CARACAS, lundi 20 décembre 2010 (LatinReporters.com) - "Nous les
avons obligés à se replier dans leur caverne de troglodytes"
clamait le 17 décembre le président du Venezuela, Hugo Chavez,
soulignant ainsi le grand mérite, à ses yeux, de la loi qu'il
promulguait et qui lui permet de légiférer par décrets-lois
pendant 18 mois. Les "troglodytes" sont les 67 députés de mouvements
d'opposition élus en septembre par quasi 52% des électeurs.
Grâce à ses nouveaux pouvoirs spéciaux, le commandant-président
pourra les ignorer jusqu'au seuil de l'élection présidentielle
de 2012, à laquelle il sera candidat.
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Hugo Chavez (bras tendu) harangue le 17 décembre 2010 à
Caracas les députés de son Parti socialiste uni du Venezuela
(PSUV) élus aux législatives du 26 septembre et qui siégeront
à l'Assemblée nationale à partir du 5 janvier 2011.
Lors de cette réunion télévisée, le président
Chavez a promulgué la loi qui lui permet
à nouveau de légiférer par décrets. (F. Sequera,
Prensa Presidencial) |
A cette échéance de 2012 et en mettant alors bout à bout ses quatre périodes de pouvoirs exceptionnels depuis son accession
à la présidence en février 1999, Hugo
Chavez aura gouverné et légiféré sans contrôle
parlementaire pendant quatre ans et demi. L'opposition lui avait facilité
la tâche en boycottant les législatives de 2005 pour manque supposé de
garanties dans l'organisation du scrutin. Depuis cette année-là,
l'Assemblée nationale, un Parlement monocaméral, est monopolisée
ou presque par les députés chavistes, complaisants au moment
d'octroyer les pouvoirs spéciaux lorsque les réclame le leader
bolivarien, pressé d'instaurer un socialisme dit du 21e siècle.
Mais cette fois le scénario est particulier. La nouvelle période
d'autocratie a en effet été concédée à
Hugo Chavez par une Assemblée nationale sortante, moins de trois semaines
avant l'installation, le 5 janvier prochain, de celle issue des élections
législatives du 26 septembre. Or ces élections ont dessiné
un hémicycle dans lequel les députés du Parti socialiste
uni du Venezuela (PSUV) du président Chavez ne disposeront plus ni
de la majorité des trois cinquièmes requise pour déléguer
leurs attributions législatives au chef de l'Etat ni moins encore
de la majorité des deux tiers nécessaire à l'approbation
de lois fondamentales dites organiques.
Pendant la campagne électorale,
Hugo Chavez avait fixé l'objectif minimal de son PSUV à 110
élus, soit la majorité des deux tiers des 165 sièges
de l'Assemblée nationale. Mais le 5 janvier, la nouvelle législature
comptera exactement 98 députés chavistes. Conquise avec à
peine 48% des voix grâce à une réforme partisane des
circonscriptions électorales, cette majorité absolue n'atteint
aucune des deux majorités qualifiées stratégiques mentionnées
plus haut.
Hugo Chavez s'est donc empressé d'obtenir de l'Assemblée nationale
sortante des pouvoirs exceptionnels que l'Assemblée entrante ne pourrait
plus lui octroyer faute de majorité chaviste qualifiée. Que
des députés en fin de parcours condamnent leurs successeurs
à 18 mois d'inutilité, puisque Chavez seul pourra élaborer
et promulguer les lois, fait évidemment débat même si
la Constitution ne met aucun frein légal à ce type de manœuvre
qui empêche aujourd'hui le retour au pluralisme parlementaire.
Le prétexte des inondations
L'article 203 de la Constitution vénézuélienne prévoit
que l'Assemblée nationale doit mentionner "le cadre des matières"
qu'elle délègue au chef de l'Etat par loi dite habilitante,
mais la Charte suprême ne limite pas ces matières et les pouvoirs
spéciaux qui viennent d'être conférés au président
Chavez sont suffisamment larges pour l'autoriser à légiférer
tous azimuts.
Le motif invoqué officiellement par Hugo Chavez pour jouir à
nouveau de pouvoirs spéciaux sont les inondations, provoquées
par des pluies diluviennes, dont le bilan actuel est de quelque 40 morts,
130.000 sinistrés, des milliers d'habitations détruites et
de graves dommages à de nombreuses infrastructures. Les mêmes
pluies ont fait en Colombie voisine 281 morts, 68 disparus et 2,2 millions
de sinistrés, mais le président colombien Juan Manuel Santos
n'envisage pas d'accaparer la fonction législative.
Si la loi habilitant Hugo Chavez à légiférer pendant
18 mois vise notamment à tenter de parer efficacement aux conséquences
de calamités naturelles, elle donne aussi et surtout carte blanche au
chef de l'Etat dans des matières aussi générales et
diverses que l'utilisation de la terre, l'aménagement du territoire,
les télécommunications, la technologie de l'information, le
logement, la fiscalité, le système financier public et privé,
la banque, les assurances, la sécurité publique, la défense
nationale, la coopération internationale, l'intégration latino-américaine,
les traités internationaux et, point sur lequel a beaucoup insisté
Chavez, "le système économique de la nation".
En promulguant devant les nouveaux députés de son PSUV la loi
habilitante qui l'autorise à triturer tous ces secteurs à coups
de décrets, Hugo Chavez a affirmé que "nous devons continuer
à transiter vers le socialisme" et que cette "loi habilitante y aidera".
Pour mieux confirmer qu'il utilisera ses pouvoirs spéciaux au-delà
des inondations qui lui ont servi de prétexte, il a dit à haute
voix qu'il ajoutait à côté de sa signature, au bas de
la loi ainsi promulguée, le célèbre "venceremos" (nous
vaincrons) de la phraséologie cubano-castriste. Quoique voués
à l'inutilité pendant 18 mois, jusqu'en juin 2012, les nouveaux
députés chavistes ont longuement applaudi.
Réactions de l'opposition et des Etats-Unis
"Les députés élus, nous nous déclarons en état
d'urgence et nous considérons que la prétention du président
[Chavez] de ravir à la nouvelle Assemblée [nationale] la fonction
législative est un coup porté à la démocratie
(...) un coup contre l'Etat à partir de l'Etat" a déclaré
à la presse Maria Corina Machado au nom des 65 élus de partis
d'opposition fédérés au sein de la MUD (Mesa de la Unidad
Democratica - Table de l'Unité Démocratique).
Accusée de soutien au putsch avorté d'avril 2002 contre Hugo
Chavez, Maria Corina Machado fut la députée élue avec
le plus de voix (235.259) aux législatives du 26 septembre dernier.
Elle est convaincue que le président Chavez utilisera ses pouvoirs
spéciaux pour imposer "un paquet cubain" de lois.
Les élus de la MUD demandent à l'Organisation des Etats américains
(OEA) et en particulier à son secrétaire général,
le socialiste chilien José Miguel Insulza, de se prononcer sur la
loi "illégitime" votée en faveur de Hugo Chavez par l'Assemblée
nationale sortante.
Dans son éditorial du 18 décembre, intitulé "Vers la
dictature", le quotidien d'opposition El Nacional affirmait que "décembre
2010 passera à l'histoire comme le mois au cours duquel Hugo Chavez
a enchaîné le Venezuela".
Deux jours plus tôt, considérant déjà comme acquis
l'octroi de pouvoirs spéciaux au président Chavez, les Etats-Unis
critiquaient, par la voix du porte-parole du département d'Etat, Philip
J. Crowley, "les pouvoirs autocratiques" qui "sapent la volonté du
peuple vénézuélien". "Arrogance impériale" répliquait
Hugo Chavez.
Avant même de conférer au leader bolivarien 18 mois de prérogatives
législatives, l'Assemblée nationale sortante adoptait un train de lois,
critiquées aussi par l'opposition pour atteintes présumées
aux libertés, relatives notamment aux pouvoirs locaux, aux télécommunications
et aux banques. Sans que ne soient nationalisées celles qui ne le
sont pas encore, les banques ont désormais au Venezuela le statut
contraignant de "service public". En Europe et en cette période
de crise, pareille mesure serait peut-être très populaire.
En direct le 17 décembre 2010 à la télévision
publique, le président Hugo Chavez promulgue la loi lui conférant 18 mois de pouvoirs
spéciaux et il affirme qu'elle "aidera" à "continuer à
transiter vers le socialisme". (Vidéo wmv, 6'05", espagnol) |
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