Venezuela: Chavez disposé à abandonner ses pouvoirs spéciaux en mai
Attitude conciliante inattendue envers l'opposition
Virage réel ou prudence temporaire?
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Hugo Chavez salue le 15 janvier 2011 à l'Assemblée nationale la députée de l'opposition Maria Corina Machado,
qui obtint le record national de voix (235.259) aux législatives du 26 septembre 2010. (Photo Prensa Presidencial) |
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CARACAS, mardi 18 janvier 2011 (LatinReporters.com) - "Il s'est comporté comme
l'anti-Chavez" et les députés de son propre parti "furent les
premiers surpris" affirmait le 17 janvier l'éditorial du quotidien
d'opposition El Nacional. Deux jours plus tôt, à l'Assemblée
nationale, le président du Venezuela, Hugo Chavez, s'était
montré soudainement conciliant envers ses opposants, offrant même
de n'exercer que pendant 4 mois au lieu de 18 ses nouveaux et polémiques
pouvoirs spéciaux.
Absente pendant cinq ans de l'hémicycle parlementaire pour avoir boudé
les législatives de 2005, l'opposition y siège à nouveau
depuis l'ouverture, le 5 janvier, de la nouvelle législature consécutive
aux élections du 26 septembre 2010. Samedi, les revenants et Hugo
Chavez, venu présenter son bilan annuel, étaient pour la première
fois face à face. Au-delà de poignées de main avec ceux
qu'il qualifiait encore fin décembre de "troglodytes" à la
solde des Yankees, le chef de l'Etat a lancé du haut de la tribune
un appel inattendu à la conciliation.
Qualifiant de circonstance "merveilleuse" le retour de l'opposition à
l'Assemblée nationale, Hugo Chavez déclarait avec emphase:
"Cessons de nous voir comme des ennemis, nous ne sommes pas ici pour nous
exterminer. Vous êtes des adversaires politiques, mais non des ennemis".
Et d'exhorter tant les élus de son Parti socialiste uni du Venezuela
(PSUV) que les députés de l'opposition à "semer ici,
comme les agriculteurs, la semence du dialogue, du débat relevé,
de la concorde nationale".
Puis, abordant la polémique sur ses pouvoirs spéciaux octroyés
en décembre par le Parlement sortant pour une période de 18
mois, jusqu'en juin 2012, le président Chavez augmentait l'effet de
surprise en se disant disposé à les abandonner dans 4 mois,
le 1er mai prochain. "Nous pourrions alors en avoir terminé, en accélérant
les lois que nous sommes en train de faire (...) Je vous les remets sans
problème [les pouvoirs spéciaux]. Je vais travailler plus dur
et plus rapidement" expliquait-il.
Les pouvoirs spéciaux
C'est en invoquant des inondations catastrophiques qui ont fait une quarantaine
de morts et quelque 130.000 sinistrés que le président vénézuélien
s'était fait octroyer à la mi-décembre la faculté
de légiférer par décrets pendant 18 mois. Si la loi
du 17 décembre établissant ces pouvoirs spéciaux vise
effectivement à tenter de parer efficacement aux conséquences
de calamités naturelles, elle donne aussi et surtout carte blanche
au chef de l'Etat dans des matières aussi générales
et diverses que l'utilisation de la terre, l'aménagement du territoire,
les télécommunications, la technologie de l'information, le
logement, la fiscalité, le système financier public et privé,
la banque, les assurances, la sécurité publique, la défense
nationale, la coopération internationale, l'intégration latino-américaine,
les traités internationaux et, point sur lequel insistait beaucoup
Hugo Chavez, "le système économique de la nation".
L'opposition considéra d'emblée qu'il s'agissait d'une manoeuvre
dictatoriale pour approfondir un socialisme radical, d'autant que ces pouvoirs
exceptionnels de longue durée étaient octroyés par l'Assemblée
nationale sortante, quasi monopolisée par le PSUV présidentiel,
moins de trois semaines avant l'installation de l'actuelle Assemblée.
Au sein de cette dernière, le PSUV, quoique majoritaire, a perdu les
majorités qualifiées des deux tiers et même des trois
cinquièmes permettant d'autoriser le chef de l'Etat à gouverner
par décrets. Parmi les 165 députés, 98 appartiennent
aujourd'hui au PSUV chaviste. Les mouvements d'opposition en comptent 67,
mais ils se prévalent de représenter près de 52% des
électeurs.
Hugo Chavez s'était donc empressé d'obtenir de l'Assemblée
nationale sortante des pouvoirs exceptionnels que l'Assemblée entrante
ne pourrait plus lui conférer. "La prétention du président
de ravir à la nouvelle Assemblée la fonction législative
est un coup porté à la démocratie (...) un coup contre
l'Etat à partir de l'Etat" déclarait en décembre à
la presse Maria Corina Machado au nom des 65 élus de partis d'opposition
fédérés au sein de la MUD (Mesa de la Unidad Democratica
- Table de l'Unité Démocratique).
Aussi la courtoise poignée de mains offerte samedi au Parlement par
Hugo Chavez à la même Maria Corina Machado, députée
qui obtint le record national de voix (235.259) aux législatives de
septembre, fut particulièrement remarquée. Le nom de cette
jolie ingénieure industrielle de 43 ans apparaît dans certaines listes de candidats
potentiels de l'opposition à l'élection présidentielle
de décembre 2012.
Réactions au virage apparent ou réel du président
Chavez
L'offre d'Hugo Chavez de limiter la durée de ses pouvoirs spéciaux
a été saluée positivement par l'opposition, quoiqu'elle
réclame aussi une limitation des secteurs dans lesquels le président
a été autorisé "abusivement" à légiférer
par décret sans contrôle parlementaire.
Maria Corina Machado va jusqu'à demander au président Chavez
"de donner la preuve de sa bonne foi en donnant [à l'Assemblée
nationale] l'instruction d'abroger immédiatement" les pouvoirs spéciaux.
Selon cette députée, ils sont inutiles dans la mesure où
l'opposition appuierait toutes les initiatives visant à soulager les
sinistrés des inondations.
Pour sa part et sans surprise, la presse d'opposition affiche son scepticisme
sur les intentions réelles du leader bolivarien. "Le climat cordial
a jeté un voile opaque sur tout le reste" estime l'éditorialiste
d'El Nacional. Selon lui, le chef de l'Etat aurait éludé les
véritables problèmes du pays dans son bilan annuel distillé
pendant près de huit heures à la tribune de l'Assemblée
nationale.
"Je ne crois pas à un quelconque virage du modèle" politique
du président Chavez affirme, interviewé par le quotidien El
Universal, l'analyste Luis Vicente Léon, directeur de la société
de sondages Datanalisis. A l'en croire, Hugo Chavez viserait essentiellement
une audience extérieure avec une apparence d'ouverture qui ne durera
pas. Le président, précise Luis Vicente Léon, aurait
besoin de recomposer l'image "de grand leader alternatif international" qu'il
prétend incarner. Cette image serait flétrie par un autoritarisme
excessif, renforcé par les 18 mois d'autocratie que le président
vénézuélien propose désormais d'écourter.
De bon ton, avant le sommet de la CELAC à Caracas
Dans ce contexte, des observateurs rappellent que le 5 juillet prochain au Venezuela,
Hugo Chavez s'efforcera de donner corps, devant les dirigeants de
33 pays (tous ceux des Amériques à l'exception des Etats-Unis
et du Canada), à la Communauté des Etats latino-américains
et caribéens (CELAC), annoncée sans être concrétisée
en février 2010 à Cancun (Mexique).
Un abandon effectif de ses pouvoirs spéciaux le 1er mai, selon l'intention
qu'il vient d'exprimer, éviterait au président Chavez le malaise
et les critiques qui planeraient sur un sommet de la CELAC réuni sous
un pouvoir autocratique. En qualifiant d'inacceptable et de contraire à
l'esprit démocratique l'octroi à Hugo Chavez, par un Parlement
sortant, de pouvoirs exceptionnels réduisant au silence les élus
de la nouvelle législature, le secrétaire général
de l'Organisation des Etats américains (OEA), le socialiste chilien
José Miguel Insulza, a sans doute fait réfléchir Caracas.
Et cela malgré les noms d'oiseaux dont Chavez et son gouvernement
ont aussitôt affublé l'ex-ministre chilien.
A noter aussi que, début janvier, Hugo Chavez abrogeait la nouvelle
Loi de l'éducation universitaire, très critiquée par
les étudiants, et une hausse annoncée de la TVA. Quelques jours
plus tôt en Bolivie, la colère sociale ponctuée de manifestations
violentes dans l'ensemble du pays avait fait reculer l'un des principaux
alliés régionaux d'Hugo Chavez, le président amérindien
Evo Morales, l'obligeant à annuler une hausse spectaculaire du prix
des carburants. A la Paz, les manifestants brûlèrent un drapeau
vénézuélien et insultèrent le président
Chavez.
Cet épisode a peut-être aussi incité le "grand leader
alternatif international", dont parlait Luis Vicente Léon, à
une prudence au moins temporaire pour mieux garantir un futur ambitieux.
Car si Hugo Chavez a souhaité, à la tribune de l'Assemblée
nationale, qu'une femme lui succède un jour à la présidence [ndlr : songeait-il
à l'une de ses filles?], il a précisé que cela ne se produira pas avant "au moins
deux ou trois" autres mandats de six ans. Cela pourrait nous mener en janvier
2031. Chavez aurait alors 76 ans, dont 32 vécus au palais présidentiel.
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