vedette de la campagne électorale. Comme son adversaire, elle
a annoncé son intention de dialoguer avec les autres forces politiques
avant le second tour de la présidentielle.
Pour le second tour, il faut négocier des ralliements
En quête d'une obligatoire majorité absolue des électeurs,
les deux candidats dépendent désormais, pour bénéficier
de ralliements, de leur pouvoir de conviction auprès des candidats
de l'establishment qu'ils ont éliminés au premier tour. D'autant
que les législatives, couplées dimanche à la présidentielle,
n'ont à nouveau pas de réel vainqueur. Au mieux, Ollanta Humala
disposera-t-il d'une quarantaine de députés sur les 130 du
Congrès de la République.
L'ancien militaire multipliera-t-il ses récents pied de nez au
radicalisme autoritaire d'Hugo Chavez, dont le soutien lui coûta
sans doute la victoire en 2006 ? Peut-être lui faudra-t-il aussi polir son
"
Programme
de gouvernement 2011-2016", intitulé "La grande transformation"
et dont certaines pages feraient les délices des bolivariens de Caracas.
A titre d'exemple, le paragraphe 2.9.b., page 57, propose "l'élaboration
d'une loi de la communication audiovisuelle établissant une répartition
équitable et pluraliste des médias entre divers formes de propriétés
(privée, publique et sociale)". L'un des objectifs de cette loi serait
de "récupérer le caractère de service public des moyens
de communication de masse". A lire aussi le point 4.1., intitulé sans
détour "Nationalisation des activités stratégiques".
Ou encore, page 126, découvrir pourquoi il faudrait "renégocier
les traités de libre-échange".
Sur des points aussi sensibles aux yeux des pouvoirs de fait, Keiko Fujimori
ne semble pas prisonnière de l'idéologie. Formée à
la gestion d'entreprise à l'Université américaine de
Columbia et mariée à un citoyen des Etats-Unis, Keiko offrirait-elle,
pour le meilleur ou pour le pire, une cohabitation moins rugueuse que celle
acceptable par Humala? Après tout, papa Fujimori était néolibéral...
Bref, comme en 2006, des soucis et du pain sur la planche pour Ollanta.